Page images
PDF
EPUB

nous sommes plus forts qu'eux sur les commandements de Dieu, ils nous en remontrent à leur tour sur les commandements de l'Église, qu'ils se rappellent mieux que nous, et dont le principal est, je crois, donner tout son bien pour le ciel. Vous me demandez, disait ce bon prédicateur Barlette, comment on va en paradis? Les cloches du couvent vous le disent: donnez, donnez, donnez. Le latin du moine est joli. Vos quæritis a me, fratres carissimi, quomodo itur ad paradisum? Hoc dicunt vobis campanæ monasterii, dando, dando, dando.

LETTRE VIII.

Véretz, 20 décembre 1819.

MONSIEUR,

Chacun ici commente à sa manière le discours royal d'ouverture. Il y a des gens qui disent: On ne restaure point un culte. Les ruines d'une maison, c'est le mot du bonhomme, se peuvent réparer, non les ruines d'un culte, Dieu a permis que l'Église romaine, depuis le temps de Léon X, déchût constamment jusqu'à ce jour. Elle ne périra point, parce qu'il est écrit: Les portes de l'enfer...; mais sont-ce nos ministres qui la doivent relever avec le télégraphe, ou M. de Marcellus avec quelques grimaces? Pour restaurer le paganisme à Rome, les empereurs firent tout ce qu'ils purent, et ils pouvaient beaucoup; ils n'en vinrent point à bout. Marie, en Angleterre, et d'autres souverains, essayèrent aussi de restaurer l'ancien culte; ils n'y réussirert pas, et même, comme on sait, mal en prit à quelquesuns. En matière de religion, ainsi que de langage, le peuple fait loi; le peuple de tout temps a converti les rois. Il les a faits chrétiens, de païens qu'ils étaient; de chrétiens catholiques, schismatiques, hérétiques, il les fera raisonnables, s'il le devient lui-même; il faut finir par là.

D'autres disent: Il y aurait moyen, si on le voulait tout de bon, de rallumer le zèle dans les cœurs un peu tièdes pour la vraie religion; le moyen serait de la persécuter : infaillible re

cette éprouvée mille fois, et même de nos jours. La religion doit plus aux gens de 93 qu'à ceux de 1815. Si elle languit encore, et s'il faut un peu d'aide au culte dominant, comme l'assurent les ministres, la chose est toute simple. Au lieu de gager les prêtres, mettez-les en prison et défendez la messe; demain le peuple sera dévot, autant qu'il le peut être à présent qu'il travaille; car l'abbé de la Mennais a dit une vérité : Le mal de notre siècle, en fait de religion, ce n'est pas l'hérésie, l'erreur, les fausses doctrines; c'est bien pis, c'est l'indifférence. La froide indifférence a gagné toutes les classes, tous les individus, sans même en excepter l'abbé de la Mennais et d'autres orateurs de la cause sacrée, qui ne s'en soucient pas plus, et le font assez voir. Ces amis de l'autel ne s'en approchent guère : Je ne remarque point qu'ils hantent les églises. Quel est le confesseur de M. de Châteaubriand? Certes, ceux qui nous prêchent ne sont pas des Tartufes, ce ne sont pas des gens qui veuillent en imposer. A leurs œuvres on voit qu'ils seraient bien fâchés de passer pour dévots, d'abuser qui que ce soit : ils ont le masque à la main.

C'est toi qui l'as nommé, docte abbé : notre mal et le tien, l'indifférence pour la religion. Il en a fait un livre, comme ces médecins qui composent les traités sur une maladie dont euxmêmes sont atteints, et en raisonnent d'autant mieux. Il dit en un endroit, et j'ai bonne mémoire: Est-ce faute de zèle qu'on ne dispute plus, ou faute de disputes qu'il n'y a plus de zèle? Je trouve, quant à moi, que l'on dispute assez et que le zèle ne manque pas; mais depuis quelque temps il a changé d'objet : car, même dans ce qui s'écrit sur la religion maintenant, de quoi est-il question? De la présence réelle? en aucune façon. De la fréquente communion? nullement. De la lumière du Thabor, de l'immaculée conception, de l'accessibilité, de la consubstantialité du Père et du Fils, aussi peu? De quoi donc s'agitil? du revenu des prêtres, des biens vendus, de la dîme et des bois du clergé, soit futaies ou taillis voilà de quoi l'on dispute. Ajoutez-y les donations, les legs par testament, l'argent, l'argent comptant, les espèces ayant cours : voilà ce qui enflamme le zèle de nos docteurs, voilà sur quoi on argumente; mais de Caron, pas un mot. Du dogme, on n'en dit rien; il semble que là-dessus tout le monde soit d'accord; on s'embarrasse

peu que les cinq propositions soient ou ne soient pas dans le livre de Jansenius. Il est question de savoir si les évêques auront de quoi entretenir des chevaux, des laquais, et des...

On demandait naguère au grand vicaire de S.... : Quels sont vos sentiments sur la grâce efficace, sur le pouvoir que Dieu nous donne d'exécuter les commandements? Comment accordezvous avec le libre arbitre le mandata impossibilia volentibus et conantibus? Què pensez-vous de la suspension du sacrement dans les espèces, et croyez-vous qu'il en dépende, comme la substance de l'accident? Je pense, répondit-il en colère, je pense à ravoir mon prieuré, et je crois que je le raurai.

C'est un homme à connaître, que ce grand vicaire de S...., homme de bonne maison et d'excellente compagnie. On dit bien l'air aisé ne se prend qu'à l'armée. Il a tant vu le monde! sa vie est un roman. C'est lui dont l'aventure à Londres fit du bruit, quand sa jeune pénitente, belle fille vraiment, épousa le comte d***, officier de cavalerie. Au bout de quinze jours, la voilà qui accouche. Le mari se fâcha; demandez-moi pourquoi? et l'abbé s'en alla, par prudence, en Bohême. Là, on le fit aumônier d'un régiment de Croates. Cette vie lui convenait. Sain, gaillard et dispos, se tenant aussi bien à cheval qu'à table, il disait bravement sa messe sur un tambour, et ne pouvait souffrir que de jeunes officiers restassent sans maîtresse, lorsqu'il connaissait des filles vertueuses qui n'avaient point d'amant; obligeant, bon à tout, le quartier-maître un jour le prend pour secrétaire. Fort peu de temps après, la caisse se trouva, non comme la pénitente. Bref, l'abbé s'en alla encore cette fois; et de retour en France, depuis quelques années, il y prêche les bonnes mœurs et la restitution.

LETTRE IX.

Véretz, 12 février 1820.

MESSIEURS,

Vous vous fâchez contre M. Decazes, et je crois que vous avez tort. Il nous méprise, dites-vous. Sans doute cela n'est

pas bien. Mais d'abord, je vous prie, d'où le pouvez-vous savoir, que M. Decazes nous méprise? quelle preuve en avez-vous? Il l'a dit. Belle raison! Vous jugez par ce qu'il dit de ce qu'il pense. En vérité, vous êtes simples. Et s'il disait tout le contraire, vous l'en croiriez? Il n'en faudrait pas davantage pour vous persuader que M. le comte nous honore, nous estime et révère, et n'a rien tant à cœur que de nous voir contents. Un homme de cour agit-il, parle-t-il d'après sa pensée? Il l'a dit, je le veux, plusieurs fois, publiquement et en pleine assembléc, à la droite, à la gauche; eh bien! que prouve cela? qu'il entre dans ses vues, pour quelque combinaison de politique profondes que nous ignorons vous et moi, de parler de la sorte, de se donner pour un homme qui fait peu de cas de nous et de nos députés; qui craint Dieu et le congrès, et n'a point d'autre crainte; se moque également de la noblesse et du tiers, n'ayant d'égard, que pour le clergé. Voilà certainement ce qu'il veut qu'on croie de lui; mais de là à ce qu'il pense, vous ne pouvez rien conclure, ni même former de conjectures, fussiez-vous son intime ami, son confident, ou mieux, son valet de chambre. Car il n'est pas donné à l'homme de savoir ce que pense un courtisan, ni s'il pense. O altitudo!

Vous n'avez donc nulle preuve, et n'en sauriez avoir, de ces sentiments que vous attribuez au premier ministre ; mais quand vous en auriez, quand nous serions certains (comme, à vous dire vrai, j'y vois de l'apparence) que M. Decazes au fond n'a pas pour nous beaucoup de considération, faudrait-il nous en plaindre et nous en étonner? Il nous voit si petits de ces hautes régions où la faveur l'emporte, qu'à peine il nous distingue; il ne nous connaît plus; il ne se souvient plus des choses d'ici-bas, ni d'avoir joué à la fossette. Et, en un autre sens, M. Decazes est de la cour; il n'est pas de Paris, de Gonesse ou de Rouen, comme, par exemple, nous sommes de notre pays, chacun de son village, et tous Français; mais lui : La cour est mon pays; je n'en connais point d'autre; et, de fait, y en a-t-il d'autre? On le sait; dans l'idée de tous les courtisans, la cour est l'univers; leur coterie, c'est le monde; hors de là, c'est néant. La nature, pour eux, se borne à l'OEil-de-bœuf. La faveur, la disgrâce, le lever, le débotter, voilà les phénomènes. Tout roule là-dessus.

Demandez-leur la cause du retour des saisons, du flux de l'Océan, du mouvement des sphères; c'est le petit coucher. Ainsi M. Decazes, absorbé tout entier dans la contemplation de l'étiquette, des présentations, du tabouret, des préséances, ne nous méprise pas, à proprement parler, il nous ignore.

Mais soit, je veux, pour vous satisfaire, qu'il ait dit sa pensée, comme un homme du commun, naïvement, sans détour, ainsi qu'il eût pu faire avant d'être ce qu'il est; qu'enfin il nous méprise dans le vrai sens du mot, ayant pour nous ce dédain qu'à sa place montrèrent pour la gent gouvernée Mazarin, Bonaparte, Alberoni, Dubois; je lui pardonne encore, et comme moi, Monsieur, vous lui pardonnerez, si vous faites attention à ce que je vais vous dire. On juge par ce qu'on voit de ce qu'on ne voit pas; du tout par la partie que l'on a sous les yeux. Faiblesse de nos sens et de l'entendement humain! on juge d'une nation, d'une génération, de tous les hommes par ceux avec qui l'on déjeûne; et ce voyageur disait, apercevant l'hôtesse: Les femmes ici sont rousses. Ainsi fait M. Decazes, ainsi faisons-nous tous. Cette nation qu'il méprise, nous l'estimons; pourquoi? c'est qu'à nos yeux s'offrent des gens dont la vie tout entière s'emploie à des choses louables, et de qui l'existence est fondée sur le travail, père des bonnes mœurs, la foi dans les contrats, la confiance publique, l'observation des lois. Je vois des laboureurs aux champs dès le matin, des mères occupées du soin de leur famille, des enfants qui apprennent les travaux de leur père, et Je dis (supposant qu'ils jeûnent le carême): Il y a d'honnêtes gens. Vous voyez à la ville des savants, des artistes, l'honneur de leur patrie, de riches fabricants, d'habiles artisans, dont l'industrie chez nous, secondée par la nature, lutte contre les taxes et les encouragements; une jeunesse passionnée pour tous les genres d'études et de belles connaissances, instruite, non par ses docteurs, de ce qui importe le plus à l'homme de savoir, et mieux inspirée qu'enseignée sur le véritable devoir : vous n'avez garde, je crois, de mal penser des Français, de mépriser cette nation, la connaissant par là. Mais le comte Decazes, par où nous connaît-il? et que voit-il? la cour.

Mazarin, étant roi, disait familièrement aux grands qui l'entouraient : « Affe ( dans son langage demi-trasteverin), vous

1

« PreviousContinue »