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c'est à l'esprit seul qu'est due l'idée de Dieu; mais, suivant Condillac, les sens ont fourni les matériaux, et, suivant Descartes, les sens n'ont rien fourni.

Descartes pouvait-il se dissimuler que les sens, les sensations, l'expérience, la réflexion contribuent à la connaissance de Dieu, à l'idée que nous nous en formons? Ignorait-il que c'est dans nous-mêmes, dans notre intelligence, dans notre propre nature, que nous trouvons le germe, ou plutôt une faible image des perfections divines, perfections que la raison démontre infinies en Dieu, tandis qu'elles sont limitées dans l'homme?

Non certainement, il ne l'ignorait pas; car voici ce qu'il dit dans sa réponse aux secondes objections:

« Je veux bien ici avouer franchement que l'idée que nous avons par exemple de l'entendement divin ne semble point différer de celle que nous avons de notre propre entendement, sinon, seulement, comme l'idée d'un nombre infini diffère de l'idée du nombre binaire Ou du ternaire; et il en est de même de tous les attributs de Dieu, dont nous reconnaissons en nous quelque vestige.

» Mais, outre cela, nous concevons en Dieu,

une immensité, simplicité ou unité absolue, qui embrasse et contient tous ses autres attributs, et de laquelle nous ne trouvons, ni en nous-mêmes, ni ailleurs, aucun exemple. (Médit., t. 1, p. 83, 84.)

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Malgré cette restriction de l'immensité, simplicité ou unité, il faut avouer que Descartes fait ici une bien grande concession, lorsqu'il accorde que presque tous les attributs de l'entendement divin ne sont que nos propres qualités portées à l'infini,

Observez que la restriction de Descartes paraît assez mal fondée; car on pouvait fort bien lui répondre que l'idée de l'immensité divine est prise de l'immensité de l'espace, et que celle de la simplicité ou unité se tire de la simplicité ou unité de notre âme.

Comment Descartes, qui semble si près de ses adversaires, Gassendi, Locke, etc., tenaitil néanmoins si opiniâtrément à ces idées que l'âme produit par sa seule énergie ?

On s'en rendra raison, et il y a apparence qu'on ne sera pas très-éloigné de la vérité, si l'on se met pour un moment à la place de Descartes. Descartes avait travaillé dix ans ses Méditations, qu'il regardait comme le premier titre de sa gloire. Ses découvertes mathémati

la

ques l'intéressaient bien moins que ce qu'il appelait ses découvertes métaphysiques. Or, dans ses Méditations, il prouve l'existence de Dieu, indépendamment de l'ordre de l'univers, et de toutes les impressions que les objets font sur nos sens; il prouve par l'idée de Dieu. Que l'idée de Dieu vienne des sens, soit immédiatement, soit médiatement, l'ouvrage porte à faux, et le travail de dix années est perdu. Ne soyons donc pas trop surpris que Descartes ait tenu si fortement à l'idée de Dieu formée par la seule faculté de penser.

Qu'on me permette une réflexion, que je n'applique pas à Descartes. Oublions un instant ce grand homme, dont on ne saurait parler avec trop de vénération. Plusieurs philosophes ont cru, en différens temps, avoir trouvé de nouvelles preuves de l'existence de Dieu; et, d'ordinaire, ils n'ont pas manqué de donner ces preuves comme les seules démonstratives. Il y en a même qui se sont complu à faire l'énumération de tous les argumens employés par les philosophes ou par les théologiens; et, parce que ces argumens ne rentraient dans leurs pas spéculations chimériques, ils n'ont pas balancé à les traiter de sophismes.

C'est contre cette présomption téméraire

que je m'élève, et je la dénonce au respect qu'un individu doit aux nations. Oser soutenir qu'on a découvert enfin la seule bonne démonstration de l'existence de Dieu, c'est accuser, en quelque sorte, tout le genre humain d'athéisme. L'homme simple qui, voyant la terre lui rendre en épis le grain qu'il a semé, lève les mains au ciel et bénit la Providence, a sans doute, de l'existence de Dieu, une aussi bonne preuve que ces orgueilleux philosophes.

5o. Comme Descartes ne pouvait pas renoncer à l'idée de Dieu produite par la seule faculté de penser, sans voir ruiner ses Méditations, Leibnitz était obligé de soutenir ses idées innées, sous peine de voir crouler l'édifice qu'il avait élevé avec ses monades.

Leibnitz prétend que l'univers est composé de monades, c'est-à-dire, d'êtres simples. Les monades, dit-il, sont la seule chose qu'il y ait au monde. Car tout ce qui existe est ou monade ou collection de monades; or une collection n'est pas quelque chose de réel ; l'existence appartient donc aux seules monades. Mais les monades, à cause de leur simplicité, n'agissant pas les unes sur les autres, où sera la raison des changemens que nous voyons dans l'univers? Pour la trouver, Leibnitz se

voit dans la nécessité de faire de chaque monade un centre d'action. Voilà pourquoi il ne peut pas se relâcher sur ces perceptions obscures ou claires, sur ces tendances, ces efforts, ces virtualités, ces principes d'action, en un mot, qu'il accorde aux monades et à la monadeâme, indépendamment de son union avec le corps, si pourtant l'on peut dire et comprendre que l'âme soit unie à un corps, lequel n'est qu'une collection de monades, dont chacune est elle-même un centre d'action.

L'âme tient de sa propre nature toutes ses facultés; elles ne lui viennent pas de son union avec le corps; mais c'est parce que l'âme est unie à un corps, que ses facultés se changent en opérations; c'est parce qu'elle est unie à un corps qu'elle passe de l'activité à l'action. Leibnitz lui-même avoue, quoique à tort, que les pensées répondent toujours à quelque sen

sation.

Sans doute que les facultés sont innées, de même que les virtualités, les dispositions, etc. Qui le nie? Qui l'avait jamais nié à l'époque de Leibnitz? Mais peut-on dire que des facultés innées, des virtualités innées, sont des idées innées ?

Et même, si l'on veut faire la supposition

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