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n'est pas celle qui donne un ton différent, verrait dans cette observation la plus grande des découvertes? Vous avez cru jusqu'ici, nous dirait-il, être réduits au très-petit nombre de cinq sens; je viens vous apprendre que la nature a été bien plus libérale envers vous : combien ne vous a-t-elle pas donné d'organes de la vue? j'en vois d'abord sept principaux, destinés aux sept couleurs primitives. Ensuite, etc. (lec. 3.)

Nous pouvons maintenant donner l'explication de la table rase, tabula rasa, au sujet de laquelle on a tant écrit. Les uns comparent l'âme, au moment de sa création, à des tablettes sur lesquelles rien n'est tracé; les autres conservant la même comparaison, veulent que l'âme, en sortant des mains de Dieu, soit sillonnée, s'il est permis de le dire , par des linéamens qui forment des dessins plus ou moins nombreux, plus ou moins terminés. Représentez-vous une feuille de papier blanc. Voilà, suivant les premiers, une image de l'âme, antérieurement à son union avec le corps. Si le papier, au contraire, se trouve chargé de caractères, il figurera suivant les seconds, l'état originaire de l'âme.

Les caractères que l'on suppose dans l'âme,

étant très-peu sensibles, et comme cachés dans sa substance, on aurait pu les assimiler, non à ces traits qu'on forme avec une plume et de l'encre sur la surface du papier, mais à ceux qui sont cachés dans l'intérieur et dans l'épaisseur de la feuille; la comparaison eût été, je n'ose pas dire plus juste, mais du moins plus naturelle.

L'âme, au premier moment de son existence, est-elle tabula rasa, table rase?

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Oui et non. Voulez-vous parler des idées des connaissances? l'âme peut être comparée à une table rase. Parlez-vous des facultés, des capacités, des dispositions? la comparaison ne saurait avoir lieu; elle est fausse. L'âme a été créée sensible et active. La faculté d'agir ou de penser, et la capacité de sentir, sont innées. Les idées, au contraire, sont toutes acquises; car les premières idées qui éclairent l'esprit supposent les sensations, qui elles-mêmes sont acquises.

Les idées innées, sous quelque forme qu'on les présente, de quelque nom qu'on les décore, de quelques couleurs qu'on les embellisse, ne soutiennent donc pas l'examen d'une raison qui yeut se satisfaire; et la philosophie, en les

créant, s'oublia elle-même pour faire l'office de l'imagination.

Non, l'homme ne vient pas au monde pourvu d'idées, riche de connaissances; l'ignorance est son état primitif; il ne peut en sortir qu'à mesure que la vivacité du sentiment réveille les facultés qui doivent lui fournir une intelligence.

Des connaissances antérieures à tout sentiment sont une chimère. Nous ne savons qu'autant que nous avons senti, et qu'autant que nous avons appliqué les facultés de notre esprit à nos différentes manières de sentir. Nous ne savons que ce que nous avons appris : vérité triviale qu'il est bien extraordinaire qu'il faillę demander à la philosophie.

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Si quelque partisan des idées innées, frappé des réflexions que je viens de vous présenter, voyait avec peine le renversement d'un système qu'il chérissait, je lui dirais :

Je suis aussi fâché que vous que nos connaissances ne soient pas innées. Plût à Dieu que nous les apportassions toutes en venant au monde! mais la nature en a ordonné autrement. Elle a voulu qu'à l'exception des idées qui sont nécessaires à notre conservation, et qu'elle nous montre en jouant avec nous, pour

ainsi dire, presque toutes les autres lui fussent arrachées avec violence. Ce n'est pas en restant oisif que l'homme a trouvé les sciences, et qu'il a inventé les arts. Aussi peut-il, à juste titre s'en glorifier comme d'une conquête; heureuse conquête qui le récompense magnifiquement de ce qu'il a fait pour l'obtenir. Il a mis un siècle à s'emparer d'une vérité; il en jouira pendant des milliers de siècles. Doit-il se plaindre de sa condition?

« Comme nous sommes condamnés à gagner notre vie à la sueur de notre front, il faut, dit Mallebranche, que l'esprit travaille pour se nourrir de la vérité. Mais croyez-moi, ajoutet-il, cette nourriture des esprits est si délicieuse, et donne à l'âme tant d'ardeur, lorsqu'elle en a goûté, que, quoiqu'on se lasse de la chercher, on ne se lasse jamais de la désirer et de recommencer ses recherches; car c'est pour elle que nous sommes faits. » (Entret. métaph. t. 1, p. 9.)

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Distribution des idées sensibles, intellectuelles et morales, en différentes classes.

AUCUNE idée n'est innée. Aucune idée ne fut originairement gravée dans nos âmes par la main de la nature. Toutes sont dues à notre activité propre. De la sensation, l'esprit fait sortir les idées sensibles; du sentiment de l'action de ses facultés, et du sentiment des rapports, les idées intellectuelles; du sentiment moral, les idées morales.

Ces trois espèces d'idées, ou plutôt ces quatre espèces d'idées, puisque les idées intellectuelles en comprennent deux, se divisent chacune en un certain nombre de classes et de mêmes classes. Elles sont :

Vraies ou fausses,
Claires ou obscures,

Distinctes ou confuses,

Complètes ou incomplètes,
Réelles ou chimériques,
Absolues ou relatives,

De choses ou de mots.

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