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tus Empiricus, oubliant qu'il n'y aurait rien de relatif, s'il n'y avait pas quelque chose d'absolu.

Nous pouvons connaître l'absolu, disent les autres, ne s'avisant pas que l'absolu, du moment qu'on pourrait le connaître, du moment qu'on pourrait s'en former une idée, cesserait par cela même d'être absolu pour devenir relatif; et que nous ne pourrions le connaître que parce qu'il agirait sur nous, ou que nous agirions sur lui.

Ne visons pas à l'impossible; renonçons à la vajne espérance d'allier des choses contradictoires, des idées qui s'entre-détruisent. Connaître l'absolu, ce serait anéantir dans notre esprit son caractère d'absolu.

Lors donc que nous disons que rien ne nous intéresse aussi vivement que la connaissance de la raison des choses, ce n'est pas de ce qu'il y a d'absolu dans les choses que nous voulons parler. Quel intérêt pourrait nous in pirer ce qui n'a aucun rapport à nous? je veux dire, quel intérêt pourrait inspirer à une intelligence raisonnable, ce qui lui est démontré lui être inaccessible? (Lec. 5.)

C'est le relatif qui nous importe. C'est de ce que nous sentons, de ce que nous voyons, de

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ce que nous pouvons voir et sentir, de ce que nous pouvons atteindre par les facultés de notre esprit, qu'il faut chercher à connaître les raisons; et, comme nous ne pouvons juger des choses que par que par les idées que nous nous en faisons, c'est la raison des idées qui est pour nous la raison des choses,

Si nous connaissions la raison de toutes nos idées, nous connaîtrions la raison des choses, autant qu'il est donné à notre faible nature de la pénétrer.

La raison des idées se trouve dans leur origine et leur génération; elle nous sera connue, si nous voyons comment les idées naissent successivement les unes des autres; car, lorsqu'en remontant d'idée en idée jusqu'à celle qui est la première de toutes, nous nous sommes assurés de l'origine immédiate de chaque idée en particulier, alors nous voyons que chaque idée est engendrée par celle qui la précède, et qu'elle engendre celle qui la suit, et, par conséquent, qu'elle a sa raison dans celle qui la précéde, et qu'elle est elle-même la raison de celle qui la suit.

Or, apercevoir que certaines idées ont leur raison dans celles qui les précèdent, et qu'elles sont elles-mêmes la raison de celles qui les suivent, c'est raisonner.

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L'étude de l'origine et de la génération des idées, la métaphysique; ou l'étude de la raison des idées ; ou l'étude de la raison des choses; ou le raisonnement, le raisonnement en action, c'est donc une même chose.

Et, puisqu'il est vrai que toute théorie suppose quelque pratique, la logique, qui est la théorie du raisonnement, ne peut venir qu'après la métaphysique, qui en est la pratique. En disposant ainsi les parties du cours, loin d'avoir fait un renversement d'ordre, nous avons assigné à chacune sa véritable place. Nous nous sommes conformés à l'esprit du fondateur de la philosophie en Europe. « La philosophie, dit Descartes, doit commencer par la métaphysique, qui contient les principes de la connaissance. » (Préf. des principes.)

Que si, malgré tous ces motifs, il restait encore du doute; si cette considération, que nous ne sommes pas des enfans au moment où nous allons recevoir les premières leçons de philosophie, conservait une partie de sa force; si l'on persistait à croire que des réflexions sur la manière de diriger nos facultés ne sauraient être déplacées à l'ouverture du cours, voici un moyen qui, peut-être, conciliera tout.

Accordons que des observations sur le rai

sonnement ne seraient pas anticipées, quoique présentées dès le début; accordons qu'il serait temps de nous faire remarquer enfin que, depuis vingt ans, nous faisions des raisonnemens comme de la prose, sans le savoir.

Mais, en faisant ces concessions, nous nous garderons de convenir que le moment soit arrivé de chercher à nous faire connaître tous les artifices, soit de la prose, soit des vers; ce que la méthode de Newton et celle de Corneille ont de commun, et ce qu'elles ont de particulier; ce qui dans le raisonnement, est de son essence, et ce qui appartient à ses formes seulement; ce qu'il doit à la parole, et ce qu'il ajoute à l'intelligence, etc. Ces questions, et plusieurs autres non moins importantes, veulent des esprits long-temps exercés, long-temps nourris de la lecture des poëtes et des orateurs, autant que de celle des philosophes.

J'ai donc pu, vous trouverez peut-être que j'ai dû commencer le cours de philosophie par une leçon sur la méthode (t. 1, leç. 1). Je n'en ai montré d'abord que ce qui m'a paru nécessaire pour l'intelligence des leçons qui allaient suivre, me proposant de reprendre ce sujet, lorsque nous serions mieux placés pour lui donner tous ses développemens. Cependant

je n'ai guère manqué l'occasion de vous faire sentir combien il est avantageux de nous rendre compte de ce que nous faisons, quand nous pensons et quand nous raisonnons. L'esprit s'élève à toute la perfection dont il est susceptible, si, de bonne heure, il remarque ses manières d'agir, pour les répéter dans les mêmes. circonstances, quand déjà elles ont produit un bon effet; pour s'en abstenir, quand elles n'ont pas été suivies du succès. C'est à cette habitude de nous observer que nous devons tout; et ne croyez pas que ce soit un travail sans fin. La bonne méthode une fois acquise ne se perd plus; elle nous sert comme à notre insu. A la vérité, dans les commencemens elle exige quelques soins; mais ne nous en plaignons pas, puisqu'elle ne les exige qu'une fois, et qu'elle nous en récompense à chaque moment de la vie.

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En voilà assez à l'occasion de la première difficulté qu'on nous a opposée.

Vous auriez dû, nous dit-on, présenter d'abord le tableau des sensations, et le faire suivre immédiatement de celui des idées.

Qu'aurais-je pu vous apprendre sur les sensations considérées en elles-mêmes, et indépendamment des idées auxquelles elles donnent

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