Page images
PDF
EPUB
[ocr errors]
[ocr errors]

ce qui nous trompe. Nous croyons que tous ces noms répondent à autant d'objets ou d'idées. Nous nous épuisons à découvrir dans les ouvrages des philosophes ce qu'ils n'ont pas voulu y mettre à leurs obscurités, qui ne sont pas rares, nous en ajoutons de nouvelles ; nous achevons de les rendre inintelligibles, et nous ne retirons aucun fruit de nos études.

[ocr errors]

La langue la plus propre au raisonnement nous l'avons déjà dit ailleurs, serait celle qui, avec le plus petit nombre de mots, rendrait le plus grand nombre d'idées; et celui-là raisonnerait le mieux avec cette langue, qui saurait mieux l'économiser. « Plus vous abrégerez vos discours, dit Condillac, plus vos idées se rapprocheront; et plus elles seront rapprochées, plus il vous sera facile d'en saisir tous les rapports (Log., p. 159). La plus parfaite des langues, celle de l'arithmétique, n'a que dix caractères; et ces dix caractères suffisent à toutes les combinaisons des nombres; elle pourrait n'en avoir que cinq, que deux; les calculs ne s'en feraient pas moins : il est vrai qu'ils ne se feraient pas avec la même facilité. Aussi a-t-on préféré l'arithmétique décimale à la quinaire, à la binaire, et à toute autre qui comprendrait plus de dix, ou moins de dix caractères.

L'arithmétique a, sur les autres sciences, le grand avantage de reposer sur une seule idée simple, l'idée de l'unité. Voilà pourquoi il est possible d'en réduire les caractères, non-seulement à deux, mais à un seul. On répète ce caractère ou ce chiffre, deux fois, pour exprimer le nombre deux; cinq fois, pour exprimer le nombre cinq; dix fois, pour exprimer le nombre dix; et alors, cette arithmétique d'un seul chiffre rentre dans l'arithmétique décimale, la plus commode de toutes.

Aucune des autres sciences n'a la simplicité de l'arithmétique : les caractères qu'elles emploient, les mots, désignent rarement des idées qui ne soient que la répétition d'une même idée; ils expriment presque toujours des groupes d'idées de différente nature. Le mot corps exprime et rappelle une idée qui comprend les idées de couleur, de pesanteur, de dureté; et quelle analogie y a-t-il entre ces idées?

Pour connaître les différens objets de la nature, il faut nous rendre un compte exact des idées simples et des idées composées qui résultent de leurs combinaisons. Or, comment nous assurer des unes et des autres?

Ou les idées simples dérivent immédiatement de nos diverses manières de sentir, ou

bien elles sont le résultat des dernières abstractions que nous faisons subir aux idées composées.

Si elles naissent d'un sentiment, il faut éprouver ce sentiment, et s'observer quand on l'éprouve. Il n'y a pas d'autre moyen d'en acquérir l'idée elle est intransmissible par des mots et par des définitions. Les définitions ne feront pas connaître les couleurs à un aveugle de naissance; il n'en a jamais éprouvé la sensation; il n'en aura jamais l'idée. Ce n'est pas avec des mots qu'on fera connaître le goût du café à celui qui n'a jamais approché cette liqueur de ses lèvres, ni l'odeur de la rose à celui qui n'en aurait jamais senti le parfum, etc.; et, pour parler des sentimens d'un autre ordre, il faut être père pour connaître l'amour paternel; généreux, pour avoir idée de la générosité, etc. Je sais bien qu'on croit pouvoir imaginer des affections qu'on n'a jamais éprouvées ; et je conviens qu'on les imagine,

Si l'idée simple est le résultat d'une dernière abstraction, elle sera pour nous une acquisition réelle, pourvu que l'idée composée dont nous la détachons, nous soit bien connue. Ainsi l'idée simple d'impénétrabilité est une idée très-claire et très-distincte, parce

1

que l'idée de matière ou d'étendue impénétrable, dont nous l'avons extraite, est elle-même une idée très-claire et très-distincte.

Il n'en est pas de l'idée composée comme de l'idée simple on ne l'obtient pas avec la même facilité; car elle suppose plusieurs idées simples, et elle suppose encore un certain ordre entre ces idées.

L'idée simple nous fait connaître un objet simple, placé en nous, ou hors de nous. L'idée composée doit nous faire connaître un objet composé. Il faut donc qu'elle représente toutes ses parties, toutes ses qualités, tous ses rapports, tout ce qui le constitue, en un mot. II ne suffit pas, comme dans l'acquisition de l'idée simple, d'un acte d'attention : toutes les facultés de l'entendement sont mises en jeu; l'attention observe les qualités l'une après l'autre; la comparaison découvre les rapports qui les lient; le raisonnement forme une chaîne continue de toutes les qualités et de tous les rapports.

Et, pour le dire d'un seul mot, c'est l'analyse qui nous donne la connaissance de tous les objets composés.

Mais l'analyse doit être considérée sous deux points de vue, suivant la nature des rapports

qu'elle établit, ou plutôt qu'elle nous fait apercevoir entre les parties de l'objet composé. Ces parties peuvent être liées entre elles par des rapports de contiguité, de simultanéité, de succession, de ressemblance; elles peuvent être liées aussi par des rapports de cause et par des rapports de génération; ce sont ces derniers rapports qui nous importent surtout. Nous leur devons ce qui, plus que toute autre chose, nous distingue des animaux, le raisonnement.

Celui qu'une étude approfondie de l'arithmétique a rendu familier avec toutes ses règles, et toutes ses méthodes, n'ignore pas ce que c'est que les rapports de génération. Il sait comment les idées engendrent les idées ; il sent qu'au moyen de quelques vérités fondamentales, il aurait pu, de lui-même et sans secours, découvrir une multitude de vérités. Un premier théorème se transforme il devient un nouveau théorème qui, se transformant à son tour, fera naître la suite entière des théorèmes dont se compose la science des nombres.

Voilà l'analyse de raisonnement; l'analyse telle que nous l'avons définie dans une première leçon destinée à préparer l'intelligence du système raisonné des facultés de l'âme (t. 1, Dis

« PreviousContinue »