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II LETTRE PARTICULIÈRE.

Tours, 28 novembre 1820.

Vous êtes babillard, et vous montrez mes lettres, ou bien vous les perdez; elles vont de main en main, et tombent dans les journaux. Le mal serait petit, si je ne vous mandais que les nouvelles du Font-Neuf; mais de cette façon tout le monde sait nos affaires. Et croyez-vous, je vous prie, moi qui ai toujours fui la mauvaise compagnie, que je prenne plaisir à me voir dans la Gazette?

Notre vigne n'est point si chétive qu'on le voudrait bien faire croire. Les vieilles souches, à vrai dire, sont pourries jusqu'au cœur, et le fruit n'en vaut guère; mais un jeune plant s'élève, qui va prendre le dessus et couvrir tout bientôt. Laissez-le croître avec cette vigueur, cette séve, seulement cinq ou six ans encore, et vous m'en direz des nouvelles.

Si vous me promettiez de tenir votre langue, je vous conterais... mais non; car vous iriez tout dire, et je suis averti ; je vous conterais nos élections, comment tout cela s'est passé, la messe du Saint-Esprit, le noble pair et son urne, le club des gentilshommes, l'embarras du préfet, et d'autres choses non moins utiles à savoir qu'agréables; mais quoi! vous ne pouvez rien taire; un peu de discrétion est bien rare aujourd'hui. Les gens crèveraient plutôt que de ne point jaser, et vous tout le premier. Vous ne saurez rien cette fois; pas un mot, nulle nouvelle; pour vous punir, je veux ne vous rien dire, si je puis.

Oui, par ma foi, c'était une chose curieuse à voir. Figurezvous, sur une estrade, un homme tout brillant de crachats; devant lui une table, et sur la table une urne. Si vous me demandez ce que c'est que cette urne, cela m'avait tout l'air d'une boîte de sapin. L'homme, c'était le président comte Villemanzy, noble pair, dont le père n'était ni pair ni noble, mais procureur fiscal, ou quelque chose d'approchant. Je note ceci pour vous qui aimez la nouvelle noblesse. Jadis la Rochefoucauld était de votre avis, il la voulait toute neuve ; neuve elle se vendait alors ; elle valait mieux. La vieille ne se vendait pas. Pour moi ce m'est tout un, l'ancienne, la nouvelle, la Tremouille ou Godin, Rohan ou Ravigot, j'en donne le choix pour une épingle.

Il tira de sa poche une longue écriture (c'est le président que je dis), et lut: Le roi tout seul pouvait faire les lois; il en avait le droit et la pleine puissance; mais, par un rare exemple de bonté paternelle, il veut bien prendre notre avis. Je n'entendis pas le reste; on cria vive le roi, les princes, les princesses et le duc de Bordeaux. Puis le président se lève. Nous étions au parterre quelque deux cent cinquante, choisis par le

préfet pour en choisir d'autres qui doivent lui demander des comptes. Le président, debout, nous donna des billets sur lesquels chacun de nous devait écrire deux noms; mais il fallait jurer d'abord. Nous jurâmes tous. Nous levâmes la main de la meilleure grâce du monde et en gens exercés; puis, nos billets remplis, le président les reprenait avec le doigt index et le pouce seulement, ses manchettes retroussées, les remettait dans la boîte, d'où nous vîmes sortir un ultraroyaliste et un ministériel.

Sans être son compère, j'avais parié pour cela, et deviné d'abord ce qui devait sortir de la boîte ou de l'urne, par un raisonnement tout simple, et le voici : Nous étions trois sortes de gens appelés là par le préfet, gens de droite, aisés à compter; gens de gauche, aussi peu nombreux; et gens du milieu à foison, qui, se tournant d'un côté, font le gain de la partie, et se tournent toujours du côté où l'on mange. Or, en arrivant, je sus que tous ceux de la droite dînaient chez le préfet ou chez l'homme aux crachats avec ceux du milieu, et que ceux de la gauche ne dînaient nulle part. J'en conclus aussitôt que leur affaire était faite; qu'ils perdraient la partie, et payeraient le dîner dont ils ne mangeaient pas je ne me suis point trompé.

J'étais là le plus petit des grands propriétaires, ne sachant où me placer parmi tant d'honnêtes gens qui payaient plus que moi, quand je trouvai, devinez qui? Cadet Roussel, vieille connaissance, à qui je dis, en l'abordant; Qu'as-tu, Cadet ? puis je me repris Qu'avez-vous, M. de Cadet? (car c'est sa nouvelle fantaisie de mettre un de avec son nom, depuis qu'il est éligible et maire de sa commune). Je vous vois soucieux, inquiet. Ce n'est pas sans sujet, me dit-il. J'ai trois maisons, comme vous savez : l'une est celle de mon père, où je n'habite plus; l'autre appartenait ci-devant à M. le marquis de... chose, qui s'en alla, je ne

sais pourquoi, dans le temps de la révolution. J'achetai sa maison pendant qu'il voyageait. C'est celle où je demeure et me trouve fort bien. La troisième appartenait à Dieu, et de même je m'en suis accommodé. Je viens de voir là-bas, vers la droite, des gens qui parlaient de restituer, et disaient que de mes trois maisons la dernière doit retourner à Dieu, les deux autres pourraient servir à recomposer une grande propriété pour le marquis. A ce compte, je n'aurais plus de maison. Je vous avoue que cela m'a donné à penser. C'est dommage pour vous, lui dis-je, que d'autres comme vous, peu amis de la restitution, ne se trouvent point ici. On ne les a pas invités, et je m'étonne de vous y voir. Ah! me dit-il, c'est que je pense bien. Je ne pense point comme la canaille. Je vois la haute société, ou je la verrai bientôt du moins, car mon fils me doit présenter chez ses parents. Qui? quels parents? Eh! oui, mon fils de la Rousselière se marie; ne le savez-vous point? il épouse une fille d'une famille....... Ah! il sera dans peu quelque chose. J'espère par son moyen arranger tout. J'entends, vous voudriez par son moyen voir la haute société et ne point restituer. — Justement. Garder l'hôtel de chose et y recevoir le marquis.

la peine.

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C'est cela.

Vous aurez de

Comme je regardais curieusement partout, j'aperçus Germain dans un coin, parlant à quelques-uns de la gauche; il semblait s'animer, et, m'approchant, je vis qu'il s'agissait entre eux de ce qu'on devait écrire sur ces petits billets. Écrivez, disait-il, écrivez le bonhomme Paul, qui demeure là-haut, sur le coteau du Cher. Il n'est pas jacobin, mais il ne veut point du tout qu'on pende les jacobins; il n'aime pas Bonaparte, mais il ne veut point qu'on emprisonne les bonapartistes : nommez-le, croyezmoi. Il sait écrire, parler; il vous défendra bien : vous êtes sûrs au moins qu'il ne vous vendra pas; c'est quelque chose à présent. Non, répondirent-ils, ce Paul n'est pas des nôtres. Il en sera bientôt, reprit Germain, car on l'a vu toujours du parti opprimé. Aristocrate sous Robespierre, libéral en 1815, il va être pour vous, et ne vous renoncera que quand vous serez forts, c'est-àdire insolents. Non, nous voulons des nôtres. Mais personne n'en veut; vous allez être seuls, et que pensez-vous faire? - Rien, nous voulons ceux-là. Ils ne savent pas grand'chose,

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et sont peut-être un peu sujets à caution. Mais ce sont nos comperes, et Paul, dont vous parlez, n'est compère de personne. Germain, à ce discours: Mes amis, leur dit-il, je crois que vous serez pendus, vous et les vôtres, oui, pendus à vos pruniers, et j'aurai le plaisir d'y avoir contribué. Car je vais de ce pas me joindre à messieurs de droite, et voter avec eux. Que me faut-il à moi? culbuter les ministres? pour cela les ultras sont aussi bons que d'autres, sinon meilleurs. Adieu.

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Je voulais passer avec lui du côté des honnêtes gens. Mais en chemin je trouvai des ministériels qui parlaient de places, et disaient Il n'y en a point qui soit sûre. Comme j'entends un peu la fortification, je m'arrêtai à les écouter. Il n'y en a pas une, disaient-ils, sur laquelle on puisse compter. C'est sans doute, leur dis-je, que les remparts ne sont pas bien entretenus, ou faute d'approvisionnement! Ils me regardaient étonnés. Oui, reprit un d'eux, que je meure s'il y a une place à présent qu'aucune compagnie d'assurance voulût garantir pour un mois. Cependant, leur dis-je, il me semble qu'avec de grandes demi-lunes, des fronts en ligne droite et un bon défilement, on doit tenir un certain temps. Ils me regardèrent plus surpris que la première fois, et le même homme continua : Ma foi, vu leur peu de sûreté, les places aujourd'hui ne valent pas grand'chose. Vous voulez dire, lui répliquai-je, que les meilleures ont été livrées à l'ennemi.

Comme je semblais les gêner, je m'en allai, fâché de quitter cette conversation; et plus loin je rencontrai l'honnête procureur, qui passe pour mener tout le parti noble ici. C'est Calas ou Colas qu'on le nomme, je crois; garçon d'un vrai mérite. Avez-vous remarqué que depuis quelque temps les nobles nulle part ne font rien, s'ils ne sont menés par des vilains? Qu'est-ce que Lainé, de Villèle, Ravez, Donnadieu, Martainville, sinon les chefs de la noblesse, et tous vilains? Sans eux, que deviendrait le parti des puissances étrangères, réduit à M. de Marcellus? et chez ces puissances, qu'aurait fait la noblesse allemande, si les vilains ne l'eussent entraînée contre l'armée de Bonaparte, qui elle-même alla très-bien, étant menée par des vilains, mal aussitôt qu'elle fut commandée par des nobles? autre point à noter. Mais où en étions-nous? à Colas, procureur et chef de la no

blesse. Je suis content, disait-il, oui, je suis fort content de M. de Duras; il a du caractère, et je n'aurais pas cru qu'un gentilhomme, un duc........ aussi l'ai-je fait président de notre club des Carmélites, club d'honnêtes gens. Nous nous assemblâmes hier, lui président, moi secrétaire; nous avons tous prêté serment entre les mains de M. le duc. Ils ont juré foi de gentilhomme, moi, foi de procureur, et j'ai fait le procès-verbal de la séance. Mais le bon de l'affaire, c'est que ie préfet s'est avisé d'y trouver à redire. Là-dessus nous l'avons mené de la bonne manière, et M. de Duras a montré ce qu'il est. Monsieur, lui at-il dit, je vous défends, au nom de mon gouvernement, de vous mêler des élections. Voilà parler, cela, et voilà ce que c'est que de la fermeté. Le pauvre préfet n'a su que dire. Je vous assure, moi, que la noblesse a du bon, et fera quelque chose, Dieu aidant, avec les puissances étrangères. Tout cela ne demande qu'à être un peu conduit, et j'en fais mon affaire.

Il continua, et je l'écoutais avec grand plaisir, quand le président, m'appelant, me donna un de ces billets où il fallait écrire deux noms. Pour moi, j'y voulais mettre Aristide et Caton. Mais on me dit qu'ils n'étaient pas sur la liste des éligibles. J'écrivis Bignon et un autre; Bignon, vous le connaissez, je crois, celui qui ne veut pas qu'on proscrive; et je m'en allai comme j'étais venu, à travers les gendarmes.

Je voudrais bien répondre à ce monsieur du journal. Car, comme vous savez, j'aime assez causer. Je me fais tout à tous, et ne dédaigne personne; mais je le crois fâché. Il m'appelle jacobin, révolutionnaire, plagiaire, voleur, empoisonneur, faussaire, pestiféré, ou pestifère, enragé, imposteur, calomniateur, libelliste, homme horrible, ordurier, grimacier, chiffonnier. C'est tout, si j'ai mémoire. Je vois ce qu'il veut dire; il entend que lui et moi sommes d'avis différent; peut-être se trompe-t-il. Il aime les ministres, et moi aussi je les aime; je leur suis trop obligé pour ne pas les aimer. Jamais je n'ai eu recours à eux, qu'ils ne m'aient rendu bonne et prompte justice. Ils m'ont tiré trois fois des mains de leurs agents. C'est bien, si vous voulez un peu ce que ce Romain appelait beneficium latronis, non occidere. Mais enfin c'est beneficium. Et quand tout le monde est larron, le meilleur est celui qui ne tue pas.

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