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de son invincible garde, ils prendront le parti de se défendre eux-mêmes; fâcheuse résolution, comme vous savez bien, qui déroute la tactique, empêche de faire la guerre par raison démonstrative, et suffit pour déconcerter les plans d'attaque et de défense le plus savamment combinés. Alors, si vous êtes sages, rappelez-vous l'avis que je vais vous donner. Lorsque vous marcherez en Lorraine, en Alsace, n'approchez pas des haies, évitez les fossés, n'allez pas le long des vignes, tenez-vous loin des bois, gardez-vous des buissons, des arbres, des taillis, et méfiez-vous des herbes hautes; ne passez point trop près des fermes, des hameaux, et faites le tour des villages avec précaution; car les haies, les fossés, les arbres, les buissons, feront feu sur vous de tous côtés, non feu de file ou de peloton, mais feu qui ajuste, qui tue; et vous ne trouverez pas, quelque part que vous alliez, une hutte, un poulailler qui n'ait garnison contre vous. N'envoyez point de parlementaires, car on les retiendra; point de détachements, car on les détruira; point de commissaires, car....... Apportez de quoi vivre; amenez des moutons, des va ches, des cochons, et puis n'oubliez pas de les bien escorter, ainsi que vos fourgons. Pain, viande, fourrage et le reste, ayez provision de tout; car vous ne trouverez rien où vous passerėz, si vous passez, et vous coucherez à l'air, quand vous vous coucherez; car nos maisons, si nous ne pouvons vous en écarter, nous savons qu'il vaut mieux les rebâtir que les racheter, cela est plus tôt fait, coûte moins. Ne vous rebutez pas d'ailleurs, si vous trouviez dans cette façon de guerroyer quelques inconvénients. Il y a peu de plaisir à conquérir des gens qui ne veulent pas être conquis, et nous en savons des nouvelles. Rien ne dégoûte de ce métier comme d'avoir affaire aux classes inférieures. Mais ne perdez point courage, car si vous reculiez, s'il vous fallait retourner sans avoir fait la paix, ni stipulé d'indemnités, alors, peu d'entre vous iraient conter à leurs enfants ce que c'est que la France en tirailleurs, n'ayant ni héros ni péquins.

Apprenez, dit le Prophète, apprenez, grands de la terre; c'est-à-dire, messieurs du congrès, renoncez aux vieilles sottises. Instruisez-vous, arbitres du monde ; c'est-à dire, excellences, regardez ce qui se passe, et faites-vous sages, s'il se peut. L'Espagne se moque de vous, et la France ne vous craint pas.

P.-L. COURIER.

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Vos amis ont beau dire et faire, nous ne sommes pas disposés à nous gouverner par vos ordres; et ni eux, avec leurs sept hommes, ni vous, avec vos sept cent mille, ne nous faites la moindre peur; partant, je ne vois nulle raison de changer notre allure pour vous plaire, et je conclus à rejeter toute la loi venant d'eux ou de vous.

Voilà ce que j'aurais dit après le général Foy, si j'eusse pu, député indigne, lui succéder à la tribune.

A MESSIEURS

DU CONSEIL DE PRÉFECTURE A TOURS.

(1820.)

MESSIEURS,

Je paye dans ce département 1314 francs d'impôts, et ne puis obtenir d'être inscrit sur la liste des électeurs. A la préfecture, on me dit que mon domicile est à Paris, que je ne dois pas voter ici, et l'on me renvoie à l'article 104 du Code civil, ainsi conçu :

<< Le domicile est au lieu du principal établissement.

« Le changement de domicile s'opérera par le fait d'une ha<< bitation réelle dans un autre lieu, joint à l'intention d'y fixer « son principal établissement.

<< La preuve de l'intention résultera d'une déclaration expresse « faite, tant à la municipalité du lieu que l'on quittera, qu'à « celle du lieu où l'on aura transféré son domicile. >>

Cette déclaration, je ne l'ai faite nulle part, ni à Paris, ni ailleurs; mon principal établissement est la maison de mon père, à Luynes; là est le champ que je cultive, et dont je vis avec ma famille; là, mon toit paternel, la cendre de mes pères, l'héritage qu'ils m'ont transmis et que je n'ai quitté que quand il a fallu le défendre à la frontière. N'ayant rempli, en aucun lieu, aucune

des formalités qui constituent, suivant la loi, le changement de domicile, je suis à cet égard comme si jamais je n'eusse bougé de ma maison de Luynes. C'est l'opinion des gens de loi que j'ai consulté là-dessus, et j'en ai consulté plusieurs qui, de contraire avis en tout le reste (car ils suivent différents partis dans nos malheureuses dissensions), sur ce point seul n'ont qu'une voix. En résumé voici ce qu'ils disent :

Mon domicile de droit est, selon le Code, à Luynes. Mon domicile de fait à Véretz, où j'ai, depuis deux ans, maison, femme et enfants. Ces deux communes étant dans le même arrondissement du département d'Indre-et-Loire, mon domicile est, de toute façon, dans ce département, où je dois voter comine électeur. Si je nommais les jurisconsultes de qui je tiens cette décision, vous seriez étonnés, Messieurs, vous admireriez, j'en suis sûr, qu'entre des hommes de sentiments si opposés, surtout en matière d'élections, il ait pu se trouver un point sur lequel tous fussent d'accord, et c'est ce qui donne d'autant plus de poids à leur avis.

Mais que dire après cela d'une note qu'on me produit comme pièce convaincante, et d'une autorité irréfragable, décisive? Cette note du maire de Véretz, adressée au préfet de Tours, porte en termes clairs et précis : Courier, propriétaire domicilié a Paris. Dans ce peu de mots, je trouve, Messieurs, deux choses à remarquer l'une que le maire de Véretz, qui me voit depuis deux ans établi à sa porte, dans cette commune, dont il est le premier magistrat, et où lui-même m'a adressé des citations a domicile, ne veut pas néanmoins que j'y sois domicilié ; l'autre, chose fort remarquable, est qu'en même temps il me déclare domicilié à Paris. Le préfet, prenant acte de cette décla ration, part de là. Mon affaire est faite, ou la sienne peut-être, j'entends celle du préfet. Il refuse, quelque réclamation que je lui puisse adresser, de m'admettre au rang des électeurs, et me voilà déchu de mon droit.

Que signifie cependant cette assertion du maire? sur quoi l'atil fondée? Il pouvait nier mon domicile dans la commune de Véretz, si je n'en avais fait aucune déclaration légale; mais avancer et affirmer que mon domicile est à Paris, où je n'ai pas une chambre, pas un lit, pa un meuble, c'est être un peu

hardi, ce me semble. De quelque part qu'aient pu lui venir ces instructions, fût-ce même de Paris, il est mal informé. Aussi mal informé est le préfet, qui, sur ce point, eût mieux fait de s'en rapporter à la notoriété publique, recommandée par les ministres comme un bon moyen de compléter les listes électorales. Cette notoriété lui eût appris d'abord que nul n'est mieux que moi établi et domicilié dans ce département, et que je n'eus de ma vie domicile à Paris, non plus qu'à Vienne, à Rome, à Naples et dans les autres capitales, où tour à tour me conduisirent les chances de la guerre et l'étude des arts, et où j'ai résidé plus longtemps qu'à Paris, sans perdre pour cela mon domicile au lieu de mon unique établissement dans le département d'Indre-et-Loire.

Certes, quand je bivouaquais sur les bords du Danube, mon domicile n'était pas là. Quand je retrouvais, dans la poussière des bibliothèques d'Italie, les chefs-d'œuvre perdus de l'antiquité grecque, je n'étais pas à demeure dans ces bibliothèques. Et depuis, lorsque seul, au temps de 1815, je rompis le silence de la France opprimée, j'étais bien à Paris, mais non domicilié. Mon domicile était à Luynes, dans le pays malheureux alors dont j'osai prendre la défense.

Si je me présentais pour voter à Paris, où on me dit domicilié, le préfet de Paris, sans doute aussi scrupuleux que celui-ci, ne manquerait pas de me dire Vous êtes Tourangeau, allez voter à Tours, vous n'avez point ici de domicile élu, votre établissement est à Luynes. Et si je contestais, il me présenterait une pièce imprimée, signée de moi, connue de tout le monde à Paris. C'est la pétition que j'adressai en 1816 aux deux Chambres, en faveur de la commune de Luynes, et qui commence par ces mots Je suis Tourangeau, j'habite Luynes. Vous voyez bien, me dirait-il, que quand vous parliez de la sorte pour les habitants de Luynes, persécutés alors et traités en ennemis par les autorités de ce temps, vous vous regardiez comme ayant parmi eux votre domicile. Montrez-moi que depuis vous avez transporté ce domicile à Paris, et je vous y laisse voter. Le préfet de Paris, me tenant ce langage, aurait quelque raison; les ministres l'approuveraient indubitablement, et le public ne pourrait le blâmer. Mais ici le cas est différent, j'en ai donné ci-dessus la

preuve, et n'ai pas besoin d'y revenir; j'y ajouterai seulement que, pour m'ôter mon domicile et le droit de voter dans ce département où est mon manoir paternel, il faudrait me prouver que j'ai fait élection de domicile ailleurs, et non le dire simplement; au lieu que ma négative suffit quand on n'y oppose aucune preuve; et ce n'est pas à moi de prouver cette négative, ce qui ne se peut humainement; c'est à ceux qui veulent m'ôter l'usage de mon droit de faire voir que je l'ai perdu, sans quoi mon droit subsiste, et ne peut m'être enlevé par la seule parole du préfet.

Un mot encore là-dessus, Messieurs. Je prouve mon domicile ici, non-seulement par le fait de mon établissement héréditaire à Luynes, mais par une infinité d'actes, de citations, de jugements, acquisitions et ventes de propriétés foncières faites en différents temps par moi, dans ce département. Il faudrait, pour détruire ces preuves, m'opposer un acte formel d'élection de domicile ailleurs. Ce sont là des choses connues de tout le monde et de moi-même, qui ne sais rien en pareille matière.

Vous êtes bien surpris, Messieurs; ceux d'entre vous qui ont pu voir et connaître, dans ce pays, mon père, ma mère et mon grand-père, et qui m'ont vu leur succéder ; qui savent que non-seulement j'ai conservé les biens de mon père dans ce département, mais qu'ailleurs je ne possède rien, et ne puis être chez moi qu'ici, dans la maison de mon père, à Luynes, où je n'ai jamais cessé d'avoir, je ne dis pas mon principal, mais mon unique établissement, connu de tous ceux qui me connaissent; les personnes qui savent tout cela penseront que ce qui m'arrive a quelque chose d'extraordinaire, et ne concevront sûrement pas qu'on puisse nier, parlant à vous, mon domicile parmi vous; car attant vaudrait, moi présent, nier mon existence. Oui, de pareilles chicanes sont extraordinaires. Cela est nouveau, surprenant, et je pardonne à ceux qui refusent d'y ajouter foi, l'ayant seulement entendu dire. Voici cependant une chose encore plus, dirai-je incroyable? non! plus bizarre, plus singulière.

Quand je serais domicilié (comme il est clair que je ne le suis pas, puisque le maire l'assure au préfet), quand même je serais domicilié dans ce département, payant 1,300 francs d'impôts, cela ne suffirait pas encore, il me faudrait, pour exercer mes droits d'électeur, prouver à M. le préfet, et le convaincre,

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