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dons-nous aussi d'imiter ceux qui parlent des idées les plus spirituelles, d'idées très-spirituelles, comme s'il y avait des degrés dans la spiritualité; et continuons à distinguer nos idées, en idées sensibles, intellectuelles et morales (leç. 2 ).

On a été induit à cet absurde langage d'idées spirituelles, de quelques idées spirituelles, parce qu'on a cru qu'il y avait des idées corporelles ; et on l'a cru ainsi, parce qu'on a confondu les idées sensibles avec les sensations après avoir confondu les sensations avec les impressions faites sur les organes. Ce qui surprend, c'est qu'il faille reprocher à Locke cette étrange confusion. « La sensation, dit-il, est une impression, ou un mouvement excité dans quelque partie du corps, qui produit quelque perception dans l'entendement. >> (Essais, liv. 2, no. 23.)

Et ce qui prouve combien cette erreur est générale, combien peu les plus simples idées, les premières idées de la métaphysique sont éclaircies dans la plupart des têtes, c'est que les adversaires de Locke, qui se sont tant et si justement récriés contre un passage dans lequel ce philosophe met en doute si Dieu ne pourrait pas accorder la pensée à la matière, n'ont ja

mais relevé le passage que nous venons de citer, passage dans lequel le sentiment appartient à la matière.

On se contente donc de vanter Descartes sans le lire; car, en le lisant, ont eût appris que la sensation appartient exclusivement à l'âme, de même que la pensée.

Si la sensation est un mouvement excité dans quelque partie du corps, la sensation est une modification du corps, tandis que la perception et la pensée sont des modifications de l'âme. Ce n'est donc plus un seul et même être qui sent, qui perçoit, qui pense; et nous voilà dans les âmes sensitives, et dans les âmes raisonnables (t. 1, p. 223).

Si la sensation ne diffère en rien de l'idée sensible, il sera permis de dire que nous avons des idées aux pieds et aux mains; ou du moins, que c'est aux pieds et aux mains que nous rapportons certaines idées, puisque c'est là que nous rapportons les sensations. Des idées aux pieds!

Que les philosophes s'appliquent enfin à mettre quelque précision dans leurs discours, sans quoi il faudra les abandonner pour des contes de fées. Nous retirerons de ces contes autant de profit, et plus d'amusement.

Reproduisons l'objection rectifiée. Les idées

intellectuelles et les idées morales viennentelles des sens?

Cette objection s'adresse à Aristote, à Bacon, à Gassendi, à Hobbes, à Locke, à Condillac, à D'Alembert, à Bonnet et à tous les philosophes anciens ou modernes qui ne connaissent qu'une seule origine d'idées, les sens ; c'est-àdire, qu'elle s'adresse à tous ceux qui, jusqu'à ce moment, ont rejeté les idées innées. Elle ne s'adresse pas à nous, quoique nous rejetions aussi les idées innées, parce que ce n'est pas dans les sens que nous plaçons l'origine des idées intellectuelles et des idées morales.

pas

Mais on insiste : la pensée, dit-on, n'est-elle l'essence de l'âme? et dès lors n'en est-elle

pas inséparable, n'est-elle pas innée ?

Encore des équivoques et des malentendus. Le mot pensée, nous en avons fait plusieurs fois la remarque, sert à exprimer, et la faculté de penser, et l'idée que nous obtenons par l'exercice de la faculté de penser: or, ce n'est pas l'idée qui est l'essence de l'âme. L'idée n'est pas la première chose que l'on conçoit dans l'âme, puisque l'idée présuppose le sentiment et l'action. Ce sera donc la faculté de penser qui sera l'essence de l'âme? Mais n'avonsnous pas démontré que l'âme, par sa nature,

est douée de deux attributs également essentiels, l'activité et la sensibilité (t. 1, leç. 4); et, par conséquent, que l'activité seule, ou, ce qui est la même chose, la faculté de penser seule, ne constitue pas son essence?

Ni l'idée, ni la faculté de penser, ne sont donc l'essence de l'âme. Mais la faculté de penser fût-elle cette essence, que pourrait-on en conclure en faveur des idées innées?

On en conclurait que la faculté de penser

est innée:

l'ex

Voilà donc le résultat de tant de disputes et de tant de volumes, la faculté de penser est innée! Ce n'est pas de quoi il s'agit; il s'agit de savoir si nos idées ont été acquises par périence, par le travail, par la méditation ; ou si elles ont été originairement gravées dans l'âme. Qui jamais a pu nier que les facultés fussent innées? Et, quand on nous dit, d'un air d'assurance et presque d'un ton de découverte, qu'il y a des penchans innés, des dispositions innées, des instincts innés, des facultés innées, des lois même innées, des formes, des moules, des catégories, et je ne sais combien d'autres choses innées, ou indépendantes des sens et de toute expérience, ou, si l'on veut encore, qui sont dans l'âme à priori, que croit-on nous

TOME II.

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il

apprendre? Qui ne sait que, dans tout être, y a nécessairement autant de facultés ou de puissances qu'il peut produire d'actes; autant de capacités qu'il peut recevoir de modifications; autant de dispositions, qu'il peut produire d'actes et recevoir de modifications? Qui ne sait qu'un serpent naît avec la disposition, ou le penchant à ramper, avec la faculté de ramper? l'oiseau avec la faculté de voler? le poisson avec celle de nager? l'homme avec la faculté de parler et de raisonner? Mais est-il permis de confondre la faculté de parler avec la parole, la faculté de raisonner avec le raisonnement, la faculté de penser avec la pensée, la faculté de produire une idée avec une idée? En vérité, pour dire ces choses, il faut être obligé, et j'espère que ce sera mon ex

y

cuse.

N'allez pas croire cependant qu'il soit nécessaire de reconnaître et d'enregistrer autant de facultés ou de capacités, qu'on peut remarquer d'actes ou de modifications dans l'esprit humain. Au lieu d'enrichir la science, ce serait l'anéantir. Que penserait-on d'un anatomiste qui, ayant observé que la fibre de l'œil, cause du rouge, n'est pas la fibre qui produit le bleu, ou que la fibre de l'oreille qui donne un ton,

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