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lieu? que les unes sont agréables et les autres désagréables? qu'on les distribue en autant de classes que nous avons de sens? qu'en général, elles ont plus de vivacité dans l'état de santé et dans la jeunesse, que dans un état de langueur, et sur la fin de la vie? Vous m'auriez difficilement pardonné ces paroles oiseuses, et j'ai dû vous en faire grâce.

Aurait-on désiré une description détaillée des organes des sens? Les bons livres sur cette matière, et ceux qui les font, ne sont pas rares à l'époque où nous vivons. Que l'on consulte ces livres et leurs auteurs, on en retirera une instruction curieuse pour tous, nécessaire à plusieurs, mais inutile pour nous.

Les sensations ne dépendent pas de notre volonté. Elles sont le résultat de l'action des objets extérieurs, et de la conformation de nos

organes.

Seulement il nous est permis de les modifier de plusieurs manières; nous pouvons quelquefois les fortifier, les affaiblir; nous pouvons les rapprocher, les comparer, et leur faire subir mille combinaisons diverses.

De ce travail sur les sensations, d'abord fait sans règle et presque au hasard, bientôt éclairé par l'expérience, naissent tous les jours des

idées. Ces idées sensibles donnent lieu à de nouvelles manières de sentir, et à de nouvelles idées qui vont toujours se multipliant, jusqu'à ce qu'enfin on les réunisse en corps de science.

C'est ainsi que l'architecte, qui ne peut rien sur la nature des pierres, choisit l'une, rejette l'autre. Il les taille, les façonne à son gré. Il les dispose en colonnes, en frontons, et finit par nous montrer un palais magnifique, où l'on ne voyait qu'un amas confus de matériaux épars.

Mais, de même que l'architecte laisse aux naturalistes et aux géologues le soin de reconnaître la manière dont se forment les pierres au sein de la terre, nous laissons aux anatomistes et aux physiologistes le soin de découvrir, s'ils le peuvent, la manière dont opère la nature dans les replis du cerveau, lorsque nous éprouvons une sensation.

Les sensations sont les données de la nature. La métaphysique, qui est l'ouvrage de l'homme, part de ces données. Elles lui servent aussi de matériaux, de premiers matériaux; elles ne sont pas son objet comme les pierres ne sont pas l'objet de l'architecture, comme le marbre n'est pas l'objet de la sculpture.

A l'instant où la métaphysique s'occupe des sensations, elles cessent d'être de pures sensa

tions, pour faire place à des idées ; et le Traité des sensations, de Condillac, n'est lui-même qu'un traité de l'origine et du premier développement des idées de sa statue.

les sensa

Je ne devais pas commencer par tions, puisque dans cette seconde partie je me proposais de traiter de l'origine des idées, et par conséquent des sensations qui sont une de ces origines. Et qu'on ne dise pas qu'il fallait donc commencer par les idées plutôt que par les facultés. Cette observation peut s'adresser à ceux qui, ne mettant aucune différence entre les sensations et les idées, pensent que nous recevons passivement les idées, parce que nous recevons passivement les sensations. Nous qui croyons être certains, qui sommes certains que toutes nos idées, sans en excepter une seule, sont le produit de l'action de nos facultés, nous avons dû commencer par l'étude des facultés.

Ces réflexions justifient le plan que nous avons adopté; elles répondent à la première objection, quelque séduisante qu'elle ait paru

d'abord.

Seconde objection, contre notre doctrine des idées. Il ne nous est pas facile de bien saisir

votre doctrine sur les idées. Vous dites que toutes les idées ont leur origine dans le sentiment; vous dites même, de peur qu'on ne se méprenne sur votre pensée, que d'abord elles ont été sentiment, et rien que sentiment; en sorte que, selon vous, l'intelligence n'est au fond que la sensibilité.

S'il en est ainsi, pourquoi exigez-vous que nous mettions tant de soin à ne pas confondre les idées sensibles avec les sensations, les idées de rapport avec les sentimens de rapport; toutes les idées, en un mot, avec les sentimens qui leur correspondent?

Chose étonnante! d'un côté, vous faites tout pour nous démontrer que l'idée n'est que le sentiment; et de l'autre, comme si vous vous plaisiez à renverser votre ouvrage, vous ne cessez de nous répéter, qu'il faut bien se garder de confondre l'idée avec le sentiment.

Vous vous appuyez sur l'expérience pour distinguer l'idée, du sentiment. Nous allons nous appuyer aussi sur l'expérience pour ne pas l'en distinguer.

Un objet tout-à-fait nouveau s'offre à nos yeux au même instant, nous en recevons la sensation et l'idée, non pas comme deux cho

ses distinctes, mais comme une seule et même chose.

Peut-on se trouver en présence d'un étranger, qu'on n'aurait jamais vu auparavant, sans avoir aussitôt une idée de sa figure? l'entendre parler, sans être frappé de la différence de son langage au nôtre? Peut-on recevoir l'impression de la colonnade d'un palais ou d'un temple, de l'aspect d'une haute montagne, d'un météore qui paraîtrait la nuit dans les cieux, sans en prendre quelque connaissance; non, pour le redire encore, une connaissance distincte de la sensation reçue, mais une connaissance qui

soit une même chose avec cette sensation?

Les métaphysiciens ne s'étaient guère avisés de cette subtile distinction entre les sensations et les idées. Chez eux, apercevoir c'est sentir; et sentir c'est apercevoir. Ils croient presque tous que les objets extérieurs nous envoient immédiatement des idées sensibles; et ne sontils pas fondés, d'après les observations que nous venons de vous rappeler?

Réponse. L'idée est le sentiment. L'idée n'est pas le sentiment. - Ces deux propositions vous paraissent se contredire; et je conviens que la contradiction est dans les mots. Elle sera aussi dans les mots, si je dis :

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