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ordre dicté

par la nature; et que les règles des syllogismes, qui certes ne sont pas la première découverte de la philosophie, soient pourtant une des premières choses qu'on nous enseigne? Il faut bien que cet usage soit fondé sur quelque motif, puisque nous le voyons suivi par des hommes d'un grand mérite.

Vous allez juger si l'on n'a pas trop donné à une considération qu'il ne fallait pas négliger sans doute, mais qu'il fallait contrebalancer par d'autres considérations.

que,

Je suppose qu'au moment d'entreprendre l'étude de la philosophie, nous n'eussions jamais fait aucun raisonnement, et que nous fussions privés de toute idée; il est bien évident dans cette supposition chimérique, il ne faudrait pas commencer par les règles du raisonnement, puisqu'il n'y aurait encore rien à régler, et qu'il nous serait même impossible de comprendre ce qu'on voudrait dire par des règles.

Il faut donc avoir acquis quelques connaissances avant de chercher à les ordonner; il faut avoir fait usage de sa raison avant de pouvoir la soumettre à des méthodes. Aussi les jeunes gens qui se présentent à nos écoles, n'arrivent-ils pas avec un esprit tout neuf. Ils

ne sont pas comme la table rase d'Aristote. Ils ont déjà étudié les langues anciennes, la littérature, l'histoire, les mathématiques; ils ont beaucoup pensé, beaucoup raisonné, longtemps, en un mot, exercé leur intelligence.

Voilà ce qui a pu faire croire qu'on ne saurait trop se hâter de leur faire connaître les lois de la pensée, de leur dévoiler l'artifice des formes du raisonnement.

Si, en effet, ils n'avaient que des idées justes et des habitudes droites, rien ne serait plus sensé que de leur faire remarquer d'abord comment ils se sont conduits pour acquérir ces idées, pour contracter ces habitudes. Des réflexions sur les procédés qui auraient amené de si heureux résultats, leur feraient sentir le besoin de perfectionner encore ces procédés, elles les mettraient sur la voie de découvrir de nouvelles méthodes pour les nouvelles études auxquelles ils se destinent.

Mais il s'en faut que nos esprits se trouvent aussi bien disposés au moment où, des études de l'enfance et de la première jeunesse, nous passons à l'étude de la philosophie. On a mis sous nos yeux un grand nombre d'objets, il est vrai; plusieurs sciences ont successivement appelé notre attention; mais ce que nous savons,

l'avons-nous appris, ou nous l'a-t-on appris? Les idées qui nous sont devenues les plus familières sont-elles notre ouvrage, ou les reçumes-nous toutes faites? Sont-elles le produit de la réflexion, ou ne sont-elles que déposées dans la mémoire? Chacun peut répondre d'après son expérience personnelle. Je ne nie pas les exceptions; mais on ne doit pas se règler sur les talens privilégiés.

On voit donc qu'avant de chercher des méthodes pour conduire l'esprit, des règles pour assurer le raisonnement, des moyens pour le vérifier, il faut commencer par faire agir l'esprit, par raisonner, et par bien raisonner, si nous pouvons.

S'il existait une science qui, plus que toute autre, fût le raisonnement en action; si, en même temps, cette science bien exposée était la plus facile de toutes, quoiqu'on ne s'en doute pas; si c'était celle que tous le monde aime le mieux, quoiqu'on s'en doute moins encore; que pourrions-nous faire de plus utile et de plus agréable, que d'apprendre une pareille science pour nous préparer à la théorie du raisonnement?

De tous les objets qui intéressent la curiosité de l'homme, il n'en est aucun qui l'attire avec

un charme aussi puissant que la connaissance de la raison des choses: les sages de tous les siècles en ont fait leurs délices. L'enfant qui commence à bégayer demande la raison des choses. Pourquoi est un des premiers mots qui sortent de sa bouche, un de ceux qu'il répète le plus souvent; et la philosophie n'a été créée que pour répondre à sa question.

Que de chimères cependant, que d'extravagances ont fait naître ces mots, connaître la raison des choses!

Vous vous souvenez de l'abus étrange qu'on a fait du mot raison, quand on a restreint son idée à celle de principe dans des circonstances où la raison ne pouvait être que la cause (t. t. 1. p. 431).

On n'a pas du mot chose.

moins abusé du mot connaître et

Connaître, c'est avoir idée; et l'on a confondu les idées que nous nous formons des choses, avec la certitude que nous acquérons de leur existence. On n'a pas craint d'avancer qu'être connu, c'est exister, et que la réalité des êtres consistait à étre aperçus. L'architecte connaît le palais qu'il veut construire, avant que le palais existe. Nous avons tous la certitude qu'il existe une force qui porte les corps

vers le centre de la terre, quoique personne ne connaisse cette force, quoique personne n'en ait idée.

Quant aux choses, nous pouvons, dans nos raisonnemens, les prendre d'une manière absolue, ou bien les considérer d'une manière relative, c'est-à-dire, dans les rapports qu'elles ont à nous, pour en déduire les rapports qu'elles ont entre elles.

Considérées, sous ce dernier point de vue, dans les rapports qu'elles ont à nous, nous pouvons tout à la fois connaître les choses, et nous assurer de leur existence.

Considérées dans ce qu'elles ont d'absolu, nous pouvons bien nous assurer de leur existence, mais non pas la connaître, non pas nous en former des idées.

On est tombé ici dans deux contradictions bien étonnantes, et ce qu'il y a de plus étonnant encore, c'est qu'en partant de ces contradictions, certains philosophes ont eu l'orgueil ou la simplicité de penser qu'une nouvelle philosophie allait s'ouvrir devant l'esprit humain; de nouvelles clartés allaient enfin dissiper les ténèbres qui, jusqu'à eux, avaient obscurci

que

l'entendement.

Tout est relatif, disent les uns, d'après Sex

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