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bondance; il sait quel jour sera le plus favorable pour se rendre au marché ; en un mot, il a des idées très-exactes et très-variées sur tout ce qui concerne le jardinage.

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Quant aux plantes stériles qui bordent son petit enclos, il les connaît à peine, quoiqu'elles soient continuellement sous ses yeux; il les confond toutes sous le nom général d'herbes, de mauvaises herbes, il n'a pas intérêt de les connaître plus particulièrement, à moins cependant qu'il n'en reçoive du dommage; car alors il ne manque pas de leur donner à chacune un nom particulier. Il a un égal intérêt de connaître ce qui lui nuit, et ce qui lui est utile.

A la place du jardinier, supposez un botaniste. Vous le verrez étudier toutes les parties de la végétation, depuis le cèdre jusqu'à l'hysope; il s'appliquera à désigner toutes les plantes par des noms caractéristiques; pour lui il n'en est aucune de stérile ou de nuisible : sa gloire n'est pas moins intéressée à connaître les unes que les autres.

Pourquoi l'astronome emploie-t-il le temps du sommeil à observer les astres, à mesurer leurs distances, à calculer leurs révolutions? Pourquoi le peintre cherche-t-il à démêler les moindres accidens des ombres et de la lumière? le mu

sicien, les plus faibles nuances d'un accord? le moraliste, les motifs les plus cachés de nos. actions? N'est-ce point parce qu'ils font consister leur intérêt, parce qu'ils placent leur gloire dans des découvertes de cette espèce?

Si les différens objets de la nature n'intéressent pas l'homme, il n'en prendra jamais connaissance. Comment les remarquerait-il, lorsqu'à peine il les voit? Les sensations sont si légères, si fugitives, qu'elles échappent à l'attention, qui seule peut les changer en idées, et les imprimer ainsi dans la mémoire.

Il faut donc, pour sortir de l'ignorance dans laquelle nous naissons tous, et pour nous former des idées des choses, ou nous borner à l'étude des objets qui ont un rapport direct à notre conservation, à nos besoins, à nos plaisirs, parce qu'alors seulement l'action sera naturelle à l'esprit ; ou, si la société nous fait un devoir d'acquérir des connaissances dont on ne sent pas d'abord les avantages, et vers lesquelles on ne se porterait qu'avec une sorte de répugnance, il faut suppléer l'attrait qui leur manque, par l'attrait même du travail qu'elles exigent, et par le plaisir de les acquérir.

Lorsqu'on nous expose des vérités déjà connues, ou lorsque nous nous livrons à la re

cherche de quelque vérité nouvelle, si les opérations de l'esprit se faisaient et se succédaient d'une manière régulière et bien ordonnée, le mouvement de la pensée, loin d'être une peine, serait le plus vif des plaisirs, plus vif même que celui d'avoir satisfait la curiosité ou un besoin plus réel de connaître; car la jouissance que donne la possession de la vérité est une jouissance de calme, de repos, au lieu que celle que nous donne la recherche de la vérité est une jouissance animée qui se fait mieux sentir.

L'exercice des facultés de l'esprit n'aurait donc rien que d'agréable, s'il était réglé par les lois d'une bonne méthode ; l'étude des lan; gues, des mathématiques, de la philosophie, de la législation, serait pleine de charmes; et une connaissance acquise serait toujours suivie du désir d'en acquérir une nouvelle.

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Il est rare que nous sachions ainsi nous conduire nous nous mettons à la suite de ceux qui nous ont devancés, nous supposons qu'ils sont dans la bonne voie; mais le plus souvent ils ne font que nous égarer après avoir inutilement usé nos forces.

De même que le corps se fatigue promptement dans un sentier raboteux et mal éclairé, de même l'esprit se rebute bientôt de parcou

rir une suite d'idées obscures, incohérentes, difficiles; et, comme ordinairement celles qui devraient être les premières sont loin de leur place véritable, c'est à l'entrée des sciences que se trouvent les plus grands obstacles. L'esprit, d'abord épuisé, croit qu'il n'est pas né pour l'action, et il reste immobile. Si rien n'avait contrarié les premiers pas qu'il a essayés; si ses premiers mouvemens s'étaient faits avec un grand ordre, avec une grande régularité, il aurait éprouvé des plaisirs inattendus qui l'auraient excité à se porter toujours en avant, pour en trouver toujours de nouveaux; et, arrivé au but, il aurait peut-être moins senti le bonheur de le toucher, que le regret de l'avoir atteint trop promptement.

Il faut donc ajouter une considération, et la plus importante des considérations, à cette vérité démontrée, que toutes les idées sont le produit de l'action de nos facultés. Il ne suffit pas, en effet, d'agir : l'intelligence n'atteindra jamais le point où elle peut s'élever, si l'action n'est pas soumise à des règles. C'est parce que le génie a trouvé le moyen de faire le meilleur emploi de ses forces, qu'il a inventé les sciences et les arts. Il doit tout à sa méthode ; et, si nous savions nous l'approprier, les choses

qui nous paraissent aujourd'hui les plus difficiles nous étonneraient alors par leur extrême simplicité.

Mais je résiste au désir que j'aurais de vous parler de la méthode : l'occasion de reprendre cet utile sujet se présentera de nouveau et plus d'une fois. Je veux, pour terminer cette séance, vous proposer, sur les idées, quelques questions qui ont beaucoup occupé et qui occupent encore beaucoup les philosophes. Si vous ne trouvez pas une grande difficulté à les résoudre au moyen des principes que nous avons établis, ce sera un motif de plus pour adopter ces principes avec confiance.

Les idées sont-elles antérieures aux sensations?

Il s'agit ou des idées sensibles, ou des idées intellectuelles, ou des idées morales. Veut-on parler des idées intellectuelles, et des idées morales? Nous avons fait voir qu'elles ne se montrent qu'après les idées sensibles. Veut-on parler des idées sensibles? Il est évident qu'elles supposent des sensations antérieurement éprouvées.

Les idées sont-elles indépendantes des sénsations?

Les idées sensibles ne sont pas indépendan

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