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le dise, pour ceux qui seraient privés de l'ouie. Elle fut trouvée, dit-on, par les Phéniciens, d'où elle passa aux Grecs et aux Romains, et par eux à toute l'Europe. Les gestes alphabétiques représentent immédiatement la figure des lettres de l'alphabet; tel est l'alphabet manuel qu'on enseigne aux sourds-muets, dans les écoles destinées à leur instruction.

Il est aisé de concevoir que, ni l'écriture alphabétique, ni les gestes alphabétiques, ne peuvent être la langue que nous cherchons. Les sons de la voix et la figure des lettres sont des choses trop variées et trop variables pour atteindre ce but. Il faut donc, pour établir une langue universelle, employer des caractères ou des gestes qui montrent les objets immédia

tement.

Tous ceux qui se sont occupés du projet d'une langue universelle ont bien senti que ce n'était qu'au moyen de signes de cette dernière espèce qu'ils pourraient le réaliser. Mais ils n'ont guère pensé aux gestes. Leurs efforts se sont dirigés vers une écriture hiéroglyphique, indépendante du langage d'action, et ils se sont donné beaucoup de peine pour trouver les caractères élémentaires de cette écriture.

Parmi les savans, en assez grand nombre

qui ont fait quelques essais, on ne manque jamais de citer Leibnitz. Assurément c'est un très-beau nom que celui de Leibnitz; il ne peut que servir d'ornement et d'appui à un ouvrage sur les langues, sur la philosophie, sur les mathématiques, et sur plusieurs autres sciences. Mais la justice et la vérité doivent passer avant tout. Pourquoi donc, à l'occasion de la langue universelle, ne nous fait-on jamais entendre un nom aussi grand sans doute que celui de Leibnitz, le nom de Descartes? Il a l'antériorité; il a tout par conséquent, si ce que nous connaissons de Leibnitz n'est guère qu'une répétition de ce que dit Descartes.

Leibnitz avait formé le projet d'une Histoire de la langue caractéristique universelle. On en trouva le commencement parmi ses papiers, et l'on présume que la mort l'empêcha de la continuer. Voici ce qu'il y a dans ce fragment:

1o. Leibnitz remarque d'abord que, depuis

l'époque de Pythagore, on a toujours cru que la science des nombres et les caractères numériques recelaient de grands secrets.

Que plusieurs savans avaient cherché des caractères universels, c'est-à-dire, des caractères qui pussent s'appliquer, non-seulement aux idées des nombres, mais à toute espèce d'idées.

Ces caractères une fois trouvés, on aurait eu une caractéristique universelle, et par conséquent une langue universelle, de laquelle on espérait de grands secours pour établir l'ordre dans toutes les connaissances, et pour les communiquer avec facilité, parce que chacun aurait pu lire dans sa propre langue ce qui se serait trouvé écrit dans cette langue, ou caractéristique universelle, comme chacun lit dans sa propre langue, les caractères universels de l'arithmétique, 1, 2, 3, 4, etc.

2o. Leibnitz ajoute que personne ne s'est avisé qu'une pareille langue serait le premier de tous les arts, l'art d'inventer, de démontrer et de juger.

3°. Qu'il avait eu lui-même cette idée, étant presque enfant, et qu'il s'en est occupé toute

sa vie.

4°. Que cette idée consiste à dresser un catalogue exact, non pas des notions simples, mais des notions composées, c'est-à-dire, des jugemens ou des pensées, et à marquer chaque jugement ou pensée d'un caractère propre et spécial. Par ce moyen, on aurait un alphabet des pensées; et, si l'on trouvait un moyen sûr de combiner tous les élémens de cet alphabet, ou toutes les pensées élémentaires, il n'y

aurait rien à quoi l'intelligence de l'homme ne pût prétendre.

5°. Que cette nouvelle langue ajouterait à la puissance du raisonnement, plus que le télescope n'ajoute à la puissance de l'œil, plus que l'aiguille aimantée n'a ajouté aux progrès de la navigation; et qu'à moins d'être inspiré du ciel, ou de posséder l'autorité du plus grand monarque, il serait impossible de faire pour bien, ou pour la gloire du genre humain quelque chose de plus avantageux que de lui enseigner une pareille langue.

le

6°. Qu'il admire qu'aucun des savans dont la mémoire nous est parvenue n'ait soupçonné tout ce que renfermait cette découverte ; que, surtout, il est étonné que ces choses ne se soient pas présentées à Aristote, à Jungius de Lubeck, dont il vante l'immense capacité, ou à Descartes.

7°. Il dit enfin qu'il a eu le bonheur de trouver ce qui a échappé à tant d'esprits, qu'il va nous le faire connaître..... Et là finit l'histoire de la caractéristique universelle.

Écoutons maintenant Descartes.

Le père Mersenne lui écrit qu'il vient de paraître un projet de langue universelle, dont il lui communique les principales idées, telles

que, 1o. interpréter cette langue avec le secours d'un dictionnaire; 2°. cette langue étant connue, connaître toutes les autres qui n'en sont que des dialectes, etc. Descartes lui répond aussitôt; il discute l'une après l'autre toutes ces propositions; il approuve, il critique, il cherche à deviner le secret de l'inventeur; il ajoute à ses inventions, et toutes ses remarques sont d'une sagacité admirable. Cela ne lui suffit pas.

<«< Je trouve, dit-il, qu'on peut ajouter à ceci une invention pour composer les caraçtères primitifs de cette langue; en sorte qu'elle pourrait être enseignée en peu de temps, en établissant un ordre entre toutes les pensées qui peuvent entrer en l'esprit humain, de même qu'il y en a un naturellement établi entre les nombres..... Mais je ne crois pas que votre auteur ait pensé à cela, tant parce qu'il n'y a rien en toutes ses propositions qui le témoigne, que parce que l'invention de cette langue dépend de la vraie philosophie : car il est impossible autrement de dénombrer toutes les pensées des hommes, et de les mettre par ordre, ni seulement de les distinguer, en sorte qu'elles soient claires et simples, ce qui est, à mon avis, le plus grand secret qu'on puisse

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