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par ses connaissances me faire parler au ministre de la justice. Je sais bien que ce ministre me donnera une audience quand je la demanderai; mais je suis pressé, je veux m'en retourner làbas. Au reste, Lemontey ne peut ou ne veut rien faire.

Je dois voir Villemain aujourd'hui à deux heures. Il me lira la lettre du ministre au préfet. Je regarde la destitution de Debaune comme certaine. On m'a proposé de me faire maire à sa place; je n'ai pas voulu. Villemain a fort dans la tête l'impression de mon Plutarque, comme une chose qui pourrait faire honneur au ministre actuel. Nous parlerons de cela aujourd'hui : si la chose se fait, je reviendrai ici dans cinq ou six semaines. Je vois que mes premières lettres t'ont inquiétée, tu verras par les lettres suivantes que tout s'arrange. Quand on saura à Tours que nous avons à Paris des gens qui pensent à nous, on nous laissera tranquilles ; et je crois que... regrettera plus d'une fois d'avoir pris parti contre nous. Si je puis rester ici seulement quelques jours, le procureur du roi aura aussi sa semonce; et enfin nous serons en repos. Je vois qu'on se fait ici un honneur et une gloire de me protéger. Cependant il y a encore une chose qui pourrait changer tout c'est ma lettre à l'Académie, que Villemain n'a point encore lue, et qui paraît à tout le monde trop âpre et trop violente. Il se pourrait que cette lecture le fit changer, non de sentiments, mais de conduite avec moi; ainsi ne comptons encore sur rien.

Regarde toujours le cachet de tes lettres.

A MADAME COURIER.

Paris, le 1er mai 1821.

J'ai vu le maréchal et sa femme. Grandes caresses et grandes amitiés. Mon Chambord a un grand succès; il s'en vend beaucoup. M. d'Argenson en a fait acheter je ne sais combien d'exemplaires, outre ceux que je lui ai donnés. Bobée ne me dit pas tout, mais je sais que des libraires lui en ont demandé. Cela arrive bien à propos.

Tout Paris est en l'air pour le baptême. Je m'en vais à la campagne chez madame Viguier, qui fuit avec raison les fêtes et les embarras.

Demarçay m'a enseigné le moyen de défricher sans qu'on puisse m'en empêcher, et je crois que je ferai comme il me dit.

Je sèche ici, je meurs d'ennui. Mon impression étant finie, il me tarde d'être auprès de toi et de notre enfant.

A MADAME COURIER.

Paris, juin 1821.

Ma grande affaire du pamphlet marche; mais je ne sais encore si je serai mis en jugement. Cela sera décidé demain. On m'a beaucoup pressé, et même importuné, pour voir les juges; je m'y suis refusé, et je crois que je fais bien, et on finit par en convenir. Je suis sûr de n'avoir point de tort. J'ai le public pour moi, et c'est ce que je voulais. On m'approuve généralement, et ceux même qui blâment la chose en elle-même conviennent de la beauté de l'exécution. Deux personnes qui n'ont entre elles aucun rapport, car c'est M. Dubost et Étienne, m'ont dit que cette pièce est ce qu'on a fait de mieux depuis la révolution. Ainsi j'ai atteint le but que je me proposais, qui était d'emporter le prix. Plus on me persécutera, plus j'aurai l'estime publique.

A MADAME COURIER.

Paris, 6 juin 1821.

Je ne puis absolument t'écrire. Je n'ai pas un moment à moi; et d'ailleurs je crains que mes lettres ne soient décachetées. Rien encore de décidé sur l'affaire du pamphlet. Il y a encore beaucoup de formalités à remplir. Je ne puis m'expliquer là-dessus. Mais sois tranquille : j'ai pour moi tout le monde. Ton parent me sert bien, du moins par les informations qu'il me donne; car du reste il a une peur extrême de se compromettre. Je suis logé chez le philosophe dont tu as reçu la lettre après mon départ, et qui était d'avis que je ne bougeasse de là-bas. Je suis bien aise d'être venu, par plusieurs raisons que je ne puis te marquer. Je ne sors presque point de ma chambre, qui est un grenier ayant vue sur le Luxembourg. Je travaille du matin au soir à mon Longus et à d'autres choses. Les invitations me pleuvent de tous

les côtés. Je n'en accepte aucune, et fuis les cliques de toute espèce, non-seulement par une aversion naturelle, mais aussi parce que je ne veux point perdre de temps. Je n'ai point encore vu le maréchal. Ils sont à la campagne. Je ne vois plus ni ta mère ni..... Je suis enterré pour tout le monde.

A MADAME COURIER.

Paris, 10 juin 1824.

Il est décidé que je serai jugé par la cour d'assises. On te signifiera je ne sais quel grimoire, qu'il faut me renvoyer. Ne t'inquiète point. On croit non-seulement possible, mais probable, que je m'en tirerai. Au reste, tu sais comme je pense. Mon but était de faire quelque chose qui fût bien, et il paraît que j'ai parfaitement réussi. Le reste s'arrangera.

J'ai vu aujourd'hui Hyacinthe, qui m'a reçu merveilleusement. a voulu absolument me mener chez son beau-frère. Autre réception, accueil, enthousiasme, etc. Sa mère se porte bien. Cassé était chez lui, qui est un peu maigri; assez spirituel. Ta mère et Amelin m'ont servi de toute leur puissance, et se sont mis en quatre.

Tu me renverras, poste restante, ce que tu recevras relatif aux assises.

J'ai pris un avocat que tu connais peut-être. Il se nomme · Berville. Il venait chez ta mère autrefois. C'est un jeune homme de beaucoup d'esprit, et fort aimable.`

Adieu, chère femme; ménage surtout ta santé; garde-toi de te rendre malade, car nous serions perdus tous. Toute l'existence de la famille roule sur toi seule à présent.

A MADAME COURIER.

Paris, août 1821.

J'ai parlé à Cotelle, qui m'offre de l'argent; mais je ne puis me faire à l'idée de vendre ce que j'écris. C'est une sotte idée avec laquelle je suis né, et qui m'empêche de pouvoir faire un marché avec ces libraires, quoique je sente la duperie de donner, et la nécessité de quitter cette méthode. Enfin je verra. Je lui

refuse mon fragment: il veut l'avoir absolument. Corréard aussi veut l'avoir. Au milieu de tout cela, je ferai quelque sottise. Je travaille tout le jour à mon Longus, et me prépare pour le 28. Tout le monde croit que je m'en tirerai.

J'occupe tout seul l'appartement de Cousin; sa conduite avec moi est fort aimable, et en le voyant je suis tenté de croire qu'il y a des caractères francs et généreux; mais que penser de ceux qui dès la jeunesse sont avares, fourbes et de mauvaise foi? Adieu, cher ange.

A MADAME COURIER.

Paris, août 1821.

Je viens de voir dans les gazettes que l'affaire de CauchoisLemaire sera jugée avant la mienne. Je crois cela fâcheux pour moi; je ne me repens point néanmoins de n'être pas venu le mois passé.

J'espère comme toi que notre Paul sera bon; mais il faut qu'il vive. avec nous, ou du moins avec toi. Ainsi, soigne ta santé, d'où dépend la vie de nous trois.

Je vais voir aujourd'hui Bobée et Berville : nos jurés doivent être nommés. Je suis tout occupé à méditer ma harangue, que peut être à la fin je ne prononcerai pas. Tous les avocats sont d'avis que je ne dise mot le public s'attend que je parlerai. Nous verrons.

A MADAME COURIER.

Paris, août 1821.

Mon jury est abominable, et il y a peu d'espérance. Quel bonheur que j'aie pu avoir cet appartement de Cousin! Sans cela, je ne sais ce que je serais devenu : la chaleur est affreuse et Paris inhabitable. Tu es bien heureuse d'être à la Chavonnière.

Je dois demain aller voir Berville à la campagne chez son père, pour concerter ensemble toute notre défense; il faut que je me prépare.

Dimanche.

J'ai fait hier un dîner d'avocats, où je me suis assez diverti,

chez Berville, à la campagne, aux Carrières de Charenton. J'ai pensé mourir de chaud en allant. On a beaucoup parlé de moi et de mon affaire je te conterai tout cela. On croit généralement qu'ils n'oseront pas me condamner. Il y a des circonstances favorables que je ne puis t'écrire. On est fort curieux de savoir comment je me tirerai de ma harangue : les avocats croient et espèrent que je ne réussirai pas. Je suis à peu près sûr du succès, si je me décide à parler; mais peut-être trouverai-je plus à propos de me taire.

Quoi qu'il arrive, je vais sûrement te rejoindre bientôt; car, quand mêine on me condamnerait, j'aurais, selon toute apparence, du temps pour mettre ordre à mes affaires. Je ne m'arrêterai ici que pour faire imprimer le plaidoyer de Berville et mon discours, ce qui sera bientôt expédié. Je meurs d'impatience de me revoir auprès de toi et de notre cher enfant; sans vous deux je n'existe pas.

A MADAME COURIER.

Paris, 29 août 1821.

Deux mois de prison et deux cents francs d'amende, voilà le résultat d'hier.

Je ne puis absolument t'écrire. Je vais travailler à publier ma défense, et les plaidoyers pour et contre; je ne sais si on me donnera du temps.

Tes lettres me font un plaisir que tu ne peux imaginer, et c'est mon seul bien ici, où tout m'ennuie et m'excède. On me recherche, on veut me voir; mais, ma foi, je ne suis pas assez content de mes vieux amis pour en vouloir de nouveaux. Toute ma parentaille est venue à mon jugement. J'ai manqué tomber en

syncope.

Je devrais être ivre de louanges et de compliments; j'en ai reçu hier à foison de toute part. Je m'etonne moi-même du peu de plaisir que cela me fait.

Si tu veux lire un rapport à peu près exact sur mon jugement de la cour d'assises, prends le Courrier d'aujourd'hui 29.

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