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que des philosophes auxquels on accorde le sens commun, ont pu vouloir faire naître les idées morales: c'est du second.

Avec des couleurs, on fera des tableaux; avec des sons, on fera de la musique; on ne fera pas de la morale.

Mais, dans le sentiment de plaisir et de douleur, dans la conscience du bien-être ou du mal-être qui nous viennent de nos semblables, sentiment et conscience qu'on identifiait avec la sensation, qu'on appelait sensation, on a cru trouver les premières notions du juste et de l'injuste.

Voilà ce qu'on pouvait, et ce qu'il fallait attaquer, et non pas le rouge ou le bleu, le grave ou l'aigu, qui sont étrangers à la question, et qui n'y fussent jamais entrés, si elle avait été posée par une raison plus éclairée.

Je ne continuerai pas l'examen de ce qu'on a dit pour résoudre le problème de l'origine de nos connaissances. Nous trouverions toujours, ou erreurs, ou inexactitudes : les uns, sous le vain prétexte d'une perfection chiméque, ont voulu soustraire la raison de l'homme à toute influence de la sensibilité; les autres, n'ayant pas aperçu tous les modes de la sensibilité, et trompés par le mot sensibilité même,

ont demandé aux sensations plus qu'elles ne pouvaient donner; ils ont cru tenir d'elles ce qui leur venait de quelque autre manière de sentir; et cette méprise les a trop souvent égarés quant aux premiers, ils n'ont jamais été sur la bonne route.

Les philosophes ont donc mal raisonné, en traitant la question de l'origine des idées. Voyons si ceux qui se sont le moins éloignés de la vérité ont mieux parlé qu'ils n'ont raisonné. Je serai sévère jusqu'à la minutie; mais les vices du langage que je relèverai ont fait, et font encore tant de mal, qu'on devra me trouver trop indulgent.

On dit : les idées viennent des sens. J'observe d'abord que cette proposition est fausse dans sa généralité. On attribue à toutes les idées ce qui ne convient qu'aux idées sensibles : on suppose qu'il n'existe qu'une seule origine d'idées, quand il est démontré qu'il y en a plusieurs.

2o. En restreignant la proposition aux idées sensibles, et en supposant que des sens il pût venir quelque chose à l'âme, ce seraient de simples sensations, et non des idées sensibles; l'âme reçoit les sensations; elle ne reçoit pas les idées sensibles; elle les fait elle-même, en agissant sur les sensations..

3°. Les idées sensibles, alors même qu'on les confondrait avec les sensations, ne peuvent venir, ou être venues des sens, qu'autant qu'elles seraient, ou qu'elles auraient été dans les sens. Comme cette absurdité qu'on dit, n'est pas ce qu'on veut dire (car nous parlons ici des philosophes qui refusent l'intelligence et le sentiment à la matière), il s'ensuit qu'on s'est mal exprimé.

Les idées viennent par les sens. 1o, sens. 1°. Cette proposition pèche par sa trop grande généralité, comme la précédente; 2°. elle confond les idées, ou du moins les idées sensibles, avec les sensations; 3°. on donne à entendre que les idées sont primitivement dans les objets extérieurs, et que, pour arriver jusqu'à l'âme, elles passent à travers les sens : certainement ce n'est pas cela qu'on veut dire.

Mais, qui peut ainsi prendre ces propositions à la lettre? qui ne voit qu'on a voulu dire seulement que les l'idées ont leur origine dans la sensation, dans la modification que l'âme reçoit à l'occasion des mouvemens du corps?

Qui? lisez ce qui s'écrit; vous verrez qu'on demande encore aujourd'hui à ceux qui font venir les idées par les sens, si elles sont blanches ou noires, rondes ou carrées, pour être

entrées par la vue, ou par le toucher; vous verrez qu'on se porte, envers ceux qui font venir les idées des sens, comme envers ceux qui les font venir par les sens, jusqu'à les accuser de professer le matérialisme, et d'être les corrupteurs de la morale. Il est vrai que c'est par une déplorable confusion d'idées qu'on fait ces ridicules questions, et qu'on se livre à de pareils excès. On confond d'abord les idées sensibles avec les sensations, ensuite les sensations avec les impressions faites sur les organes; après quoi il n'est plus étonnant qu'on ne voie dans les idées qu'un simple mouvement de la matière, et dans l'homme qu'une machine soumise aux lois de la nécessité.

Un langage plus exact, une précision plus grande dans les énoncés, auraient prévenu ces imputations aussi absurdes qu'odieuses: mais continuons.

Les idées ont leur source dans la sensation ou dans la réflexion. Ceci laisse beaucoup à désirer sans doute; cependant on aperçoit une grande amélioration : 1°. les sensations ont pris la place des sens; 2o. dans la réflexion, on voit indiquée une seconde source d'idées; et quoique la réflexion ne soit pas une source d'idées (leç. 4), on n'a pu l'ajouter aux sensa

tions sans avoir reconnu l'insuffisance d'une source unique.

Nihil est in intellectu quod priùs non fuerit in sensu. Rien n'est dans l'entendement qui n'ait été auparavant dans le sens. Il y a peu de sentences qui aient joui de l'infaillibilité d'un axiome aussi long-temps que celle-là; peu qui aient été reçues avec un assentiment aussi universel.

Que dira-t-on, si, outre sa fausseté, elle renferme trois vices d'expression qui permettent de l'interpréter de trois manières différentes?

Nihil, rien. Comment entendrons-nous ce mot? Locke lui fait signifier aucune de nos idées, aucune de nos connaissances. Condillac entend par le même mot, aucune de nos idées, comme Locke, et de plus, aucune des facultés de notre âme. Quel est celui qui a mieux pénétré le véritable sens du prétendu axiome?

In intellectu, dans l'entendement. Est-ce de l'âme qu'il s'agit? est-ce d'une faculté de l'âme? est-ce d'une faculté qu'on voudrait supposer appartenir ou au corps ou à l'âme? est-ce de la réunion de toutes les idées? car le mot entendement a reçu toutes ces significations.

In sensu, dans le sens. Veut-on parler des

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