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d'une montre, que nous ne connaissons les élémens constitutifs de la pensée. Nous l'avions déjà dit (t. 1, p. 176-77); nous nous plaison's à le redire, pour appeler de nouveau la critique la plus sévère, et nous délivrer d'une illusion, si nous nous sommes laissés séduire par une fausse lumière.

3o. « L'idée de la pensée n'a pas son origine dans les sens; done l'âme forme cette idée de soi-même. >>

S'il était démontré, d'un côté, qu'il n'y a pas d'autre origine d'idées que les sens, et, de l'autre, que l'idée de la pensée ne vient pas des sens; il est clair que l'idée de la pensée se trouverait sans origine; et alors, on serait bien forcé d'avancer, ou que cette idée est innée, l'âme l'a produite d'une manière quel

ou que

conque.

Mais nous savons aujourd'hui, à n'en plus douter, que les sens ne sont pas la seule origine de nos idées; par conséquent, de ce que l'idée de la pensée n'a pas son origine dans les sens, on n'a pas le droit de conclure que l'âme la forme de soi-même; car une idée qui n'a pas son origine dans les sens, ou plutôt dans les sensations, peut l'avoir dans une autre ma

nière de sentir: la conclusion du raisonnement pas nécessaire.

n'est donc

4°. Examinons cette conclusion en elle-même, et isolée du principe dont on la déduit : l'âme forme de soi-même l'idée de la pensée. Je vous demande, non pas si vous saisissez la vérité ou la fausseté de cette proposition, mais si vous en comprenez le sens, si vous pouvez lui en prêter un.

L'âme fait-elle de rien l'idée de la pensée ? la forme-t-elle avec quelque matière préexistante renfermée dans sa substance?

Si elle la fait de rien, elle a donc la puissance de créer; si elle la forme avec une matière préexistante, qu'on nous dise quelle est cette matière préexistante. Ce n'est pas la sensation, puisque c'est pour écarter les sensations qu'on attribue à l'âme un pouvoir indépendant; ce n'est pas quelqu'une des trois autres manières de sentir; on n'en soupçonne pas l'exis

tence.

Qu'est-ce donc ? quelque idée endormie peutêtre, ideæ quæ manent sopita; mais alors il ne faudrait pas dire que l'âme forme ses idées, il faudrait dire qu'elle les réveille; et nous demanderions ce que c'est que des idées qui dorment, et comment on les réveille. Nous

TOME II.

pour

II

rions ajouter que des idées qu'on réveille existent déjà, et que, par conséquent, on ne les forme pas.

Le raisonnement de l'auteur de la Logique de Port-Royal, bon contre ses adversaires, pèche donc en lui-même; et l'on ne saurait se défendre de le trouver également vicieux, et dans le fond, et dans la forme.

Après vous être convaincus qu'on ne peut rendre raison de l'idée de la pensée, ni en suivant les philosophes qui enseignent que toutes les idées sont originaires des sens, ni d'après les philosophes de l'école opposée, vous ne me demanderez pas où se trouve la raison de cette idée. Vous le savez déjà. La réponse est aussi simple qu'évidente : l'idée de la pensée a sa raison, ou son origine, dans le sentiment de la pensée.

Comment a-t-on pu ne pas apercevoir une vérité que l'analogie la plus naturelle semble mettre sous les yeux?

D'où viennent les idées sensibles? elles viennent des sens, des sensations, des sentimenssensations.

D'où viennent les idées des couleurs? elles viennent du sentiment des couleurs, de la sensation des couleurs.

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Suivez cette analogie, et vous avez l'origine de toutes les idées.

D'où vient l'idée des facultés de l'âme, de l'action de l'âme, de la pensée ? elle vient du sentiment des facultés de l'âme, du sentiment de l'action de l'âme, du sentiment de la pensée. D'où viennent les idées de rapport? des sentimens de rapport.

D'où viennent les idées morales? des senti

mens moraux.

Tout confirme donc notre théorie, et les preuves directes que nous en avons données, et les vices des autres doctrines, et la facilité avec laquelle nous expliquons des choses qui n'avaient jamais été expliquées.

Malgré ses défauts, l'argument de Port-Royal contre Gassendi et contre Hobbes est le plus solide qu'on ait opposé aux partisans des idées originaires des sens. Aussi l'a-t-on reproduit contre Locke et contre Condillac, mais toujours en lui faisant perdre de sa force, parce qu'on le présentait mal, et parce qu'on voulait le faire servir à appuyer des doctrines plus éloignées encore de la vérité, et plus contraires à l'expérience, que la doctrine qu'on attaquait.

Quelquefois, à l'idée de la pensée, ou, ce qui est la même chose, aux idées intellec

tuelles des facultés de l'âme, on a substitué les idées morales; et, comme Port-Royal demandait à Gassendi de quelle couleur est la pensée, on a demandé à Locke et à Condillac de quelle couleur est la morale. On leur a reproché de vouloir faire de la morale avec des sons, des saveurs, etc.; on a été jusqu'à les accuser d'anéantir toute morale avec leur fausse philosophie.

Quand on fait de pareilles objections; quand on se permet des inculpations aussi graves, sans s'être bien assuré qu'elles sont fondées, on s'expose étrangement à manquer soi-même à la morale.

Les sensations, les cinq espèces de modifications que l'âme reçoit à la suite des impressions faites sur les organes, peuvent être considérées chacune dans ce qu'elles ont de particulier, de caractéristique ; et toutes, dans ce qu'elles ont de commun (leç. 2). Sous le premier point de vue, elles sont, couleur, son, saveur, odeur, chaleur, etc.; sous le second point de vue, elles affectent l'âme en bien et en mal; elles l'avertissent de son existence, l'âme prend connaissance de ses affections et d'elle-même.

Or, ce n'est pas du premier point de vue,

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