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ses de nos idées; aujourd'hui des origines, à la prochaine séance des causes.

Je me verrai obligé de critiquer les doctrines et le langage des philosophes. Je serai forcé de rejeter presque tout ce qui a été dit et pensé sur l'origine des idées, comme j'ai été forcé de rejeter presque tout ce qui a été dit et pensé sur l'origne des facultés de l'âme (t. 1, leç 14).

Quelque peu d'envie, quelque répugnance même qu'on se sente pour le blâme et la censure, il faut bien cependant, quand on a consenti à recevoir le titre et qu'on s'est engagé à remplir les devoirs de professeur de logique, ne pas trop craindre de se montrer conséquent.

Or, la manière dont nous avons conçu et résolu le problème de l'origine de nos connaissances, étant opposée à Platon et à Aristote, à Descartes et à Locke, à Mallebranche et à Condillac, comment dire que la raison est pour nous, sans en tirer la conséquence, que ces philosophes ont confondu l'erreur avec la vérité?

Nous dirons donc qu'ils se sont trompés, toutes les fois que nous serons en état d'en donner les preuves, et qu'il nous paraîtra utile de les donner.

TOME II.

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Les quatre manières de sentir que nous avons remarquées, en observant ce qui se passe en nous, ne sont pas le privilége de quelques individus, elles appartiennent à tous les hommes : le sentiment-sensation, le sentiment des opérations de l'âme, le sentiment des rapports, et le sentiment moral, sont l'apanage de l'espèce humaine toute entière.

Il est vrai que si tous les hommes, en vertu d'une nature qui leur est commune, peuvent sentir de même, il s'en faut bien qu'ils sentent en effet de même, et par conséquent qu'ils aient les mêmes idées, et le même nombre d'idées. Dans tous se trouvent sans doute quatre germes de connaissances, quatre sources d'idées ; mais, dans tous, ces germes ne sont pas également féconds, ces sources ne sont pas également abondantes.

Quelles variétés, quelles différences ne présente pas le sentiment des opérations de l'esprit, si l'on compare le Sauvage à l'homme civilisé; l'ignorant qui pense à peine, à un Corneille, à un Pascal; si l'on se compare soimême à soi-même dans des instans divers ! Ces différences entre les sentimens des opérations de l'esprit, ne sont pas moindres, pour le nombre, et pour les degrés, que celles qui se trou

vent entre les opérations elles-mêmes; car l'âme ne peut pas agir, qu'en même temps elle ne sente qu'elle agit, comme elle ne peut pas sentir qu'elle agit, qu'elle n'agisse en effet. Penser, et ne pas sentir qu'on pense, ou sentir qu'on pense et ne pas penser, sont des choses contradictoires. Mais remarquez bien que je pas que la pensée soit inséparable de son idée; je dis qu'elle est inséparable de son sentiment. On peut penser sans s'apercevoir qu'on pense, mais non pas sans le sentir.

ne dis

Or, la plupart des hommes ont une telle indolence à penser, qu'il faut, pour les y contraindre, les besoins les plus pressans de la vie. Combien laissent leur âme plongée dans un sommeil léthargique, en comparaison du trèspetit nombre dont l'activité renaît sans cesse d'elle-même! Les premiers ignoreront toujours ce qu'ils peuvent; car d'où leur viendrait l'idée de leurs facultés quand ils n'en ont pas le sentiment? Ceux au contraire qui, agissant continuellement, éprouvent continuellement le sentiment de leur action, trouveront sans peine, dans les variétés de ce sentiment qui ne les abandonne jamais, les idées de toutes leurs facultés, ou de toutes les manières d'agir dont leur âme est susceptible.

En n'ayant égard qu'à la seconde des origines que nous avons assignées aux idées; en né considérant le sentiment des opérations de que l'âme, il est donc manifeste que tous les hommes ne sauraient avoir une intelligence égale.

L'intelligence doit présenter des variétés plus grandes encore, à raison des variétés du sentiment des rapports, et à raison des variétés du sentiment moral.

Le sentiment des rapports ne pouvant avoir lieu que par la présence simultanée des idées antérieurement acquises, qui ne voit d'abord qu'il doit être plus rare chez les uns, et plus fréquent chez les autres ?

Quant au sentiment moral, observez ce qui se passe dans le monde, à l'époque où nous vivons; rappelez dans votre mémoire ce que vous avez appris des hommes qui ont vécu dans les siècles passés ; et demandez-vous si le sentiment de la justice et de l'humanité, si les sentimens généreux, élevés, tendres, affectueux, si les sentimens de délicatesse et de pudeur, se trouvent au même degré dans toutes les âmes.

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Le sentiment des opérations de l'esprit, le sentiment des rapports, et le sentiment moral, étant donc distribués à mesures inégales, il

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faut

que la même inégalité se retrouve dans les idées intellectuelles et dans les idées morales qui naissent de ces sentimens.

Mais quoi! nous remontons aux sources de l'intelligence, nous parlons de l'inégalité des esprits, et nous ne remarquons pas avant tout les sens et les sensations. Est-ce par oubli, ou volontairement?

Ce n'est point par oubli. Comment pourrions-nous perdre un instant de vue que les premières idées viennent des sensations, qui elles-mêmes nous sont venues par les impressions faites sur les sens.

Mais nous nous abuserions étrangement si, dans l'effet de l'action des objets sur les sens, nous croyions voir quelque chose de plus que des sensations, et les idées sensibles qui sc montrent à leur suite. Nous nous abuserions surtout si, dans les seules sensations et les seules idées sensibles, nous nous flattions de découvrir tout ce que renferme notre nature sensible et intellectuelle. Car, ce qu'il y a de plus exquis dans la sensibilité ne se trouve pas certainement dans les sensations; ce qu'il y a de plus excellent dans l'intelligence, n'est pas dans les idées sensibles (leç. 2 ).

Si les qualités de l'esprit étaient en raison

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