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jours la perception de rapport, mais qui qui ne se change pas toujours en perception, vous fera soupçonner qu'il est peu d'idées dont tous les hommes ne portent le germe dans leur sentiment; et vous serez moins surpris, en lisant l'histoire de la philosophie, de voir Socrate enseigner que toutes les connaissances acquises. dans le cours de la vie sont des réminiscences. Comme ce qu'il apprenait lui-même, il l'avait déjà senti, il croyait ne rien apprendre de

nouveau.

Si, en effet, tous les rapports que nous apercevons ont déjà été sentis; si toutes nos connaissances ont été précédées par le sentiment; il sera vrai que toutes les idées que nous nous sommes faites dans nos leçons antérieures nous les avions auparavant dans le sentiment.

Il sera vrai que la notion que je viens de vous donner de l'idée elle-même, tout le monde l'a dans le sentiment.

Qui pourrait n'avoir pas senti que, pour acquérir une connaissance nouvelle, il faut remarquer ce qu'on n'avait pas remarqué, distinguer ce qu'on voyait confusément ?

Voulez-vous un grand exemple, voulez-vous une grande preuve, que dans tous les temps on a senti que les idées consistent dans des rap

ports de distinction? Jetez un moment les yeux sur les ouvrages des scolastiques, de ces philosophes qui, pendant cinq ou six siècles, n'ont connu et enseigné d'autre doctrine que celle d'Aristote, auquel ils attribuaient une sorte d'infaillibilité. Comme tout ce qu'on jugeait utile de savoir se trouvait dans Aristote, on n'avait pas besoin de penser par soi-même, et l'on se gardait bien de faire la moindre observation, la moindre expérience; il suffisait que le maître eût parlé. On eût fait un acte de rébellion en consultant la nature. Cependant le besoin d'idées se faisait toujours sentir, car la curiosité ne nous abandonne jamais aussi qu'arrivait-il? C'est que, ne pouvant rien démêler, rien distinguer dans la nature qui n'existait plus pour eux, les scolastiques se mirent à faire sur les mots des distinctions sans fin. Il n'y a pas une de leurs pages qui ne soit remplie de divisions, de distinctions et de sousdistinctions; on sentait donc qu'on ne peut s'instruire qu'en saisisant des rapports de distinction; on le sentait, mais on le comprenait mal.

Encore un mot, et j'ai fini.

:

Nous avons distingué dans cette leçon trois sortes de jugemens, où l'on ne supposait qu'une

manière de juger: nous avons acquis trois idées.

Nous avons séparé les images et les souvenirs, des idées avec lesquelles on les confondait ce sont deux idées que nous n'avions

pas.

On ne voyait rien entre les idées originaires des sens et les idées innées: nous avons remarqué trois manières de sentir, intermédiaires entre ces deux extrêmes; et nous avons eu trois idées de plus.

Nous avons noté trois autres idées encore, et trois idées bien distinctes, correspondantes aux trois mots, nature, origine, cause.

C'est ainsi que, toujours comptant, pesant, mesurant, nous avançons peu à peu, attentifs à ne laisser derrière nous que des comptes aisés à vérifier; il n'y a pas d'autre philosophie, d'autre manière de chercher la vérité; il n'y a d'autre manière de connaître les choses; car, pour emprunter à Pascal des paroles qu'il a lui-même empruntées d'une autorité plus élevée, Dieu a tout disposé avec poids, nombre et

pas

mesure.

CINQUIÈME LEÇON.

ÉCLAIRCISSEMENS SUR L'ORIGINE DES IDÉES.

Fausse doctrine de l'école de Descartes, et de celle de Locke.

APRÈS les éclaircissemens que je vous ai donnés sur la nature des idées, je vous dois d'autres éclaircissemens sur leur origine et sur leur cause; ou plutôt, sur leurs diverses origines et sur leurs diverses causes.

Vous le savez; on a voulu rendre raison de l'intelligence de l'homme, avec les seules modifications que l'âme reçoit à l'occasion du mouvement des organes. On a dit que les plus étonnantes merveilles du génie s'opéraient par les seules sensations: on a été jusqu'à se persuader qu'un seul élément sensitif suffisait à toutes les variétés, à toutes les richesses de la pensée.

Une philosophie qui donne ainsi tout aux sensations n'est guère moins éloignée de la vérité que celle qui leur refuse tout. Rien n'est plus démenti par l'observation, que cet élé

ment unique de notre intelligence. Car l'intelligence, telle que nous la possédons, ne peut avoir été formée que par la combinaison de quatre élémens passifs qui sont autant de matériaux de connaissances, et par l'énergie de trois élémens actifs qui sont comme les ouvriers qui mettent en œuvre ces matériaux.

Les quatre élémens passifs de nos connaissances, ce sont nos quatre manières de sentir; les trois élémens actifs, ce sont les trois facultés de l'entendement.

Otez un de ces élemens, actif, ou passif, l'intelligence change aussitôt. Sans le sentiment de ses facultés, l'homme ignorera toujours que son âme est un principe d'action; privé du sentiment moral, il ne reconnaîtra ni la justice, ni la vertu; ôtez-lui le raisonnement, il tombe jusqu'à l'animal.

Quatre manières de sentir, et trois manières d'agir; quatre origines, et trois causes d'idées : voilà donc les données de la nature; telles sont les conditions sans lesquelles ne pourrait jamais s'opérer le développement complet de notre intelligence.

Je me propose d'ajouter quelques réflexions à celles que je vous ai déjà communiquées, et de parler encore de ces origines, et de ces cau

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