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ou un architecte le plan d'un palais, je voulais me faire une idée de ce tableau et de ce palais, je n'aurais qu'un moyen, ce serait de m'adresser au peintre et à l'architecte, et de les prier de me communiquer ce qui n'existe encore que dans leur imagination. Mais si le peintre avait exécuté son tableau ; si l'architecte avait bâti le palais, il me suffirait de regarder leur ouvrage, et de l'étudier pour en prendre con

naissance.

Dieu a réalisé le monde. Le monde existe. Nous pouvons le contempler, l'admirer et nous en faire une idée; idée toujours imparfaite sans doute, mais plus ou moins conforme à son modèle. Qu'est-il besoin que Dieu se manifeste immédiatement lui-même pour nous faire connaître ses ouvrages, quand il nous manifeste ses ouvrages?

Mallebranche répondrait sans doute, que Dieu ne peut manifester ses ouvrages qu'en nous manifestant sa propre essence; mais c'est là précisément ce qui est en question. C'est là ce qu'il fallait prouver, autrement que par un dénombrement inexact de toutes les manières d'obtenir des idées. (Rech. de la vérité, 2o. partie, chap. 1.)

Le système de Platon a donc été abandonné,

t

même par ceux qui ne veulent pas que les idées viennent des sens; et l'on a dit :

2o. Il est faux que nous voyions tout en Dieu; et il est faux que les idées viennent des sens. Les idées sont innées. Par cela seul que l'âme existe, elle a quelque connaissance. Vous cherchez l'origine des idées : elles n'ont pas d'origine; elles n'ont jamais commencé pour l'âme; elles en sont inséparables.

Ce système est universellement attribué à Descartes. Je ferai voir tout à l'heure que Descartes n'a jamais admis les idées innées dans le sens qu'on les lui attribue. Mais si Descartes n'admet pas les idées innées, Leibnitz les admet; et je vais vous dire ce qu'il pense à ce sujet.

3°. On a interprété de deux manières différentes la pensée de Leibnitz. L'une en donne une idée inexacte, l'autre la fait mieux connaître. Je commencerai par la première.

Tout le monde sait que, dans l'intérieur d'un bloc de marbre se trouvent toutes sortes de figures, celle d'Hercule, de Thésée, celle d'un lion, etc. Il ne s'agit que d'enlever la couche qui les enveloppe. Les idées sont-elles dans notre âme comme toutes les figures sont dans

un bloc de marbre? Non, ce n'est pas ainsi que l'entend Leibnitz.

Mais vous avez pu remarquer que la plupart des marbres sont traversés dans tous les sens, par des lignes de différentes couleurs. Or, supposons que les veines qui sont cachées dans l'intérieur d'un bloc de marbre, soient disposées de telle manière, qu'elles dessinent le corps d'Hercule; alors, en enlevant l'enveloppe qui cachait Hercule, vous aurez sa figure, mais une figure qui, avant le travail du sculpteur, était toute dessinée.

C'est ainsi, dit Leibnitz, que les idées sont dans l'âme avant les sensations, avant l'action des objets extérieurs sur nos sens. L'âme a donc des prénotions, des anticipations, des germes de connaissances, des perceptions obscures, des semences de vérité; elle a des dispositions, des penchans, des virtualités, etc. Leibnitz varie son expression de toutes les manières pour faire entendre qu'il y a dans l'âme quelque chose d'antérieur à l'action des sens, quelque chose d'inné, quelque idée innée.

2

Et à ceux qui lui rappellent que rien n'est dans l'entendement qui n'ait été auparavant dans les sens, il répond qu'il faut excepter l'entendement lui-même. Nihil est in intellectu

quod non fuerit in sensu, excipe, nisi ipse intellectus. (Nouv. Essais, p. 67. )

L'entendement est dans l'entendement ! l'entendement est inné à l'entendement ! Quel langage!

Le mot entendement a trois acceptions diverses. Il désigne l'âme, la substance de l'âme ; il désigne la faculté ou la puissance qu'a l'âme d'acquérir des idées; et on l'emploie encore pour exprimer les idées elles-mêmes, la réunion des idées, l'ensemble de toutes les connaissances qui sont dans l'âme.

Quand vous dites que l'entendement est inné à l'entendement, ce mot entendement répété deux fois, ne peut pas être pris deux fois dans la même acception; ce serait dire, ou que l'âme est innée à l'âme, ou qu'une faculté de l'âme est innée à cette faculté, ou que les idées sont innées aux idées.

Il faut donc que l'acception du mot entendement change; et alors vous dites; ou que la faculté d'acquérir des idées est innée à l'âme, qu'elle appartient à l'àme indépendamment de l'action des sens ( vérité incontestable sans doute, mais qui ne prouve rien pour vous, puisqu'une faculté n'est pas une idée); ou que ce sont les idées elles-mêmes qui sont innées

à l'âme, qui sont innées; et c'est la chose en question, c'est ce qu'il s'agit de démontrer.

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Vous croyez y réussir en ajoutant que « l'âme renferme l'être, la substance, l'un, le même la cause, la perception, le raisonnement, et quantité d'autres notions que les sens ne sauraient donner.» (P. id.)

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Mais, 1°. de ce que ces prétendues notions ne sauraient être données par les sens ou de ce qu'elles n'ont pas leur origine dans les sensations, on n'a pas le droit de conclure qu'elles sont innées; car il peut se faire qu'elles aient leur origine dans quelque autre manière de sentir.

pas

2o. L'âme renferme l'étre, la substance, etc. Cela veut dire que l'âme est un étre, qu'elle est une substance, qu'elle est une, qu'elle ne cesse d'être la même, qu'elle est cause, qu'elle a la faculté de percevoir, qu'elle a la faculté de raisonner; et non pas qu'elle ait l'idée ou la notion de l'être, de la substance, de l'unité, de l'identité, de la cause, etc.

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Leibnitz confond les facultés de l'âme, ses dispositions, et d'autres fois ses habitudes soit actives, soit passives, avec les idées de toutes ces choses. Et, ce qu'on a de la peine à concevoir, c'est qu'en faisant les idées indépen

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