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assez sur des opinions qui ne sont, en effet, que des opinions. Comment seraient-elles autre chose, quand elles s'appuient sur des définitions, arbitraires pour la plupart, et presque toujours faites d'avance, comme si la nature devait se plier à nos fantaisies, et changer aussitôt ses lois pour celles qu'il nous plaît de lui commander, en vertu de nos définitions?

Peut-être, messieurs, en voyant combien il nous a été facile d'apprécier les divers sentimens des philosophes, et de résoudre quelquesunes des questions qui les divisent, serez-vous plus disposés à consentir à ce que je vous ai proposé.

Peut-être ne permettrez-vous plus au doute d'approcher de ces vérités; que le germe de

toutes nos connaissances se trouve dans le sentiment; que ce germe eût été à jamais stérile s'il n'avait été fécondé par un principe actif; que la lumière de l'esprit n'a pu naître que de ce concours; et qu'au moment même où il s'est opéré, un premier rayon, échappé du fond de son être, a annoncé à l'homme qu'il possédait une intelligence.

Mais cette facilité de discussion, et cette évidence de raisonnement, s'il m'est permis de le dire, vous les attribuerez surtout au soin

que nous avons pris de mettre quelque exactitude dans notre langage, à l'attention constante de ne jamais faire usage d'un mot essentiel, sans nous être auparavant assurés de l'idée dont il devait être le signe.

Semblables à ces échos dont il suffit d'appeler un seul pour qu'aussitôt il appelle l'écho voisin, qui, à son tour, éveille, comme en sursaut, tous les autres, les mots d'une langue bien. faite s'appellent et se répondent à l'instant, non en imitateurs serviles comme l'écho, mais en interprètes toujours libres, et cependant toujours fidèles, jusqu'à ce que celui qui n'a plus besoin d'interprète, celui qui est lié au sentiment, ait fait entendre sa voix.

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Objections contre l'ordre de nos leçons, et contre notre doctrine des idées.

DANS une des dernières séances ( leçon 5), je me suis engagé à revenir sur quelques objections, que je me voyais, pour le moment, forcé de laisser sans réponse. J'aurais répondu à toutes, à mesure qu'elles m'étaient adressées, si je n'avais craint d'interrompre une suite de raisonnemens qui demandaient à être rapporprochés pour se prêter un appui mutuel.

Maintenant, qu'à l'exception des idées innées dont je parlerai à la prochaine leçon, j'ai fait connaître suffisamment quelle est ma manière de concevoir les premiers développemens de notre intelligence, je puis et je dois chercher à acquitter ma promesse.

Première objection, contre l'ordre de nos leçons. - Le sujet qui sert de texte à vos leçons, c'est l'entendement humain, que vous considérez sous trois points de vue, dans sa nature dans ses effets et dans ses moyens. La nature de

l'entendement, c'est la nature des facultés par lesquelles nous acquérons toutes nos connaissances, ou toutes nos idées. Les effets que produit l'entendement, ce sont les idées ellesmêmes; et les moyens de l'entendement, ce sont les secours dont il peut s'aider pour donner à ses facultés plus de force, plus de rectitude; à ses connaissances, plus de sûreté, plus de justesse.

De ces trois points de vue, vous voyez naitre deux sciences: d'abord la métaphysique, qui traite en deux parties distinctes, de la nature et des effets de l'entendement; ensuite la logique qui doit nous faire connaître les moyens qui peuvent favoriser l'action de l'entende

ment.

Pourquoi disposer ainsi les choses? ne serait-il pas mieux de nous donner des règles pour conduire l'esprit, avant de l'appliquer à une étude qui passe pour être aussi difficile que celle de l'entendement? et, dans cette étude ne serait-il pas mieux d'observer l'entendement dans ses effets, avant de chercher à pénétrer dans sa nature ?

Cela ne suffirait pas encore: comme il est indubitable que nous avons senti avant de connaître, vous auriez dû, ce semble, remonter

plus haut que les idées, et prendre les sensations pour votre point de départ.

Ainsi donc, en plaçant la métahysique avant la logique, et dans la métaphysique; les facultés de l'âme avant les idées, vous faites un double renversement d'ordre; et, en négligeant les sensations dès l'entrée, tout ce que vous voudrez nous enseigner manquera de base.

Réponse.- Disposer les parties d'un cours de philosophie de telle manière que l'étude de la métaphysique précède celle de la logique, c'est s'occuper de la formation des idées avant de s'occuper de leur déduction; c'est faire agir la pensée avant de se demander si son action peut être assujettie à des lois; c'est raisonner avant de songer aux règles du raisonnement.

Cette marche ne vous semble-t-elle pas bien naturelle? ne dirait-on pas même qu'elle est forcée, puisqu'il est absolument nécessaire d'avoir agi avant que l'idée de régulariser l'action puisse nous venir dans l'esprit? Les poëmes, quelques poëmes du moins, ont précédé les poétiques; les langues ont précédé les grammaires; et, en général, toute pratique a existé avant qu'on pût imaginer des théories.

Comment donc se fait-il que, dans presque tous les cours de philosophie, on renverse cet

TOME II.

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