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tiens le moins, de ine rendre à Leyde cette année, en passant par Lille. Je vous reverrai alors avec tous vos marmots; ils doivent être grands, ne vous déplaise, non pas tous, mais entin le général Braillard ( vous souvient-il de cette folie?) doit avoir bien près de dix ans : ce serait quelque chose si c'était une fille; vous avez fini justement par où il fallait commencer. Quand je dis fini, c'est que je suis loin, et ne sais guère de vos nouvelles; car peut-être, en lisant ce mot, aurez-vous sujet d'en rire : grosse ou non, je vous embrasse vous et eux, j'entends la marmaille et M. Pigalle.

A M. ET MADAME CLAVIER,

A PARIS.

Albano, le 29 avril 1511.

Monsieur, pour avoir votre ouvrage je vois bien qu'il faudra que je l'aille chercher; et cependant vous êtes cause qu'on se moque de moi. Je reçois avis l'autre jour qu'un monsieur venant de Paris m'apportait un paquet de la part de M. Clavier. Je cours où l'on m'indiquait; ce n'était pas là, c'était à l'autre bout de la ville; j'y vais, on se met à rire, et on me dit: Poisson d'avril. Or, imaginez que la veille j'expliquais à ces bonnes gens, à ceux même qui m'ont joué ce tour-là, ce que c'est chez nous que poisson d'avril; et ils ne comprenaient pas qu'on y pût être attrapé, sachant d'avance le jour. Il faut, disaient-ils, que vos Français soient bien étourdis. Vous pouvez croire qu'on n'en doute plus après cette épreuve.

J'ai enfin quitté Rome. J'y vins pour quinze jours, il y a un an ou plus. Me voici en chemin pour Naples; je n'y veux être qu'un mois si je puis; mais c'est un pays où je prends aisément racine. J'y trouve quelque chose de cette ancienne Antioche de Daphné, dont je m'accommode fort, en dépit de Julien et de sa

secte.

J'ai passé ce dernier mois presque tout à la campagne; mais quelle campagne, madame! Si vous saviez ce que c'est, vous m'envieriez. Comme je vous plains d'être confinée à Paris, ville de boue et de poussière! Ne me parlez point de vos environs; voulez-vous comparer Albano et Gonesse, Tivoli et Saint-Ouen?

La différence est à la vue comme dans les noms. Au vrai, c'est ici le paradis. Je vais pourtant trouver mieux. Dans le pays où je vais, est le véritable Éden. Mais que dites-vous de ma vie? Toujours de bien en mieux. C'est vivre

que

cela.

FRAGMENT '.

....

A Rome, avril 1812.

Ce matin, de grand matin, j'allais chez M. d'Agincourt; et comme je montais les degrés de la Trinité du Mont, je le rencontrai qui descendait, et il me dit : Vous veniez me voir ? Il est vrai, lui dis-je; mais puisque vous voilà sorti..... Non, reprit-il, entrez chez moi, je suis à vous dans un moment. Je fus chez lui, et je l'attendis; et comme il tardait un peu, je descendis dans son jardin, et je m'amusai à regarder les plantes et les fleurs, qui sont fort belles et nombreuses, et pour la plupart étrangères, à ce qu'il me parut, et aussi rangées d'une façon particulière et pittoresque. Car il y a beaucoup d'arbustes, dont les uns, plantés fort épais, font comme une espèce de pépinière coupée par de jolies allées; les autres tapissent les murs, et du pied de la maison montent en rampant jusqu'au faîte. La maison est dans un des angles du jardin; de grands arbres grêles, qui sont, je crois, des acacias, s'élèvent à la hauteur du toit, et parent les rayons du soleil sans nuire à la vue; tellement qu'on voit de là tout Rome au bas du Pincio, et les collines opposées de Saint-Pierre in Montorio et du Vatican. Au fond du jardin, aux deux angles, il y a deux fontaines qui tombent dans des sarcophages, et dont l'eau coule par des canaux le long du mur et des allées. En me promenant, j'aperçus, parmi des touffes de plantes fort hautes, une tombe antique de marbre avec une inscription. Je m'approchais pour la lire, écartant ces plantes, cherchant à poser le pied sans rien fouler, quand M. d'Agincourt, que je n'avais pas vu : « C'est ici, me dit-il, l'Arcadie du Poussin, hors qu'il n'y a ni danses ni bergers; mais lisez, lisez l'inscription. » Je lus; elle était en latin, et il y avait dans la première ligne : Aux dieux mânes; un peu au-dessous,

1 ce morceau ne paraît pas être tiré d'une lettre.

Fauna vécut quatorze ans trois mois et six jours; et plus bas, en petites lettres : Que la terre te soit légère, fille pieuss et bien-aimée!...

A M. BOISSONADE,

A PARIS.

Frascati, le 23 mars 1812.

J'ai reçu, monsieur, votre lettre, que m'a remise M. Fauris de Saint-Vincent; c'est un homme de mérite, et je vous remercie de m'avoir voulu procurer une si belle connaissance. Mais malheureusement je ne suis plus du monde. Je fuis un peu le genre humain, et je le donnerais, ma foi, de bon cœur à tous les diables, n'était quelques gens comme vous, en faveur desquels je fais grâce à tout le reste. Il me charge, M. Fauris, de recommander à votre souvenir un sien ouvrage de l'Art de traduire; apparemment vous êtes au fait, et vous saurez ce que cela veut dire.

Je lis toujours avec plaisir vos, quand cette feuille me tombe sous la main. Vous êtes riche en citations de vos auteurs; Dieu me pardonne, votre sac est plein. Vous avez quelque projet. On ne fait pas pour rien de telles provisions. Courage, monsieur, venez au secours de notre pauvre langue, qui reçoit tous les jours tant d'outrages. Mais je vous trouve trop circonspect; fiezvous à votre propre sens; ne feignez point de dire en un besoin que tel bon écrivain a dit une sottise. Surtout gardez-vous bien de croire que quelqu'un ait écrit en français depuis le règne de Louis XIV; la moindre femmelette de ce temps-là vaut mieux pour le langage que les Jean-Jacques, Diderot, d'Alembert, contemporains et postérieurs; ceux-ci sont tous ânes bâtés, sous le rapport de la langue, pour user d'une de leurs phrases; vous ne devez pas seulement savoir qu'ils aient existé. Voilà qui est plaisant, je fais le docteur avec vous. Je vous tiendrais trop, à vous dire tout ce que j'ai rêvé là-dessus.

Ce n'est donc pas vous qui succédez à M. Ameilhon, ni Coray non plus, et il y a en France quelqu'un plus habile que vous deux ? On me dit que c'est un commis de la trésorerie. Croyezvous qu'il eût été reçu si le caissier se fût présenté ?

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Nous avons ici, vous le savez, le célèbre M. Millin; mais vous serez bien surpris quand vous apprendrez qu'il arrive n'ayant que trois habits habillés. Il est clair qu'il a cru que Rome n'en méritait pas davantage. Il reconnaît sa faute, et, pour la réparer, il écrit à Paris qu'on lui envoie, ventre à terre, par une estafette, ses autres habits habillés, et le plus habillé de tous, son habit de membre de l'Institut. Rome verra sa broderie, son claque et sa dentelle. C'était le moins qu'il dût aux Césars et à l'impératrice Faustine, qui ne reçut jamais de membre d'aucun corps que dans l'état convenable. Il faut que cette science de l'étiquette et du savoir-vivre ait fait à Paris de grands progrès, car il nous en vient de temps en temps des modèles accomplis. M. Degérando était ici naguère. Chaque fois qu'il parlait en public, il ne manquait point de saluer le Capitole, et les sept collines, et le Tibre, et la colonne Trajane. Il avait toujours quelque chose d'obligeant à dire aux Scipions et aux Antonins. Sa civilité s'étendait à toute la nature et à tous les siècles. M. Millin projette d'aller jusqu'en Calabre, pays où l'on n'a jamais vu d'habits habillés; à peine y habille-t-on les hommes.

Ne me parlez point des papyri1, c'est le sujet de mes pleurs. Ils étaient bien mieux sous terre que dans les mains barbares où le sort les a mis. Il y a là force scribes et académiciens payés pour les dérouler, déchiffrer, copier, publier. Ce sont autant de dragons qui en défendent l'approche à tout homme sachant lire, et qui n'en font, eux, nul usage. Monsignor Rosini s'en occupa jadis; mais depuis qu'il est prélat de cour, il n'a plus dans la tête que le baciamano et le petit coucher. Si vous y allez jamais, on vous les montrera, mais de loin, comme la sainte ampoule ou l'épée de Charlemagne. Je n'ai pu seulement obtenir qu'on en copiât un alphabet de la plus belle écriture.

La mort de M. Bast m'a vraiment affligé, quoique je ne le connusse point; mais j'espérais le connaître un jour, et tous ceux qui cultivent comme lui ces études me sont un peu parents: mais c'est vous, monsieur, que je plains. Je ne vous dirai point que de telles pertes se puissent réparer : rien n'est si rare qu'un ami, et en trouver deux en sa vie, ce serait gagner deux fois le quine.

1 Les manuscrits antiques trouvés à Herculanum.

Je compte être bientôt à Paris, où je me promets le plaisir de

causer avec vous.

NOTE

ÉCRITE EN TÊTE DU RECUEIL DES LETTRES QUI PRÉCÈDENT (1804-1812).

Rome, le 19 mars 1812.

Si quelqu'un voit ceci, on s'étonnera que j'aie voulu conserver de pareilles misères. Mais le fait est que ces chiffons, qui ne signifient rien pour tout autre, me rappellent à moi mille souvenirs; et qu'ayant déjà passé la meilleure et la plus belle moitié de ma vie, je me plais désormais à regarder en arrière. J'ai regret seulement que cette idée me soit venue si tard; et plût à Dieu que j'eusse de semblables mémoires de mes premières années!

A MADAME LA PRINCESSE DE SALM.

Rome, le 20 juillet 1812.

[Le 23 octobre 1812, au moment même où la conspiration dite Mallet éclatait, M. Courier partit pour Tours. Il passa Orléans le 24 ou le 25, et le lendemain il se rendit à Blois. Les gendarmes de cette ville lui demandèrent son passe-port, et comme il n'en avait pas, il fut arrêté et mis en prison. On lui permit d'écrire à ses amis de Paris, et ceux-ci obtinrent aisément du préfet de police, Réal, les ordres nécessaires pour le faire mettre en liberté. Après quatre jours entiers de détention, il continua son voyage vers Tours et Luynes. ]

Tout à l'heure encore deux gendarmes me gardaient à vue jour et nuit; le jour ils me couvaient des yeux, et la nuit, avec deux chandelles, ils m'éclairaient de près pour dormir, crainte qu'on ne m'enlevât par l'air. Je ne pouvais, sauf respect, faire mon grand tour sans l'assistance de ces deux messieurs. On vous aura conté cela. J'étais un conjuré : j'avais entrepris de faire passer la couronne dans une autre branche. Si on m'eût coupé la tête pour crime d'État, c'eût été pour vous un grand lustre : rien n'honore plus une famille, et tous mes parents auraient mis cela dans leurs papiers. Malheureusement on s'aperçut que j'étais un pauvre diable qui ne savait pas même qu'il y eût des conspirations, et on m'a laissé aller. Tout cela ne me serait point ar

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