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phie consiste à découvrir les causes secondes qui produisent les divers phénomènes du monde. Vous dégradez la Divinité, ajoute-t-il. Vous la faites agir comme un horloger qui, ayant fait une belle pendule, serait continuellement obligé de tourner l'aiguille avec le doigt pour lui faire marquer les heures. Un habile mécanicien monte d'abord sa machine, et élle va d'elle-même pendant un certain temps. Dieu, lorsqu'il a créé l'homme, en a disposé toutes les parties et toutes les facultés de telle manière qu'elles pussent exécuter leurs fonctions, depuis le moment de la naissance jusqu'à celui de la mort. En bonne philosophie, comme au théâtre, il ne faut jamais faire intervenir la Divinité, à moins que son assistance ne soit absolument nécessaire.

4°. Je pense avoir trouvé, continue Leibnitz, quelque chose de plus philosophique. Dieu, avant de créer les âmes et les corps, connaissait tous ces corps et toutes ces âmes. II connaissait aussi tous les corps possibles, et toutes les âmes possibles. Or, dans cette variété infinie d'âmes possibles et de corps possibles, il devait se rencontrer des âmes dont la suite des perceptions et des déterminations correspondit à la suite des mouvemens que devait

exécuter quelqu'un des corps possibles. Car, dans un nombre infini d'âmes, et dans un nombre infini de corps, se trouvent toutes les espèces de combinaisons. Supposons maintenant que d'une âme, dont la suite des modifications correspond exactement à la suite des mouvemens que doit exécuter un certain corps, et de ce corps dont les mouvemens successifs correspondent aux modifications successives de cette âme, Dieu fasse un homme. Voilà entre les deux substances qui forment cet homme la plus parfaite harmonie. Partisans de l'influx, du médiateur, des causes occasionelles, vous faites de vains efforts pour rendre raison du commerce réciproque de l'âme et du corps. n'y a aucun commerce aucune communication, aucune influence. L'âme passe d'un état à un autre état, d'une perception à une autre perception, par sa seule nature. Le corps exécute la suite de ses mouvemens, sans que l'àme y participe en rien. Le corps et l'âme sont comme deux horloges parfaitement réglées qui marquent la même heure, quoique le ressort qui donne le mouvement à l'une, ne soit pas ressort qui fait marcher l'autre. Ainsi l'harmonie qui paraît unir l'âme et le corps, est indépendante de leur action réciproque. Cette

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II

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harmonie a été établie avant la création de l'homme; elle a été établie d'avance; c'est pourquoi je l'appelle harmonie préétablie.

D'après un tel système, si l'âme de César âgé de vingt ans, eût été anéantie, le corps de César n'en aurait pas moins assisté aux délibérations du sénat : il aurait commandé les armées, harangué les soldats ; il aurait passé dix ans dans les Gaules pour en faire la conquête ; il serait revenu à Rome pour usurper la dictature. Et si, au contraire, à ce même âge, le corps de César avait cessé d'exister, son âme n'en aurait pas moins résolu de faire tout ce que César a fait jusqu'à sa mort.

Je ne parle pas des atteintes qu'un pareil sys tème porte à la liberté. Comment, en effet, concilier la liberté dont nous jouissons, avec une suite de manières d'être qui toutes dérivent du premier état où l'âme s'est trouvée au moment de la création?

On sait ce qui arriva à Volf. Il enseignait l'harmonie préétablie dans une ville de Prusse, du temps de Frédéric-Guillaume. Ce roi avait une antipathie décidée pour les beaux-arts, pour toute littérature, et pour toute philosophie. Un ennemi de l'harmonie préétablie observa que Volf justifiait les soldats déserteurs,

par

disant qu'ils étaient entraînés à la désertion les lois de la nécessité. Volf reçut l'ordre de vider la Prusse dans les vingt-quatre heures, sous peine d'être pendu. A la mort de FrédéricGuillaume, son fils, Frédéric second, s'empressa de rappeler Volf, et il le combla de distinctions. Mais ni le bannissement, ni le rappel, ne prouvent rien pour l'harmonie préétablie.

Messieurs, il y a encore une manière de penser sur le mystère de l'union de l'âme et du corps, c'est celle de ceux qui confessent naïvement leur ignorance. C'était celle de Pascal; ce sera la vôtre, je le présume; ce sera aussi la mienne. Écoutez ce que dit Pascal : « L'homme est à lui-même le plus prodigieux objet de la nature; car il ne peut concevoir ce que c'est qu'un corps, et moins encore ce que c'est qu'un esprit, et, moins qu'aucune chose, comment un corps peut être uni à un esprit ; et cependant c'est son propre être. >>

Voilà ce que j'avais à vous dire sur les philosophes qui font toutes les idées, ou seulement quelques idées, originaires des sens. Examinous maintenant les opinions de ceux qui rejettent la maxime nihil est in intellectu, etc.

1o. Les idées ne sont pas dans l'âme; elles

sont en Dieu : c'est en Dieu que nous voyons tout. Ce sentiment est celui de Platon, de saint Augustin, et de Mallebranche. On imagine bien qu'une doctrine se modifie en passant des écrits d'un philosophe dans ceux d'un autre ; mais nous n'avons pas besoin de distinguer les nuances qui peuvent appartenir à chacun.

Dieu, dit Platon, avant de créer le monde, renfermait dans son entendement l'idée de ce monde, l'idée de tous les mondes possibles, et l'idée de toutes les parties de ces mondes. C'est sur les idées du monde actuel, idées qui étaient en Dieu de toute éternité, qu'il l'a réalisé au moment prescrit par sa sagesse. Or, puisque toutes les idées sont en Dieu, nous ne pouvons connaître ce qu'elles représentent qu'autant que Dieu se manifeste à notre esprit : c'est ainsi que conclut Mallebranche.

Si Dieu, avant de réaliser le monde, avait créé un esprit pur, il est évident que cet esprit n'aurait pu avoir une idée du monde, qu'autant que Dieu la lui aurait révélée, ou, si l'on veut, qu'autant que l'essence divine se serait manifestée à cet esprit; car, le monde n'existant pas encore, d'où cette intelligence auraitelle pu en prendre l'idée? De même, si un peintre, ayant conçu l'ordonnance d'un tableau,

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