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principes et des conséquences. Voilà les besoins de l'esprit; voilà ses richesses.

Sachons comment les idées perdent leur caractère primitif qui individualise tout, pour prendre un caractère qui rend tout général. L'idée abstraite blancheur, que je suppose nous être venue par l'action des rayons du soleil sur la rétine, ou, pour abréger le langage, que je suppose nous être venue du soleil, peut nous venir aussi de la neige, du lait, d'un lis. L'idée abstraite saveur peut nous venir du pain, du vin, d'une pêche.

L'idée abstraite son peut nous venir d'une cloche, d'un instrument de musique, de la voix d'un homme.

L'idée abstraite odeur, d'une rose, d'un ceillet, de l'ambre.

L'idée abstraite dureté, de l'ivoire, du marbre, du fer.

L'idée abstraite attention, du travail de l'esprit, lorsqu'il se porte tout entier sur un objet, sur une question de morale, sur un problème de mathématiques.

L'idée abstraite faculté de l'âme, de l'attention, du désir, de la liberté.

L'idée abstraite rapport, de la similitude, de la grandeur, de la supériorité.

En un mot, une idée abstraite, quelle qu'elle soit, nous vient, ou peut nous venir de tous les objets dans lesquels se trouve une même qualité, un même point de vue, une même chose.

Or, les mêmes qualités, les mêmes points de vue, sont répétés à l'infini dans les différens objets de la nature : le vert est répété dans toutes les feuilles d'arbre, dans tous les brins d'herbe; la saveur, dans tous les alimens; la forme de chaque animal, dans tous les individus de son espèce; l'étendue, dans tous les corps; le sentiment, dans toutes les âmes : la succession, l'existence, sont en même temps, et dans tous les corps, et dans toutes les âmes.

Les idées abstraites, objet habituel de notre pensée, ne représentent donc pas uniquement et exclusivement des qualités individuelles déterminées.

L'idée abstraite douleur ne représente pas exclusivement ce qu'on éprouve quand on est tourmenté de la goutte; elle représente ce qu'on éprouve, ou du moins quelque chose de ce qu'on éprouve par un mal de dents, par un mal de tête; elle représente ce qu'on éprouve soi-même, et ce qu'éprouvent les autres.

Mais vous voyez bien que je parle des idées

abstraites, telles qu'elles sont aujourd'hui dans notre esprit. Il a été un temps où nous n'avions pas observé qu'une même qualité se trouve dans plusieurs objets; alors chacune de nos idées abstraites représentait une qualité individuelle. L'idée que se fait de la douleur, un enfant, au premier jour de sa vie, n'est d'abord que l'idée d'une certaine douleur, d'une colique dont il souffre, ou dont il vient de souffrir. Cette idée ne restera pas long-temps individuelle; la douleur sera bientôt dans la faim, dans la soif, dans le froid, dans le chaud; comme la couleur dans tous les objets colorés, le son dans tous les corps sonores, la saveur dans tous les alimens, etc.

Les idées abstraites ont donc commencé par être individuelles; et elles ont cessé de l'être, parce que la nature nous a montré les mêmes qualités dans plusieurs objets, quelquefois dans tous les objets; mais il y a ici trois choses à remarquer.

Si vous considérez une idée abstraite au moment de sa première apparition, au moment où un premier objet nous donne la sensation de laquelle dérive cette idée, elle représente une qualité existant dans un seul objet, et elle est individuelle.

TOME 11.

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Si vous la considérez dans un temps où elle a déjà été produite et reproduite par un grand nombre d'objets, elle représente une qualité qui existe dans plusieurs objets, et elle est commune ou générale.

Cette idée, d'abord individuelle, ensuite générale, redeviendra individuelle, toutes les fois qu'un des objets qui peuvent nous la donner, sera présent au sens ou à la pensée.

L'idée abstraite blancheur, primitivement individuelle parce qu'elle nous sera venue du lait, ensuite générale, parce qu'elle nous sera venue et du lait, et de la neige, et de plusieurs autres corps, redéviendra individuelle en présence du lait, parce qu'en présence du lait, ce sera la blancheur du lait qui sera dans notre esprit, et non pas la blancheur de tout autre corps blanc.

Ainsi, les idées abstraites ont d'abord été individuelles; bientôt elles se sont trouvées générales, pour redevenir individuelles toutes les fois que nous voyons, ou que nous imaginons quelqu'un des objets individuels qui nous les ont données.

Cette observation s'applique aux idées intellectuelles, et aux idées morales, comme aux idées sensibles.

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L'idée intellectuelle opération de l'âme a été d'abord l'idée d'un acte déterminé d'attention, d'une attention donnée par les yeux, je le suppose. Jusque-là, elle a été individuelle. Cette même idée n'a pas tardé à nous venir d'un acte d'attention donné par l'ouïe, par le goût, ou même d'un acte d'attention indépendant des organes; et alors elle a été générale. Mais cette idée générale s'individualisera, toutes les fois que nous penserons à un tel acte d'attention, à une telle comparaison, à un tel acte de la volonté.

L'idée intellectuelle rapport a d'abord été l'idée d'un rapport déterminé; de l'égalité, par exemple, entre les deux mains; ensuite de l'égalité qu'il y a, et entre deux pièces de monnaie, et entre deux toises, etc.; enfin, cette idée d'égalité, après être devenue d'individuelle générale, redeviendra de générale individuelle, en présence de deux objets égaux, ou par le souvenir de deux objets égaux.

L'idée morale justice nous est venue primitivement du sentiment produit par une certaine action déterminée; ensuite du sentiment produit par un grand nombre d'actions de même nature. Cette idée, d'abord individuelle, puis générale, sera de nouveau indi

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