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est vraiment fâcheux. J'en voulais faire l'éloge d'une certaine façon, c'est-à-dire de façon à pouvoir insinuer ce que je pense du métier, en donnant doucement à entendre que mon homme eût été capable de quelque chose de mieux; mais, ma foi, c'est tout le contraire. Voilà qui est fait, je n'y songe plus. Que ferai-je de mon éloquence? Les éloges sont à la mode : il faut hurler avec les loups; d'autres disent braire avec les ânes. Je trouve ici dans mon voisinage un sujet de panégyrique admirable, une madame de Broc ou du Broc, tombée dans un trou, à la suite de la reine de Hollande. Lis un peu la gazette; on ne parle d'autre chose. Eh bien! cette dame de Broc, on l'enterre à ma porte. Elle vient de plus de cent lieues s'offrir à ma plume. Lui refuserai-je un compliment, parce qu'elle est morte? elle avait du mérite; beaucoup même, si l'on m'a dit vrai. A vingt-cinq ans, belle comme un ange, elle dépensait en aumônes la moitié de son revenu, ne voulait ni parures ni diamants. Veuve depuis deux ans, c'était une Artémise. Nulle idée de se remarier, pas l'ombre d'un galant. On l'adorait, jeunes et vieux, pauvres et riches; tout le monde l'aimait. En un instant la voilà morte, d'une mort horrible, imprévue! Jeunesse, beauté, talents, tout s'engloutit dans ce gouffre.

Je ne sais, de tout temps, quelle injuste puissance
Laisse le crime en paix et poursuit l'innocence.

Ceux que chacun maudit engraissent. S'il y a quelque naraud qui fasse tout le mal qu'il peut, il vivra, sois-en sûr. Le modèle des grâces, l'exemple des vertus, le refuge du pauvre et l'ornement du monde périt dans sa fleur. Ou je me trompe, ou il y a là tout ce qu'il faut à un orateur, hors les six mille francs.

A propos, je suis fâché de n'avoir pu me trouver l'autre jour chez ton frère; il m'a fallu partir, ma voiture partait. Ce que c'est d'être gueux, on dépend du coche. Si j'avais un carrosse...... N'importe ; j'irai te voir lundi avant la paume. Tu as l'air de vou. loir te moquer de ma paume : jeu de grands seigneurs, dis-tu; non de ceux d'aujourd'hui.

Faire la cour aux grands, et dans leurs antichambres,

Le chapeau dans la main, se tenir sur ses membres,

c'est tout ce que la nouvelle noblesse a retenu de l'ancieune. Adieu, je t'embrasse.

A Mine LA PRINCESSE DE SALM-DYCK.

Paris, 29 septembre 1813. Tout ce que vous me dites, madame, de vos courses à Aix-laChapelle et à Spa me donne des regrets, je dirais presque des remords, de vous avoir faussé compagnie; mais sachez, madame, que j'en ai bien été puni. Je suis tombé malade, peu s'en faut, et je crois même que j'ai eu la fièvre. Cette campagne d'où je vous écrivais près de Montmorency est un endroit malsain; et comment ne le serait-il pas, à mi-côte, au midi, entouré et couvert par une montagne au nord? C'est le vent du nord seul qui fait la salubrité d'un pays. C'est Borée qui rend le teint frais aux femmes de Frescati. La remarque est de moi, prenez-y garde. On explique savamment le nom de cette ville par des étymologies qui ne me contentent pas. Je dis qu'on les nomme Frescati parce que les filles y sont fraîches comme roses au matin, ce que j'attribue aux caresses de l'amant d'Orithye; et puis dites que je n'observe pas dans mes voyages!

Vous avez bien raison, madame, nous ne sommes jamais du même avis, vous et moi; il est encore vrai que c'est pour cela précisément que nous sommes bien ensemble. Entendez ce mot comme il faut; c'est-à-dire que nous causons avec plaisir ensemble. Vous aimez la contradiction; vraiment vous n'êtes pas dégoûtée. C'est un des biens parmi tant d'autres qui manquent aux rois. Montaigne fait le conte de je ne sais quel grand qui, fatigué de la complaisance et de l'éternelle approbation de son confident, lui dit un 'jour : « Pour Dieu, conteste-moi quelque chose, afin que nous soyons deux ! » J'en ai long à vous dire làdessus quand nous nous reverrons, pourvu que vous preniez en main l'opinion contraire.

Il est mort un homme de l'Institut. On m'a parlé de me présenter pour le remplacer. Je ne puis encore m'y résoudre. Je ne suis point du tout fait pour remplir un fauteuil, et par bonheur je me trouve fort bien sur une escabelle. Il n'est pire compagnie, selon moi, qu'une compagnie de gens de lettres; et puis leurs habits, leurs visites, leurs cérémonies, tout cela me ferait crever de rire; d'autres choses me feraient mal au cœur. Vous pensez peut-être que c'est *** qui veut me pousser là; point du tout;

il ne m'en dit mot, lui qui me tourmentait l'autre fois, vous vous en souvenez. Il me fait la mine depuis quelque temps. Je devine pourquoi; il a tort. Mais dites-moi, madame, comment faisait mon père? Il avait des amis, et même il les garda jusqu'à la fin de sa vie. On valait mieux alors.

Tout le monde ici lit la gazette et parle de nouvelles. Je vois des gens qui suivent les armées sur la carte, et ne les perdent non plus de vue que s'ils répondaient de l'événement. Dieu me fait la grâce d'être là-dessus d'une parfaite indifférence; mais je crains que tout ce vacarme, dont vous êtes plus près que nous, ne vous cause quelque inquiétude, et ne vous empêche de venir ici cet hiver.

Trouvez bon, madame, que je me rappelle au souvenir de M. le comte, et agréez l'assurance de mon très-humble respect.

[Au mois de mars 1814, Courier, vivement affecté des événements politiques auxquels il ne pouvait plus prendre part, projetait de quitter Paris pour échapper à l'odieuse nécessité de voir partout chez lui des figures russes et allemandes; mais le hasard l'ayant rapproché d'une famille qu'il aimait, celle de M. Clavier, il s'avisa de penser qu'il pourrait être heureux, marié avec la fille aînée de son ami; et cependant, un peu indécis de caractère, il voulait parce qu'il était amoureux, puis ne vou lait plus, craignant de perdre sa liberté. Dans ces alternatives, ses parents ayant fait beaucoup pour le détourner, le mariage fut rompu. Mais au bout de deux jours Courier revint suppliant, obtint grâce, et le mariage fut conclu le 12 mai, sans que Courier fût encore bien décidé sur ce qu'il voulait faire. La lettre qui suit est écrite pendant la rupture, et exprime le repentir auquel la famille Clavier céda.

M. Lemontey était camarade de collége de feu M. Clavier, et ami intime de la famille. ]

MADAME,

A MADAME CLAVIER.

Paris, le mercredi, avril 1844.

Je vous prie de vouloir bien me renvoyer par le porteur ma canne, que j'ai laissée chez vous. J'ai un mouchoir à vous que je vous renverrai, si vous me défendez de vous le porter moimême.

Il y a quinze jours aujourd'hui que je vous dis ce mot dont vous vous souvenez: Tout ce que j'aime est ici; cela était par

faitement vrai. Vous alors, madame, vous voyiez en moi un homme destiné à faire le bonheur de votre fille, et par là le vôtre et celui de toute votre famille. M. Clavier pensait comme vous. Sa sœur, me disait-il, allait être contente. M. Lemontey paraissait également satisfait. Tout le monde approuvait une union qui semblait de longtemps préparée et fondée sur mille rapports. Pour moi, je fus heureux ces huit jours que je me crus votre gendre. J'aimais, Dieu me pardonne, tout comme à vingt-cinq ans, et d'un amour que personne ne pouvait blâmer. Cette fois mon plaisir et mon devoir se trouvaient d'accord; j'éprouvais, dans cette passion qui a fait le tourment de ma vie, un sentiment nouveau de calme et d'innocence. N'en riez pas, non. C'est le mot, et je voyais s'offrir à moi un bonheur durable. Qui m'a enlevé tout cela en si peu de temps? ce qui perdit la pauvre Psyché conseils de parents.

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Il est fort assuré que vous ne trouverez personne qui vous soit aussi sincèrement attaché que je le suis, ni qui vous estime avec la même connaissance de cause, personne qui vous convienne aussi bien à tous égards, hors un point que vous ne regardez pas comme essentiel : et pouvez-vous sacrifier tant de convenances à un petit ressentiment de vanité offensée, lorsque vous savez que l'offense ne vient pas de moi, et que vous la voyez réparée par un si prompt retour? Toutes les autres raisons que vous et M. Clavier me donnâtes l'autre jour, franchement sont misérables; car tout se réduit à dire que je l'aime trop, et que je suis trop facile à me laisser conduire; fâcheuses dispositions dans un homme qui doit l'épouser, et vivre avec vous.

Je ne sais vraiment qu'imaginer pour vous faire changer de résolution. Dites à M. Clavier, madame, je vous prie, que je ferai pour lui toutes les traductions, recherches, notes, mémoires, qu'il lui plaira me commander. Je tâcherai d'être de l'Institut. Je ferai des visites et des démarches pour avoir des places, comme ceux qui s'en soucient. En un mot, je serai à lui, à ses ordres, en tout et partout. Trop heureux s'il me rend ce qu'il m'a déjà donné, et qui, à vrai dire, m'appartient. L'autre ne travailla que sept ans pour Rachel; moi je travaillerai aussi longtemps que M. Clavier voudra, et ce ne sera pas trop de lui consacrer toute ma vie, s'il la rend heureuse.

[ L'irrésolution qui avait retardé le mariage de Courier dura quelques mois encore après. Son caractère indépendant se plia difficilement à l'idée d'être lié pour jamais. Un beau jour i! partit, disait-il, pour la Touraine, et de fait il y fut. Mais de là revenant sans s'arrêter à Paris, il alla sur les côtes de la Normandie. Il y oublia mariage et famille, pour se livrer encore à cette vie aventureuse qu'il avait menée si longtemps; et, tenté par l'occasion d'un vaisseau frété pour le Portugal, il allait s'embarquer. Le souvenir et les lettres de sa jeune femme l'ayant rappelé, il se contenta d'une course à Rouen, le Havre, Dieppe, Amiens, Honfleur, etc.; et enfin, revenu à Paris, il se fit à sa nouvelle situation. Il ne quittait plus sa femme qu'à regret, et pour des affaires indispensables.

Madame Montgolfier était la femme de Joseph Montgolfier, fils du célè bre Montgolfier l'aéronaute.

La lettre qui suit est datée de ce voyage. ]

A MADAME COURIER.

Au Havre, le 25 août 1814.

Je relis ta lettre du 14, car je n'en ai point d'autres de toi. Tu m'en as sûrement écrit depuis, qui viendront, j'espère; mais je n'ai reçu que celle-là. Ton sermon me fait grand plaisir. Tu me prêches sur la nécessité de plaire aux gens que l'on voit, et de faire des frais pour cela; et comme s'il ne tenait qu'à moi, tu m'y engages fort sérieusement et le plus joliment du monde. Tu ne peux rien dire qu'avec grâce. Mais je te répondrai, moi Ne forçons point notre talent; c'est la Fontaine qui l'a dit. Si Dieu m'a créé bourru, bourru je dois vivre et mourir; et tous les efforts que je ferais pour paraître aimable ne seraient que des contorsions qui me rendraient plus maussade. D'ailleurs, veuxtu que je te dise? Je suis vieux maintenant, je ne puis plus changer; c'est toi qui pourrais te corriger, si quelque chose te manquait pour plaire. Et remarque encore, tu me compares à des gens...... Mais parlons d'autre chose.

Ma façon de vivre est assez douce, quoique je ne connaisse personne ici; ou peut-être est-ce pour cette raison que je m'y trouve bien. Je me promène, je griffonne pour passer le temps; mais surtout je nage deux fois par jour avec un plaisir infini; j'ai fait de grands progrès dans cet art. Mon école de natation à Paris m'a bien profité; j'y ai fait de nouvelles études en regar

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