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et une comparaison; tandis qu'on obtient, ou que l'on peut obtenir l'idée absolue par la simple attention.

II y a donc entre les idées absolues et les idées de rapport, non pas une seule différence, mais deux différences très-remarquables. Les idées absolues ont toujours un objet qui leur est propre, et on les acquiert, ou du moins on peut souvent les acquérir par la simple attention. Les idées de rapport exigent une comparaison, et elles n'ont pas d'objet qui leur soit exclusivement propre, et distinct des deux objets qui ont donné lieu à l'idée de rapport.

On demandera peut-être quelle est l'utilité de ces analyses si recherchées, pour dédom mager de la fatigue qu'elles donnent.

Une analyse ne saurait être accusée de recherche, si elle est naturelle; or, elle est toujours naturelle, lorsqu'elle naît du sujet que

l'on traite,

Quand à la fatigue, j'aurais bien mal employé ma peine, si elle ne ménageait pas la vôtre.

Et quant à l'utilité, voici ce que j'ai à vous répondre : Si vous oubliez que les idées de rapport exigent toujours une comparaison, Vous vous exposerez à les confondre avec les

idées absolues; vous leur supposerez un objet à part; cet objet imaginaire prendra bientôt à vos yeux assez de consistance pour servir de base à quelque système, et votre philosophie ne portera sur rien.

Alors, vous réaliserez le froid, le chaud, le dur, le mol, le sec, l'humide, etc.; et, avec Aristote, vous ferez de la mauvaise physique.

Vous croirez apercevoir des choses positives dans les qualités relatives de l'âme, vous vous perdrez dans vos raisonnemens sur le beau, le bon, le sage, le fou, etc.; et, avec Platon, vous ferez de la mauvaise métaphysique.

Vous prêterez aussi une vaine réalité aux rapports de similitude; vous remplirez la nature de genres, d'espèces; et, avec les philosophes du moyen âge, vous ferez de la scolastique.

A quoi tiennent souvent les plus grandes erreurs ! un seul mot négligé, une seule idée mal démêlée, suffisent pour faire tout le mal, en corrompant les sciences dans leur source.

Je me borne, pour le moment, à ces réflexions sur les idées de rapport. Notre objet aujourd'hui n'est pas de nous livrer à des développemens sur ces idées, ni sur aucune es

pèce d'idées. Nous avions établi que toutes les idées, sans en excepter une seule, ont leur cause dans l'action de quelqu'une des facultés de l'entendement. On a cru que nous allions trop loin; qu'il n'est pas toujours nécessaire de la coopération de l'esprit, et que plusieurs idées nous viennent sans aucun travail de notre part. J'ai dû confirmer par de nouvelles observations ce que j'avais d'abord avancé, ce que j'avais prouvé; et j'ose croire que vous êtes maintenant persuadés, que nous ne sommes étrangers à la formation d'aucune de nos idées. Cette proposition ne peut être ni restreinte, ni modifiée; il faut la recevoir toute entière.

Les conséquences de ceci se présenteront en foule à ceux qui sont versés dans la lecture des philosophes. Je m'arrêterai à une seule, qui ne suppose aucune érudition philosophique, et que chacun pourra vérifier par des applications journalières.

Puisque toutes nos idées sont notre ouvrage, puisque toutes celles que nous avons acquises, et que nous pouvons acquérir, sont l'effet d'une action propre et nécessaire de l'âme; puisqu'il est vrai que la nature, en se réservant de faire naître elle-même le sentiment, nous a laissé le soin de notre intelligence; que, pour la

développer, il nous suffit d'appliquer l'activité dont elle nous a doués, aux divers sentimens qu'elle nous donne sans cesse, et qui ne nous manquent jamais; l'homme n'a donc pas le droit de se plaindre de son ignorance; il ne tient qu'à lui de s'en délivrer que lui faut-il pour cela? Sentir et agir : qu'a-t-il à faire sentir? Et que n'agit-il après avoir senti?

pour

C'est parce que nous laissons oisives nos facultés, que l'esprit est si dénué de connaissances. Le raisonnement, pour peu qu'il se prolonge, effraie notre paresse. Une compa raison, dont les termes ne se touchent pas, nous paraît aussitôt impossible ; et l'attention ne peut concentrer ses forces sur un seul point, sans faire violence à nos habitudes de dissipation.

Le mal est donc dans ce manque de courage, dans cette lâcheté d'âme, qui s'arrête ou qui recule à la moindre résistance.

Cependant, une expérience dont nous sommes continuellement les témoins, peut nous éclairer, et nous donner de la confiance; elle nous apprendra comment on surmonte une inertie malheureusement trop naturelle et comment, dans l'étude des sciences, nous pourrions être dispensés de trop de pénibles efforts. Nous voyons, en effet, que tous les hommes,

TOME II.

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quels que soient leur état, leur âge, leur pays, connaissent bien vite ce qu'ils ont un grand intérêt à connaître, ou plutôt ce qui les intéresse vivement; car il n'est que trop ordinaire qu'ilsse trompent sur leurs vrais intérêts. Nous voyons en même temps, que les peuples, comme les individus, restent étrangers à tout ce qui n'a à leurs nécessités, à leurs comde rapport pas modités, à leurs goûts, à leurs préjugés ; qu'ils ignorent les causes les plus simples des phénomènes de la nature, quand ils n'ont jamais senti le besoin d'en faire l'étude.

Observez, je vous prie, de quelle manière les connaissances varient avec les diverses positions où l'on se trouve.

Celui qui cultive paisiblement son jardin, se doute-t-il de ce que c'est que la métaphysique, de ce que c'est que l'algèbre ? A-t-il quelque idée de la science militaire, de la marine, des arts du luxe, etc.? Mais s'il ignore des choses qui lui paraissent autant de frivolités, il n'en est pas de même des productious qui fournissent à sa subsistance; ici, il est très-habile; il ne se trompe ni sur les différentes qualités des graines, ni sur le terrain ou l'engrais qui leur convient, ni sur le moment de semer, de planter, de recueillir; il prévoit la disette et l'a

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