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le tableau a tiré son origine de pour cela l'argent. » (Logique de P.-R., p. 12 et 15.)

que

Ainsi donc, suivant Descartes et suivant P.R., les idées de l'étre et de la pensée ne vien→ nent pas des sens. On fait l'énumération de tous les sens l'un après l'autre ; aucun ne fournit immédiatement ces idées. A l'opération des sens, on ajoute les opérations de l'esprit qui modifient l'image sensible; les idées de l'être et de la pensée ne se montrent pas encore. L'image sensible, soit qu'on la considère antérieurement à la modification qu'elle a reçue de l'esprit, soit qu'on la considère après cette modification, n'est et ne peut être qu'une image sensible. Et rien, ajoute-t-on, n'est plus déraisonnable que de croire qu'elle changera de nature, pour devenir l'idée de l'étre, ou l'idée de la pensée. Ces deux idées étant essentiellement différentes des images sensibles, n'ont pas, comme les images sensibles, leur origine dans les sens. Il faut donc que l'âme les forme d'elle-même, qu'elle les tire de sa propre substance.

Voilà deux opinions également célèbres par le nombre et par l'autorité de ceux qui les professent. Elles ne peuvent pas en même temps être vraies l'une et l'autre, puisqu'elles sont

opposées; mais elles peuvent être erronées toutes deux. Vous allez juger si ce n'est pas entre elles que se trouve la vérité. Ma critique ne portera dans ce moment que sur l'origine de l'idée de la pensée. Ce que je me propose de dire sur l'origine de l'idée de l'étre sera mieux placé à l'article des idées générales; car l'idée de l'être est une idée générale, et même la plus générale de toutes.

Je ne balance pas un instant à prononcer que l'opinion attaquée par Port-Royal ne peut se soutenir. L'idée de la pensée est l'idée de l'action de l'âme. Et comment veut-on que l'idée de l'action de l'âme naisse de la sensation? On le concevrait, si l'âme était active dans la sensation. Mais combien de fois n'avons-nous pas dit et prouvé le contraire?

Omnis idea oritur à sensibus; toute idée a son origine dans les sens: tels sont les premiers mots de la logique de Gassendi. Il prouve, mais moins bien que Locke ne l'a fait depuis, et surtout moins bien que Condillac ne l'a fait après Locke, que les idées intellectuelles et les idées morales ne se développent qu'à la suite des idées sensibles, qui sont les premières, et qui viennent incontestablement des sens, ou des sensations.

Mais, si l'on a fait voir d'une manière satisfaisante, et qui laisse aujourd'hui très-peu à désirer, dans quel ordre les principales idées d'où résulte l'intelligence se montrent successivement à l'esprit, on n'a jamais prouvé, et l'on ne prouvera jamais, qu'elles dérivent toutes d'une seule et même origine. On n'a jamais prouvé, et l'on ne prouvera jamais, que l'idée d'une faculté de l'âme dérive de la sensation, qu'elle soit une modification de la sensation, une transformation de la sensation.

L'auteur de la Logique de Port-Royal est donc fondé à trouver déraisonnable qu'on veuille faire sortir l'idée de la pensée, de la même source que les idées sensibles. Mais l'opinion qu'il embrasse lui-même, est-elle plus raisonnable que celle qu'il repousse?

« L'idée de la pensée ne tire pas son origine des sens; elle n'en vient ni immédiatement, ni médiatement: donc l'âme a la faculté de la former de soi-même. >>

Quelle conséquence! Il aurait fallu, pour la justifier, démontrer l'impossibilité de toute autre origine d'idées que les sens; il aurait fallu que nous pussions bien comprendre ce qu'on disait, quand on prononçait ces mots : l'âme a la faculté de former des idées de soi-même ;

il aurait fallu, avant tout, nous dire clairement ce que c'est que l'idée, ce que c'est que la pensée. Aucune de ces conditions n'a été remplie.

1o. Demandez-vous à l'auteur ce que c'est que l'idée, il vous répond : « Nous appelons du nom d'idée tout ce qui est dans notre esprit, lorsque nous pouvons dire avec vérité, que nous concevons une chose de quelque manière que nous la concevions. » (Log. de PortRoyal, p. 7.)

Vous me dispensez de vous faire remarquer l'obscurité d'une définition que vous comprenez à peine; et d'ailleurs, concevoir et avoir idée étant une même chose, ne voit-on pas que la première de ces expressions ne saurait expliquer la seconde ?

2o. Lui demandez-vous ce que c'est que la pensée, il vous répond : « Il ne : faut pas demander que nous expliquions le mot pensée. Ce terme est du nombre de ceux qui sont si bien entendus par tout le monde, qu'on les obscurcirait en voulant les expliquer. » ( Idem, p. 12.)

Nous avons essayé de l'expliquer ce terme, ou ce mot pensée, en déterminant la chose

qu'il exprime; et nous osons croire que nous n'avons obscurci ni le mot, ni la chose.

L'idée de la pensée se compose de deux idées partielles, celle de l'entendement et celle de la volonté : chacune de ces deux idées partielles comprend à son tour trois idées; l'idée de l'entendement, celles de l'attention, de la comparaison et du raisonnement; l'idée de la volonté, celles du désir, de la préférence et de la liberté; en sorte que, dans l'idée de la pensée, se trouvent réunies les idées des six facultés de l'âme; et, dans la valeur du mot pensée, cumulées les valeurs des six mots qui désignent les six facultés (t. 1, leç. 4).

Ces six facultés, dont la réunion constitue la pensée, ou la faculté de penser, nous sont connues chacune en elle-même; nous connaissons leurs rapports immédiats, ou leurs origines particulières; nous connaissons encore l'origine qui leur est commune à toutes, et de laquelle elles dérivent toutes.

L'idée que nous avons de la pensée se trouve donc déterminée de la manière la plus exacte, et la plus rigoureuse; aucune des idées qui sont dans l'esprit de l'homme ne peut avoir un plus grand degré de clarté; l'horloger le plus habile ne connaît pas mieux le mécanisme

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