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sens organes du corps, ou des sensations qui sont des modifications de l'âme ? C'est ce qu'on ne dit pas.

Ainsi, on nous laisse dans la perplexité sur ce que nous devons penser, sur ce que nous devons croire, sur ce que nous devons enseigner. Mais que dis-je? et qui n'est pas intimement convaincu que la maxime qu'on attribue à Aristote, et que personne ne comprend, ni ne peut comprendre, ou du moins, que personne n'est assuré de comprendre, est, ou une vérité irréfragable ou une erreur monstrueuse?

Tel est trop souvent le funeste pouvoir du langage. Son influence se porte jusqu'aux générations les plus reculées; et parce qu'un homme s'est mal exprimé à une certaine olympiade, il faut que nous soyons divisés au dix-neuvième siècle de l'ère chrétienne.

Il ne tiendrait qu'à nous cependant de prévenir le mal ou de l'arrêter dans ses progrès. La parole n'est pas nécessairement trompeuse. Elle peut représenter fidèlement la pensée; c'est là sa destination; on peut l'y ramèner quand elle s'en écarte. Eh quoi! est-il donc si difficile de mettre de la clarté dans ses discours, quand on en a mis dans ses idées? et pourquoi

ne serait-on pas entendu des autres si l'on s'entend soi-même?

Nous croyons donc qu'on nous entendra, lorsque nous dirons : non pas que les idées viennent des sens, ou par les sens; non pas qu'elles viennent des sensations; non pas qu'elles ont leur origine dans les sens, ou dans les sensations; mais lorsque, rectifiant à la fois des opinions fausses, et des énoncés vicieux, nous dirons que :

Dans l'esprit de l'homme, il n'y a aucune idée qui n'ait son origine dans quelque sentiment; que les idées sensibles ont leur origine dans le sentiment-sensation ; les idées intellectúelles, dans le sentiment de l'action de l'âme, et dans le sentiment des rapports; les idées morales dans le sentiment moral :

Ou, pour nous exprimer en moins de mots : Toute idée a son origine dans le sentiment; ou, pour le dire plus brièvement encore, toute idée a été sentiment.

On pourra contester la vérité de ces propósitions; mais du moins on saura ce qu'on attaque.

J'ai reçu, en effet, des objections présentées avec une grande clarté. Je ne vous les communiquerai pas aujourd'hui. Je consacrerai une

séance particulière et très-prochaine à l'examen des raisons qu'on oppose, non-seulement à notre théorie des idées, mais encore à plusieurs des choses que nous avions déjà dites.

Concluons cependant que l'homme serait privé de toute intelligence, s'il était privé de toute sensibilité. Il n'aurait idée ni de l'univers, ni de l'auteur de l'univers, ni de lui-même, ni des rapports qui naissent de ces idées. N'étant pas averti de son existence propre, comment pourrait-il soupçonner d'autres existences?

Mais la nature ne l'a pas confondu avec les êtres insensibles: elle a voulu même que sa place fût au-dessus et hors de tous les êtres sensibles. S'il leur ressemble un moment par les sensations, il en diffère bientôt par les autres manières de sentir; et il s'en sépare surtout par le sentiment du juste et de l'honnête, qui sera éternellement étranger aux attributs de l'animal.

Le sentiment est donc la première condition de l'intelligence; comme l'action de l'âme, dont nous allons parler dans la leçon suivante, en est la seconde.

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Où manque, où finit le sentiment, là manquent, là finissent les idées.

Il n'y a rien, absolument rien pour l'intelligence de l'homme, non pas même l'idée de Dieu, autant qu'il nous est donné d'en concevoir la nature, qui n'ait ses racines dans le sentiment: il n'y a rien au delà du sentiment.

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Je ne dis pas au delà du sentiment il n'y a rren pour la certitude; je ne dis pas il n'y a rien pour la

croyance.

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Je dis que nos idées ne peuvent dépasser les bornes de notre sentiment.

Je dis qu'une philosophie qui se vanterait d'avoir franchi ces bornes, se vanterait d'avoir franchi les bornes de notre nature, les bornes de notre raison, et les bornes de l'âme humaine : ce serait une philosophie sans idées.

Et cependant il s'est trouvé des esprits qui se sont abusés jusqu'à penser qu'on n'atteint à la vraie science qu'en s'élançant ainsi; et cette science qu'ils ont cru posséder, ils l'ont nommée sublime, transcendante.

O combien Pascal pensait différemment ! « Il ne faut pas guinder l'esprit, dit-il; il ne faut pas donner à ces bonnes choses (aux con

naissances) le nom de grandes, hautes, élevées, sublimes, cela perd tout. Je voudrais les nommer basses, communes, familières; ces noms-là leur conviennent mieux: Je hais les mots d'enflure. »

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