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rivé si je vous avais vue cette année; car un bonheur amène l'autre. Mais une fois en guignon, tout tombe sur un pauvre homme.

On dit que nous avons à Hasbourg ou Hasbruck, ou Hasbroek, une cousine d'environ seize ans, dont la figure et le caractère ne font point du tout de déshonneur à la famille, une fort belle personne, aussi sage que belle, et tout à fait aimable. Sur un pareil bruit, chère cousine, il y a dix ou douze ans, j'aurais été rôder dans ce canton sans rien dire. Mais à présent je puis dé clarer mon projet, et annoncer que j'irai là tout exprès pour voir cette merveille; car je ne puis croire ce qu'on en dit, que je ne l'aie vue et touchée.

Je vois vos enfants le dimanche chez M. Marchand; ils sont jolis et dignes de vous ; l'aîné surtout montre de l'esprit. Je ne laisse pas, tout diables qu'ils sont, de leur apprendre quelquefois des polissonneries de mon temps, inconnues dans ce siècle-ci, où tout dégénère. Alfred fera ce qu'il voudra; mais je suis fâché qu'on les désole pour des études assommantes, et dont l'utilité, après tout, est douteuse.

:

Ne comptez-vous pas, dites-moi, vous ou votre mari, venir bientôt à Paris ? Si vous ne venez, je vais vous voir. Je pensais d'abord devoir attendre la belle saison; mais depuis, réfléchissant à l'incertitude de la vie, j'ai trouvé que c'était sottise de différer un plaisir, surtout quand on a comme moi quarante ans et des cheveux blancs rien n'est plus vrai. J'en ai beaucoup, et je les garde précieusement pour vous les faire voir. Que direzvous à cela? car enfin, ou le proverbe ment, ou ma tête n'est pas celle d'un fou, comme il vous a plu de le dire, sans reproches, en bien des rencontres. Je veux vous demander là-dessus une petite explication au coin du feu, nous deux, si je m'y trouve, comme je l'espère, avec vous cet hiver.

Répondez-moi bien vite. Vos lettres sont charmantes : j'aime fort à en recevoir, quoiqu'il n'y paraisse guère. J'en regrettai fort une que je devais avoir à Milan, et que je n'y trouvai point, sans doute par le retard de mon voyage. Vous avez un style naturel et fort agréable. Pour moi, je griffonne tout le jour des choses assez ennuyeuses, et je n'en puis plus quand il s'agit de faire une lettre qui m'amuserait.

LETTRE DE M. AKERBLAD.

Rome, le 22 décembre 1812.

Mon cher ami, j'ai eu de vos nouvelles par M. de Sacy, qui m'a instruit de l'aventure qui vous est arrivée. Cette petite admonition vous était nécessaire pour vous apprendre à connaître le prix d'un passe-port, chose qu'on n'a jamais pu vous mettre dans la tête. Je voudrais qu'en même temps cela vous dégoûtât d'un pays où l'on coffre les gens pour si peu de chose, et vous décidât à revenir en Italie, où votre bout de ruban rouge vous a toujours servi de passe-port. D'ailleurs, avouez franchement que vous n'êtes pas si bien à Paris que vous l'étiez à Frascati ou à Rocca di Papa. Vous m'aviez promis de m'écrire de Paris; mais vos amis de Rome sont tout à fait oubliés. Que dis-je vos amis? ni la princesse, ni madame Millingen, ni même votre maîtresse, ne reçoivent de vos nouvelles. La pauvre Rose dépérit à vue d'œil, et si elle ne se pend pas, elle finira par mourir de consomption; tout cela pour vos beaux yeux. Vous parlerai-je des fouilles ? mais elles ne vous intéressent que faiblement. Vous rendrai-je compte des disputes qui ont eu lieu entre les antiquaires sur la statue de Pompée et sur l'arène de l'amphithéâtre? Il faudrait des volumes, et les combattants en préparent qui seront bientôt imprimés. Une nouvelle de Naples, si vous ne la savez pas, c'est qu'on va publier tous les papyri déroulés, sans traduction, notes, ni commentaires. C'est une idée que votre serviteur a suggérée à Millin, qui en parla à la reine. Cela fait enrager les Napolitains, qui avaient spéculé sur ces papyri, dont là publication, à leur manière, demandait au moins trois ou quatre siècles.

Le roi d'Espagne, c'est-à-dire le ci-devant, voulut l'autre jour visiter la bibliothèque Vaticane; là-dessus, grands préparatifs, avec ordre aux scrittori de se mettre en gala pour le jour fixé. Or, vous savez qu'Amati, qui se passe de chemise, n'a jamais eu d'autre habillement que la redingote que vous lui connaissez. Ses trois camarades, aussi philosophes que lui, ne sont pas plus élégants ainsi, point de toilette extraordinaire. L'inten

1 Gaetani.

dant qui devait accompagner le roi, fort choqué de l'accoutrement de MM. les scrittori, leur ordonna sévèrement de ne point paraître devant Sa Majesté, au grand chagrin de mes quatre philosophes.

Adieu, mon cher ami, j'attends avec impatience de vos nouvelles. Parlez-moi de vous, de votre Xénophon, de Coray, de Clavier, et mille choses à ces messieurs et à l'aimable et savant ***.

[ Courier, revenu à Paris à la fin d'octobre, y passa tout l'hiver et le printemps de 1813, partageant son temps entre l'étude et le jeu de paume, pour lequel son ancienne passion s'était réveillée. Au mois de juillet il alla s'établir à Saint-Prix, dans la vallée de Montmorency, pour y jouir de l'air de la campagne, et pour mettre la dernière main à une nouvelle traduction de Daphnis et Chloé, qui fut, à cette époque, imprimée chez Firmin Didot. ]

A Mme LA PRINCESSE DE SALM-DYCK.

BILLET SANS DATE.

MADAME,

Je n'aurai pas le plaisir de dîner avec vous, et cela parce que je suis mort. Je m'enterrai hier avec les cérémonies accoutumées pour traduire un livre grec. C'est une belle entreprise, dont je suis fort occupé. Ainsi je n'y renoncerai guère que dans huit ou dix jours. Alors je ressusciterai, et je vous apparaîtrai. Ne soyez pas fâchée, madame, si je vous manque de parole. J'ai fait pis à madame Clavier. Après mille serments de dîner chez elle hier, je n'y suis point allé. Sérieusement je travaille comme un nègre. Je veux faire quelque chose, si je puis. Je pense à vous dans mon tombeau. J'en sortirai avant le jour du jugement, pour vous aller un peu présenter mon respect. Mais ce sera le matin, si vous le permettez.

DE PROFUNDIS.

A LA MÊME.

Saint-Prix, 25 juillet 1815.

MADAME,

Je ne voulais point vous écrire; je voulais vous aller voir, ⚫ vous et M. le comte. Je me promettais de faire avec lui plus

d'une partie de chasse et d'échecs. Ne devions-nous pas aller aux eaux d'Aix-la-Chapelle? J'ai cru de bonne foi jusqu'à présent que tous ces projets s'exécuteraient; mais je vois qu'il y faut renoncer, et que mes amis qui me défiaient de quitter Paris me connaissent assez bien. Vous savez comme on s'habitue en ce paysci, et comme aisément on y prend racine, et comme on finit par ne plus pouvoir vivre ailleurs. Assurément, il vous souvient des querelles que je vous faisais là-dessus. Vous en voilà quitte, madame. Je commence à comprendre enfin que Paris ait pour vous quelque attrait, de la façon surtout dont vous y pouvez être, puisque moi, chétif, qui n'ai pas autant de raisons de m'y plaire, je ne puis m'en arracher, non pas même pour vous aller voir. Je suis à la campagne pourtant depuis quinze jours sans m'ennuyer; mais de ma chambre je vois Paris, et j'y vais de mon pied, chaque fois que la fantaisie m'en prend. Faites-en autant, je vous prie, de votre château. Essayez avec vos carrosses de partir à la minute même où ce caprice vous viendra. Je m'attends que dans votre première lettre vous reconnaîtrez ingénuinent les avantages que nous autres hères avons sur vous autres châtelains. Mon Dieu, qu'on doit y être bien dans ce château et avec vous! je me le figure à merveille, et je crois, madame, sans vouloir vous dire une douceur, que j'y aurais bientôt oublié Paris et le reste du monde. Cela m'est arrivé quelquefois en bien moins bonne compagnie. Le difficile, c'est de bouger d'ici. Passé une fois la première poste, il n'y a plus pour moi de Paris, ou tout m'est Paris pour mieux dire. Si je vous contais les délices qui m'y retiennent à présent, vous seriez, je crois, bien surprise. Mais voilà ce que c'est. En paradis il n'y a qu'un plaisir pour tout le monde, celui de voir Dieu face à face; ici chacun jouit à sa mode.

Vous me demandez ce que je fais : je travaille à mettre un peu d'ordre dans mes pauvres affaires; quand je dis pauvres, ne croyez pas que je me plaigne de mon sort, je sais combien de gens qui me valent sont plus pauvres encore que moi; et, songeant à ce que possédaient mes amis Socrate et Phocion, j'ai honte de mon opulence. Enfin je mets ordre à mes affaires; et savez-vous pourquoi? pour aller à Athènes. Riez-en si vous voulez. C'est un pèlerinage, un vœu dont je dois m'acquitter.

Tout chrétien brûle du désir de voir une fois les saints lieux; tout Grec, un peu païen comme moi, meurt content s'il a pu saluer la terre de Minerve et des arts. J'en veux rapporter des reliques, soit la lanterne de Diogène, ou bien le miroir d'Aspasie.

Je vis l'autre jour le Tartare 1 : nous causâmes fort de vous, madame. Il vous aime et révère. Mais quand nous reviendrezvous? tout au plus, je m'imagine, à la fin de novembre. Vous venez tard et partez tôt, comme les tourterelles. Que ce style ne vous étonne pas. Je viens de lire l'Astrée, que je n'avais jamais lue; cela m'ennuya d'abord, et puis j'y pris plaisir. C'est le rebours des autres lectures et de tout ce qui amuse. Vous éprou verez la même chose quelque jour dans votre château ; vous finirez par vous y plaire et ne plus penser à Paris. Alors il faudra bien que Paris vous aille voir. Ce qui nous y cloue, c'est qu'on sait que vous y viendrez.

Je suis avec respect, madame, votre, etc.

A M. LEDUC AINÉ,

A PARIS.

Saint-Prix, le 25 juillet 1815.

Puisque tu donnes des notices aux panégyristes des morts, tu m'apprendras peut-être quelque chose de la vie militaire de ***, tué avec ***. Je l'ai connu particulièrement avant qu'il se fît ingénieur ; je lui ai donné des culottes, et, je crois, les premières bottes qu'il ait jamais portées. Maintenant j'en veux faire un hé ros; pourquoi non? Le voilà tué en bonne compagnie, c'est là l'essentiel; je ne te dis pas mon projet. Ramasse tout ce que tu pourras en entendre dire, et tu me conteras tout cela à notre première entrevue.

AU MÊME.

Saint-Prix, le 30 juillet 1843.

Tu as bien raison, mon héros était un franc animal. J'ai làdessus des notices (puisque notice y a) fort exactes et sûres. Cela

* Langlès.

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