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d'œuvre ; mais, distrait par d'autres soins, et par d'autres intérêts, il ne s'en sert pas pour regarder.

Que ceux qui prétendent que l'attention n'est pas toujours indispensable pour acquérir des idées, nous expliquent comment il se fait que dans une ville comme Paris, dont les murs sont couverts de toutes sortes d'écritures, d'adresses, d'enseignes, d'affiches, il se trouve, et non pas en petit nombre, des hommes de cinquante de soixante ans, qui ne connaissent pas les lettres de l'alphabet, des lettres qui n'ont cessé de frapper leurs yeux, depuis leur première enfance. Pour se faire des idées par le moyen de l'œil, il ne suffit donc pas de voir, de sentir, il est nécessaire de regarder, de donner son at

tention.

Vous raisonnerez sur tous les sens comme sur le sens de la vue; et vous concluerez avec certitude, qu'un être organisé comme nous le sommes, mais de manière, s'il est permis de le supposer, à ne jamais donner son attention, à ne jamais faire un usage actif de ses sens, à recevoir toujours passivement l'impression des objets, n'aurait aucune idée sensible, absolu

ment aucune.

Or, dès qu'il est une fois démontré que l'ac

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tion de l'âme est la cause productrice des idées sensibles, de ces idées qu'on acquiert avec une telle facilité qu'elles semblent naître spontanément des sensations, qu'elles semblent se confondre avec les sensations, que presque tous les philosophes ont confondues avec les sensations, il est démontré sans doute, que les idées intellectuelles et les idées morales, dont le plus grand nombre échappent à tant d'esprits, sont aussi le produit de l'action de l'âme, lorsque cette action s'applique aux trois autres manières de sentir, soit par la simple attention, soit par la comparaison, soit par le raisonne

ment.

Je n'ajouterais rien à ces réflexions, si toutes nos idées étaient absolues; mais nous avons des idées relatives, des idées de rapport; et ces idées jouent le plus grand rôle dans l'intelligence. Il est donc nécessaire de les considérer en particulier, afin de savoir en quoi elles diffèrent des idées absolues.

Je vous demande ce qui résulte en vous aujourd'hui de la présence d'une idée sensible. Remarquez bien que je ne vous demande pas ce qui résulte des premières idées sensibles qu'acquiert un enfant en venant au monde.

Vous répondez que l'idée sensible nous mon

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tre un corps, un objet extérieur à l'âme, ou quelque qualité de cet objet.

Que résulte-t-il de l'idée d'une faculté de l'âme? Elle nous fait connaître une faculté de l'âme.

Que résulte-t-il d'une idée morale? Elle nous fait connaître un acte moral, un acte produit par la volonté d'un agent libre, quand nous jugeons cet acte conforme ou contraire aux lois.

Ainsi donc, aux idées sensibles, aux idées des facultés de l'àme, aux idées morales, correspondent des réalités, des choses réelles qui sont en nous, ou hors de nous, et que ces idées nous font connaître.

Mais si je vous demande quelle est, en vous. ou hors de vous, la réalité qui correspond à une idée de rapport, à une idée de ressémblance, à une idée d'égalité; peut-être éprouverez-vous quelque embarras pour me répondre.

Comparons les idées absolues aux idées de rapport.

Je suppose que, l'oeil recevant l'impression simultanée de toutes les lettres qui composent un mot entier, le regard vienne à se fixer sur une seule de ces lettres : à l'instant la sensation produite par cette lettre se démêle des autres

sensations; elle les domine, elle est mieux sentie, et nous avons une idée sensible. De la même manière, nous en obtiendrons une seconde, une troisième, etc.

Or, lorsque par la direction de l'organe sur les objets de nos sensations, et par l'application de l'activité de l'âme aux sensations ellesmêmes, nous avons acquis plusieurs idées sensibles, et qu'elles sont à la fois présentes à l'esprit, il arrive souvent que nous sentons entre ces idées des ressemblances ou des différences; et alors nous pouvons continuer à déployer notre activité sur ces idées, comme nous pouvons la laisser oisive. Dans ce dernier cas, les idées, quoique présentes, se montrent faiblement à l'esprit, et nous sentons à peine qu'elles se ressemblent ou qu'elles diffèrent. Mais si l'action de l'âme continue à se porter, et à se porter avec plus de force sur ces idées, le sentiment de leur ressemblance, ou de leur différence, prend aussitôt de la vivacité; il devient idée de ressemblance, ou de différence.

Il n'en est pas de cette nouvelle idée, comme de l'idée sensible. L'idée sensible dérive d'une sensation qui suppose la présence d'un objet extérieur. L'idée de ressemblance ou de diffé

rence dérive d'un sentiment qui suppose la présence de deux idées existant à la fois dans l'esprit. Et, comme souvent il a fallu par la comparaison rapprocher ces deux idées, les porter en quelque sorte l'une sur l'autre, les rapporter l'une à l'autre, on a donné au sentiment qui naît de leur présence, le nom de sentiment de rapport.

Tant que le rapport est senti confusément, on lui laisse le nom de sentiment de rapport. Lorsque, par l'effet de l'action de l'âme, ce sentiment, de confus qu'il était, devient un sentiment distinct, on l'appelle idée de rapport, perception de rapport.

Ce que la sensation est à l'idée sensible, le sentiment de rapport l'est à l'idée de rapport. Lidée sensible suppose deux choses sensation préexistante, action de l'âme sur cette sensation.

L'idée de rapport suppose également deux choses sentiment de rapport préexistant, action de l'âme sur ce sentiment de rapport.

Les sensations sont les matériaux des idées sensibles. Les sentimens de rapport sont les matériaux des idées de rapport; et c'est l'actìvité de l'âme qui met ces matériaux en œuvre.

Les idées de rapport considérées sous le point

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