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Elles sont simples, composées, collectives, abstraites, générales.

Toutes ces classes n'ont pas, il s'en faut, une égale importance : il suffira presque d'avoir énoncé les premières. Nous nous arrêterons sur les dernières, particulièrement sur les idées abstraites et sur les idées générales. Car, de ces deux sortes d'idées dépend surtout l'intelligence de l'homme.

Cependant nous ne partageons pas l'opinion de ceux qui rejettent comme inutiles, ou comme mal fondées, la plupart des divisions que nous venons d'indiquer.

Toute idée considérée en elle-même, disentils, est claire, distincte; elle est complète, réelle; elle est encore vraie, s'il est permis d'attribuer aux idées une qualité qui ne convient qu'aux jugemens.

Ces assertions ne sont pas aussi décisives qu'on se l'est imaginé.

Sans doute, rien n'est moins judicieux que de multiplier les classes au delà du besoin. C'était le grand vice de la méthode des scolastiques, parmi lesquels je citerais Raimond Lulle s'il restait le moindre souvenir de ses catégories. C'est aussi le vice de quelques modernes, dont les écrits semblent vouloir faire revivre la

barbarie du moyen âge. On veut éclairer les objets, et l'on disperse les rayons de lumière. On veut soulager l'esprit, on le surcharge, on l'accable.

Il y aurait ici moins d'inconvéniens à pécher par défaut que par excès. En divisant trop peu, nous ne voyons pas tout, il est vrai; mais du moins, ce que nous avons sous les yeux, nous le voyons. En divisant trop, au contraire, tout échappe au regard, tout se perd dans la confusion. Confusum est quidquid in pulverem sectum est, a dit Sénèque.

Un petit nombre de divisions commodes sinon indispensables, et qu'il suffit d'avoir énoncées une fois pour ne plus les oublier, ne méritent pas le reproche de morceler ainsi leur objet, et de l'anéantir, en quelque sorte?

Ceux qui rejettent ces divisions supposent.

que les idées sont toujours considérées en ellesmêmes, indépendamment de leur objet. Ce n'est pas ainsi que l'entendaient les philosophes qui les premiers ont parlé d'idées claires, distinctes, complètes, réelles. Ils ont prétendu certainement qu'elles représentaient des objets réels, qu'elles les représentaient d'une manière claire et distincte, qu'elles les montraient dans leur intégrité,

Et, sans avoir égard aux rapports qu'une idée peut avoir avec son objet, est-il bien assuré qu'en elle-même, elle ne renferme jamais rien d'obscur, rien de confus, qu'on saisisse toutes les idées élémentaires dont elle se compose, qu'on la distingue infailliblement de toutes les idées qui ont avec elle de l'analogie? Est-il assuré qu'elle soit toujours réelle, qu'elle ne se détruise pas quelquefois elle-même, comme l'idée de ce médiateur, mélange d'esprit et de matière, dont j'ai besoin que vous m'excusiez de vous avoir entretenu à la dernière séance?

Quant à la vérité des idées, on a tort de la confondre avec la vérité des jugemens. Celle-ci consiste dans la perception ou dans l'affirmation du rapport entre un sujet et son attribut; tandis que la vérité des idées n'est qu'une simple conformité avec leur objet. Copernic et Galilée avaient une idée vraie du système du monde. Ils se le représentaient par une image fidèle. Bacon et Ticho-Brahé en avaient une idée fausse. Ils s'en formaient une image sans ressemblance.

N'appauvrissons pas la langue, en lui ôtant des mots qui servent à marquer les nuances de nos sentimens et de nos opinions. Je conviens que, si vous avez d'un objet une idée très-vraie,

très-juste, il sera superflu d'ajouter que cette idée n'est ni obscure, ni confuse, ni incomplète; mais il est rare qu'il y ait tant de perfection dans nos idées; et, pour dire ce qui est, il nous faut d'ordinaire des expressions qui modifient ce que d'autres expressions ont de trop absolu. Vous apprendrez à choisir entre ces expressions celle qui saisit le caractère fugitif de l'idée, celle qui peint le mieux ce caractère si vous lisez assidûment les bons écrivains de métaphysique. Vous l'apprendrez, si vous vous interrogez vous-même lorsque votre esprit est tout entier à une idée. Alors le mot propre se présentera de lui-même; rien ne sera laissé à l'arbitraire; et, dans votre langue, deux mots ne seront jamais entièrement synonymes.

C'est à ce qu'il y a de distinct ou de confus dans nos idées, que nous devons particulièrement nous arrêter. Le caractère propre et essentiel de l'idée est la distinction; et, si nous voulions nous énoncer avec une rigueur géométrique, nous refuserions le nom d'idée à l'idée confuse, et nous verrions en elle un simple sentiment, comme dans le sentiment distinct nous avons vu l'idée elle-même (leç. 1).

Mais il ne faut pas oublier que du simple sentiment que produit en nous la première im

pression d'un objet composé, à la connaissance parfaite de cet objet, il y a nécessairement un grand nombre de degrés. Dans cet intervallé se placent les idées plus ou moins distinctes, les sentimens plus ou moins confus.

Que si, venant à des applications, on cherchait à apprécier quelques-unes des idées que nous nous sommes faites jusqu'à ce moment; celles des facultés de l'âme, par exemple, ou celles de la méthode, ou des définitions, ou du jugement, ou de nos différentes manières de sentir, la chose ne serait pas très-difficile.

Pour ne parler que des facultés de l'âme, l'idée, ou plutôt les idées que nous en avons, les distinguent certainement de tout ce qui n'est pas elles. L'entendement est séparé de la volonté. Les facultés particulières de l'entendement et de la volonté ne peuvent plus se confondre, Nous dirons, sans balancer, que nous avons des facultés de l'âme une idée très-distincte.

Cette idée est-elle claire ?

En vous occupant des facultés de l'âme, de ses différentes manières d'agir, sentez-vous la présence de quelque nuage qui vous dérobe une partie de l'objet? N'avez-vous pas été forcés de convenir que l'horloger le plus expérimenté ne

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