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complaisance ou de prévention pour quelqu'un dont vous connaissez depuis longtemps l'estime et l'attachement.

Sur le temps où je pourrai être de retour à Paris, je ne sais en vérité que vous dire. Ce qui me retient ici, c'est un printemps dont on n'a, où vous êtes, nulle idée; vous croyez bonnement avoir de la verdure et quelque air de belle campagne aux environs de Paris; vos bois de Boulogne, vos jardins, vos eaux de Saint-Cloud, me font rire quand j'y pense; c'est ici qu'il y a des bosquets et des eaux! Mon dessein est d'y rester,

Εἴτ ̓ ἂν ὕδωρ τε ῥέῃ, καὶ δένδρεα μακρὰ τεθήλη,

c'est-à-dire jusqu'aux grandes chaleurs; car alors tout sera sec, verdure et ruisseaux, et alors je partirai, et m'en irai droit à Paris, si je ne m'arrête en Suisse, comme je fis l'an passé, pour fuir la rage de la canicule; ainsi faites état de me voir arriver au départ des hirondelles. Je resterai le moins que je pourrai dans vos boues de Paris; et si vous étiez raisonnable, vous me suivriez à mon retour en Italie; nous passerions fort bien ici le printemps prochain sans nous ennuyer, je vous en réponds. Les meilleures maisons du pays sont celles de Mécénas et d'Horace, où vous ne serez point étranger.

A M. ET MADAME CLAVIER,

A PARIS.

Tivoli, le 4 avril 1810.

Monsieur, c'est à présent que si j'avais votre histoire de la Grèce, je la lirais à mon aise et avec plaisir. Jamais je ne fus en lieu ni mieux en humeur de goûter une bonne lecture; celle-ci m'arrivera au milieu de la poussière ou des boues de quelque grande ville. Mais quoi! rien ne vient à point dans cette misérable vie. Je songe comment vous pourrez m'envoyer cela sans me ruiner, et voici ce que j'imagine. Il y a ici, c'est-à-dire à Rome, M. de Gérando, qui me connaît un peu et vous connaît beaucoup. Il est du gouvernement provisoire de ce pays-ci, et en relation, comme tous ses collègues, avec les ministres; ils s'envoient les uns aux autres de furieux paquets; la poste ne va que pour eux. Je ne lui ai point fait de visite, parce qu'il m'eût

fallu pour cela une culotte et un chapeau d'une certaine façon, mais vous, ayant quelque ami chez la gent ministérielle, Vous pourriez lui faire parvenir, à lui de Gérando, sous le contreseing, votre ouvrage et celui de M. Coray, qui valent bien assurément les dépêches de ces Excellences. C'est ainsi qu'on m'a déjà adressé quelques volumes sous le couvert du général Miollis. Ce datif pluriel-là est aussi décemvir, et je ne le vois pas plus que le gérondif; tous ces noms de rudiment ne plaisent guère à ceux qui sont sous la férule.

Le bruit de cette tache d'encre a donc été jusqu'à Paris? Je ne reçois lettre qui n'en parle. Comment diable? des envieux, des détracteurs, des calomnies? Tout beau, mon cœur, soyons modeste; mais en vérité voilà des honneurs que personne avant moi n'avait obtenus en traduisant cinq à six pages.

Renouard a tout vu; il vous contera le fait, qui se réduit à une vingtaine de mots effacés dans autant de phrases; en sorte que, si j'eusse trouvé le manuscrit tel qu'il est, j'aurais aisément deviné ce qui ne se peut lire aujourd'hui. Un papier me servait à marquer dans le volume l'endroit du supplément; ce papier posé quelque part s'est barbouillé d'encre au-dessous, et, renis dans le volume, vous voyez ce qui est arrivé. Eh bien! voilà toute l'affaire. Mais le bibliothécaire est un certain Furia, qui ne me peut pardonner d'avoir fait cette trouvaille dans un manuscrit que lui-même a eu longtemps entre les mains, et dont il a publié différents extraits; et voilà la rage. Tous les cuistres, ses camarades, comme vous pouvez croire, font chorus, et toute la canaille littéraire d'Italie, en haine du nom français. On appelle letterati, en Italie, tous ceux qui savent hire la lettre moulée, classe peu nombreuse, et fort méprisée.

Au reste, les gens de la bibliothèque, gardes, conservateurs, scribes et pharisiens, jusqu'aux balayeurs, furent présents; trois d'entre eux, que j'ai bien payés, y compris le bibliothécaire, m'ont constamment aidé à déchiffrer, copier et revoir plusieurs fois tout le Longus, et ils ne m'ont pas quitté. Les sottises des journaux italiens à ce sujet ne méritent point de réponse. A dire vrai, quelques coups de bâton seraient peut-être bien placés dans cette occasion; mais c'est à Renouard d'y penser, car il est

plus piqué que moi. Pour un petit écu, ces gens-là se rosseront les uns les autres.

La calomnie, comme le mal de Naples, est infuse dans les Italiens. Entre eux, elle est sans conséquence. Un homme vous accuse d'avoir tué père et mère, on sait ce que cela veut dire. C'est qu'il ne vous aime pas, et cela ne vous fait nul tort, tous vos parents d'ailleurs vivant.

Dieu seul est juge, des intentions, et Dieu voit mon cœur, qui n'est pas capable de cette noirceur; car certes le trait serait noir, comme dit madame de Pimbèche. Jugez, monsieur, vous qui êtes juge, par la règle de Cassius, cui bono? Je ne pouvais craindre qu'on m'ôtât l'honneur de la découverte, puisque Renouard l'avait déjà fait annoncer dans les journaux. Le profit? on ne s'avise guère de spéculer sur du grec. J'imprime ici le texte, il ne s'en vendra point. Je le donnerai à tous ceux qui sont en état de le lire.

Ah! madame, que la gloire est à charge!

Les envieux mourront, mais non jamais l'envie.

Je mérite l'envie, et plus même qu'on ne croit, non pas pour les six pages traduites, mais c'est qu'en effet je suis heureux. N'en dites rien au moins! on crierait bien plus fort. Il est vrai que je m'en moque un peu. Il y avait une fois un homme qu'on soupçonnait d'être content de son sort, et chacun, comme de raison, travaillait à le faire enrager; il fit crier à son de trompe par tous les carrefours: On fait à savoir à tous, etc., qu'un tel n'est pas heureux. Cette invention lui réussit. On le laissa en repos. Moi, j'use d'une autre recette que j'ai apprise dans mes livres. Je dis, mais tout bas, à part moi: Messieurs, ne vous génez point; criez, aboyez tant qu'il vous plaira. Si la fièvre ne s'en mêle, vous ne m'empêcherez pas d'étre heureux.

Le Longus vous plaira, je crois; car outre le manuscrit de Florence, j'en ai un ici qui vaut de l'or. Il est cousin de celuilà; et quand ils sont d'accord, on ne peut les récuser.

Si Stone veut absolument achever mon Xénophon, qu'il l'achève, pourvu que vous ayez la patience de suivre cela de l'œil. Il m'a paru qu'on avait changé la ponctuation, j'en suis

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fâché. Il faut bien se garder d'y mettre mon nom, ni rien qui me désigne.

M. Labey me demande : Qu'est-ce que c'est donc que cette tache? Il en a entendu parler; et à qui n'en parle-t-on pas? on ne tait que la trouvaille. De lui copier ce griffonnage, ce serait pour en mourir; il servira pour vous deux. Tâchez de le lui faire tenir. Il demeure..... attendez..... c'est une rue qui donne dans celle des Cordeliers, vis-à-vis une autre rue qui mène dans la rue de la Harpe. Cela n'est-il pas clair? Faites mieux, prenez l'Almanach royal. M. Labey est professeur de mathématiques au Panthéon.

A M. LE GÉNÉRAL GASSENDI,

A PARIS.

Tivoli, le 5 septembre 1 810.

On m'assure, mon général, que vous ou le ministre demandez de mes nouvelles, et que vous voulez savoir ce que je suis devenu depuis que j'ai quitté le service.

Ma démission acceptée par Sa Majesté, je vins de Milan à Paris, où après avoir mis quelque ordre à mes affaires, me trouvant avec des officiers de mes anciens amis qui passaient de l'armée d'Espagne à celle du Danube, je me décidai bientôt à reprendre du service. J'allai à Vienne avec une lettre du ministre de la guerre, qui autorisait le général Lariboissière à m'employer provisoirement. Cette lettre fut confirmée par une autre du major général de l'armée, portant promesse d'un brevet; et on me plaça dans le quatrième corps, toujours provisoirement.

Quelque argent que j'attendais m'ayant manqué pour me monter, j'eus recours au général Lariboissière, dont j'étais connu depuis longtemps. Il eut la bonté de me dire que je pouvais compter sur lui pour tout ce dont j'aurais besoin; et, comptant effectivement sur cette promesse, j'achetai au prix qu'on voulut l'unique cheval qui se trouvât à vendre dans toute l'armée. Mais quand pour le payer je pensais profiter des dispositions favora bles du général Lariboissière, elles étaient changées. Je gardai pourtant ce cheval, et m'en servis pendant quinze jours, attendant toujours de Paris l'argent qui me devait venir. Mais

enfin mon vendeur, officier bavarois, me déclara nettement qu'il voulait être payé, ou reprendre sa monture. C'était le 4 juillet, environ midi, quand tout se préparait pour l'action qui commença le soir. Personne ne voulut me prêter soixante louis, quoiqu'il y eût là des gens à qui j'avais rendu autrefois de ces services. Je me trouvai donc à pied quelques heures avant l'action. J'étais, outre cela, fort malade. L'air marécageux de ces iles m'avait donné la fièvre, ainsi qu'à beaucoup d'autres; et n'ayant mangé de plusieurs jours, ma faiblesse était extrême. Je me traînai cependant aux batteries de l'île Alexandre, où je restai tant qu'elles firent feu. Les généraux me virent et me donnèrent des ordres, et l'empereur me parla. Je passai le Danube en bateau avec les premières troupes. Quelques soldats, voyant que je ne me soutenais plus, me portèrent dans une baraque, où vint se coucher près de moi le général Bertrand. Le matin, l'ennemi se retirait, et, loin de suivre à pied l'étatmajor, je n'étais pas même en état de me tenir debout. Le froid et la pluie affreuse de cette nuit avaient achevé de m'abattre. Sur les trois heures après midi, des gens, qui me parurent être les domestiques d'un général, me portèrent au village prochain, d'où l'on me conduisit à Vienne.

Je me rétablis en peu de jours, et, faisant réflexion qu'après avoir manqué une aussi belle affaire, je ne rentrerais plus au service de la manière que je l'avais souhaité; brouillé d'ailleurs avec le chef sous lequel j'avais voulu servir, je crus que, n'ayant reçu ni solde ni brevet, je n'étais point assez engagé pour ne me pouvoir dédire, et je revins à Strasbourg un mois environ après en être parti. J'écrivis de là au général Lariboissière, pour le prier de me rayer de tous les états où l'on m'aurait pu porter; j'écrivis dans le même sens au général Aubry, qui m'avait toujours témoigné beaucoup d'amitié; et quoi que je n'aie reçu de réponse ni de l'un ni de l'autre, je n'ai jamais douté qu'ils n'eussent arrangé les choses de manière que ma rentrée momentanée dans le corps de l'artillerie fût regardée comme non

avenue.

Depuis ce temps, mon général, je parcours la Suisse et l'Italie. Maintenant je suis sur le point de passer à Corfou, pour me rendre de là, si rien ne s'y oppose, aux îles de l'Archipel; et,

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