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fondues l'une avec l'autre. Nous les confondrons aussi quelquefois, puisqu'il faut parler comme on parle.

Toute science est d'abstractions. Toutes nos connaissances comparées à leur objet, sont partielles, imparfaites. Aucune n'est complète, ni ne peut l'être.

Il ne faut pas un monde pour remplir notre intelligence : c'est trop d'un atome. Qui eût dit, il y a quelques siècles, qu'avec un grain de sable, on apercevrait des milliers d'étoiles, dont on ne soupçonnait pas l'existence? Qui eût dit qu'on découvrirait des animalcules vingt-huit millions de fois plus petits qu'un ciron? Qui assurera que ce même grain de sable ne recèle pas des propriétés plus merveilleuses encore?

Et, si nous le connaissions par tout ce qu'il a d'absolu, et par tout ce qu'il a de relatif, nous verrions peut-être qu'il tient à tout dans l'Univers, et qu'il peut nous mener à connaître la nature entière. Car, dans les jugemens dont se forment nos connaissances, il n'entre que trois choses: deux termes que l'on compare, et l'idée du rapport qui résulte de leur comparaison; et comme les deux termes étant donnés, on peut trouver le rapport qui en dérive;

de même, un terme et le rapport étant donnés, on trouvera, ou du moins il ne sera pas impossible de trouver l'autre terme.

C'est ainsi que vous aurez la distance d'un astre à la terre, aussitôt que Vous aurez le rapport de cette distance au rayon terrestre.

Si donc nous avions la connaissance accomplie d'un seul grain de sable, où serait la limite de nos connaissances?

Elle est partout aujourd'hui, cette limite. Notre science ne pouvant être une et entière, nous sommes forcés de la partager en plusieurs sciences fractionnaires ou abstraites. La géométrie abstrait l'étendue; la mécanique, le mouvement; l'optique, la lumière; l'acoustique, le son; la métaphysique, l'entendement; la morale, la volonté. Pour qu'il en fût autrement, il faudrait que l'intelligence d'un homme pût tout embrasser à la fois; il faudrait que cet

homme fût un Dieu.

Abstraction, analyse, mésaphysique : accoutumons-nous à ne voir sous ces mots que la manière la plus naturelle de conduire nos facultés. Qu'y verrez-vous, si vous n'y voyez pas une méthode adaptée à notre faiblesse ? Et que peuvent être des méthodes qui méconnaissent la nature, ou qui la contrarient?

Les idées abstraites, comme telles, ne sont que les premiers rudimens de notre intelligence. Elle deviennent notre intelligence ellemême, en devenant générales. Nous allons les considérer sous ce point de vue dans la leçon suivante.

ONZIÈME LEÇON.

Des idées générales.

L'IDÉE de la figure d'un corps que vous tenez dans vos mains est une idée abstraite, une idée qui entrait dans la composition de l'idée totale de ce corps, et que vous en avez séparée pour la considérer seule, pour vous en occuper exclusivement.

Cette idée n'est pas uniquement abstraite; elle est en même temps individuelle; elle vous montre la figure du corps qui est dans vos mains, et non la figure de tout autre corps.

L'idée de l'odeur d'une rose que vous approchez de votre odorat; l'idée de la saveur d'un fruit que vous mettez dans votre bouche; l'idée du son d'une harpe qui flatte vos oreilles, sont autant d'idées, à la fois abstraites et individuelles.

Si vous n'aviez que des idées abstraitesindividuelles, quelles seraient vos connaissances?

Vous verriez des qualités isolées de leurs objets, et il n'en existe pas dans la nature. Ces

qualités seraient isolées les unes des autres, et vous n'apercevriez entre elles aucun rapport.

Il faut donc que plusieurs idées abstraites se réunissent en une idée composée; et il faut aussi que, perdant leur individualité, elles deviennent communes ou générales, afin de nous faire connaître les choses, et comme elles sont en elles-mêmes, et comme elles sont dans leurs rapports.

Nous avons parlé des conditions que doivent réunir les idées composées pour nous donner des connaissances exactes (t. 1, leç. 1). Je n'ajouterai rien à ce que j'ai dit sur la manière de systématiser ces idées, d'en former un tout.

Mais nous avons parlé trop peu des idées générales (t. 1, p. 403); nous leur destinons cette leçon. Les secours que l'esprit retire des idées générales, autant que les abus qu'il en fait, nous imposent le devoir de mettre tous nos soins à les bien connaître.

Comme des traits épars ne forment pas un. tableau, des idées dispersées ne sauraient former notre intelligence.

L'intelligence de l'homme est surtout dans les rapport, dans les liaisons; elle est dans l'ordre, dans l'harmonie, dans l'enchaînement des

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