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d'une âme qui jouirait de l'existence avant d'être unie au corps; d'une âme non-seulement active, mais agissante; non-seulement capable de penser, mais pensant avant cette union, on n'aura rien fait pour autoriser le sentiment des idées innées. Car, ni l'activité, ni l'action, ni la faculté de penser, ni l'exercice de cette faculté, ne sont des idées : ce sont des causes d'idées.

Peut-on d'ailleurs mettre au rang des choses évidentes, que les élémens de la matière soient simples? Que deviennent les corps et l'étendue?

Remarquons, encore une fois et toujours, le mal que font les langues, les obstacles qu'elles opposent à la découverte et à l'exposition de la vérité, les divisions qu'elles font naître et qu'elles entretiennent, quand elles manquent de précision, quand on ne sait pas leur en donner, quand on n'a pas égard aux acceptions diverses que prennent les mêmes

mots.

Rien n'est dans l'entendement qui n'ait été dans le sens. Il y a, dans cette maxime, trois mots qui sont autant de sources d'équivoques (lec. 5). Otez ces équivoques, les disputes cessent à l'instant.

Que, pour tous, le mot entendement désigne l'âme elle-même, la maxime devient fausse pour tous. Tous la rejetteront à l'unanimité. Car aucun des philosophes qui reconnaissent une âme distincte du corps, n'a jamais voulu dire que rien, absolument rien n'appartint à l'âme indépendamment des sensations, indépendamment de l'action des objets extérieurs qui produisent les sensations.

Ce n'est pas ainsi que l'entendait Locke, le chef des adversaires des idées innées. Leibnitz, qui a fait un ouvrage exprès pour le combattre, en convient lui-même. « Mon opinion, dit-il, s'accorde assez avec celle de l'auteur de l'Essai sur l'entendement. humain, qui cherche une bonne partie des idées dans la réflexion de l'esprit sur sa propre nature. » (Nouveaux Essais, p. 67.)

Ce n'est pas ainsi que l'entend Condillac quelle que soit la manière dont il s'exprime dans son analyse des facultés de l'âme. Permettez-moi de reproduire un passage du traité des sensations que j'avais déjà cité (t. 1. p. 232 ). « Il y a en nous, dit-il, un principe d'action que nous sentons, mais que nous ne pouvons définir, on l'appelle force. Nous sommes également actifs par rapport à tout ce que cette

force produit en nous, ou au dehors. Nous le sommes, pas exemple, lorsque nous réfléchissons ou lorsque nous faisons mouvoir un corps. >> (Traité des Sensations, p. 63.

63.)

Si donc le mot entendement n'avait jamais eu qu'une seule acception; si on l'avait toujours fait servir à désigner l'âme exclusivement, la maxime sur laquelle on a tant disputé, sur laquelle on dispute tant encore, n'aurait pas divisé les esprits, ou les aurait certainement moins divisés.

Car alors, au lieu de dire aucune chose, on eût dit, aucune idée n'est dans l'âme avant le sens; et cette substitution du mot idée au mot chose aurait fait disparaître en même temps l'équivoque du mot rien, nihil, qui peut signi fier ou les seules idées, ou les idées et les facultés tout à la fois.

Mais supposé que tous les philosophes se fussent accordés sur la maxime, aucune idée n'est dans l'entendement, c'est-à-dire, dans l'esprit ou dans l'âme avant le sens ; je dis qu'ils se seraient accordés sur une erreur, en énonçant matériellement une vérité, parce qu'ils traduisaient cette maxime par cette autre, toutes les idées viennent du sens, et que sens pour eux, n'était que la sensation.

le

Sans doute aucune idée n'est antérieure à la sensation; toutes la présupposent; mais toutes n'en viennent pas; nous savons que les seules idées sensibles dérivent de cette source (lec. 2 et 3).

Toutes les idées ont leur origine dans le sentiment, comme elles ont leur cause dans l'action des facultés de l'entendement. Il n'y a là ni équivoque, ni obscurité; et cette proposition bien établie, renverse à la fois, et les systèmes qui font les idées originaires des seules sensations, et les systèmes qu'on a compris sous le nom d'idées innées.

Je pourrais m'arrêter ici; et même vous auriez presque le droit de vous plaindre de l'inutilité de cette leçon. Qu'est-il besoin de vous prouver qu'il n'y a pas d'idées dans une âme humaine avant son union avec le corps, que dis-je, dans une âme qui n'est pas encore, puisque l'âme humaine n'étant créée que pour former un homme, elle n'existe que dumoment de son alliance avec la substance matérielle (t. 1, p. 243)? Faut-il se donner la fatigue d'une pénible méditation pour arriver à ce résultat, que l'enfant, au moment de sa naissance, au moment où il est conçu au sein de sa mère, ne connaît ni les principes des scien

ces, ni les maximes de la morale? Et quand, après avoir observé l'action de votre entendement sur vos différentes manières de sentir, vous vous êtes assurés que les idées les idées, sans en excepter une seule, sont toutes acquises, me pardonneriez-vous de vouloir vous apprendre qu'elles ne sont pas innées? Ajoutons cependant quelques éclaircissemens, et dissipons les dernières incertitudes.

On parle, vous le savez, d'idées spirituelles; une des plus grandes objections qu'on fait aux adversaires des idées innées, c'est que les idées spirituelles ne sauraient venir des sens.

Je demande ce ce que c'est que des idées spirituelles. Si quelques idées seulement sont spirituelles et prennent exclusivement le nom de spirituelles, il y a donc des idées qui sont matérielles ou corporelles. L'auteur de la logique de P. R., en répondant à Gassendi, ne craint pas de s'exprimer de la sorte. « Selon la pensée de ce philosophe, dit-il, quoique toutes nos idées ne fussent pas semblables à quelques corps particuliers, elles seraient néanmoins toutes corporelles. » (Log., p. 11.)

Gardons-nous de jamais laisser échapper cette expression d'idées spirituelles, comme si toutes n'étaient pas des modifications de l'esprit. Gar

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