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avoir une pensée qui se rapporte à de tels objets; et, sans vos bontés, je renoncerais à rendre cet ouvrage public.

[Courier, devenu libre, se mit bientôt en route pour Paris, où il arriva le 14 avril. Napoléon venait d'en partir, pour aller soutenir une nouvelle guerre contre l'Autriche. Le bruit des victoires d'Abensberg et d'Eckmühl réveilla dans le cœur de notre officier d'artillerie le désir qu'il avait toujours nourri de faire une campagne dans une armée qu'il commandât. Il employa donc de nouveau ses amis, et obtint, le 7 mai, l'ordre de se rendre en Allemagne, pour y attendre que l'empereur eût prononcé sur sa rentrée au service. Il ne partit cependant pour Strasbourg que le 28, parce que ses affaires l'obligèrent à aller passer quelques jours à Luynes.

Enfin, il arriva le 15 juin à Vienne, où le quartier général était établi depuis un mois. ]

A M. ET MADAME CLAVIER,

A PARIS.

Strasbourg, le 2 juin 1809.

Monsieur et madame, vous serez bien aises, je crois, de savoir que j'arrivai ici hier. (Voilà un affreux hiatus, dont je vous demande pardon.) J'arrive sain, gaillard et dispos, et je repars demain avec un aide de camp du roi Joseph d'Espagne. C'est un jeune homme, à ce que je puis voir, dont les aïeux ont fait la guerre, et qui daigne être colonel. Il veut me protéger à toute force. J'y consens, pourvu qu'il m'emmène. Vous ririez trop si je vous contais sa surprise à la vue de mon bagage. Il faut dire la vérité, il n'y en eut jamais de plus mince. J'y trouve pourtant du superflu, et j'en veux faire la réforme.

Mille amitiés, mille respects. Je ne puis encore vous donner d'adresse.

A Mme LA COMTESSE DE LARIBOISSIÈRE,

A PARIS.

Vienne en Autriche, le 19 juin 1809.

Madame, vous approuverez sûrement la liberté que je prends de vous écrire, car j'ai à vous parler du général et de monsieur

votre fils. Leur santé à tous deux est telle que vous la pouvez souhaiter. Monsieur votre fils m'a tout l'air d'être bientôt un des plus jolis officiers de l'armée. Il le serait par sa figure, quand il n'aurait que cet avantage; mais j'ai causé avec lui, et je puis affirmer qu'il raisonne de tout parfaitement. Où preniezvous done, s'il vous plaît, qu'il avait l'air un peu trop page? Je n'ai rien vu de plus sensé. En un mot, madame, si son frère, comme on me l'assure, ne lui cède en rien pour le mérite, vous êtes heureuse entre toutes les mères. Je vous parle le langage de l'Évangile; ainsi je pense que vous me croirez.

Quant au général, l'empereur sait l'occuper si bien, qu'il n'aura de longtemps le temps d'être malade. C'est une chose qui nous étonne tous, que sa tête et sa santé résistent à tant d'affaires. Cependant il trouve des forces pour tout. On ne sait vraiment quand il dort, et l'heure de ses repas n'est guère plus réglée que celle de son sommeil. Avec tout cela, madame, il se porte mieux que jamais, et n'a sûrement rien à désirer, sinon d'être plus près de vous.

Ces renseignements authentiques, venant d'un témoin oculaire et digne de foi, ne vous déplairont pas, je crois; voilà par où je me flatte de vous faire agréer ce griffonnage. A mon arrivée ici, je me suis d'abord mis fort bien avec le général, en lui donnant de vous, madame, des nouvelles exactes, récentes et satisfaisantes, sans me vanter, puisque je vous ai vue bien mieux qu'il ne vous avait laissée. L'idée m'est venue de vous faire ma cour par le même moyen, en vous marquant fidèlement l'état où se trouvent deux personnes qui vous sont si chères.

A présent, votre bonté ordinaire fera que vous serez bien aise d'apprendre où en sont mes affaires. Vous savez, madame, que le général Songis s'en est allé; que M. de Lariboissière le remplace dans le commandement de l'artillerie de l'armée. Je crois en vérité que c'est moi qui ai arrangé tout cela. L'empereur n'eût pas fait autrement, s'il n'eût songé qu'à m'obliger. En arrivant je suis allé droit au général, sans même savoir que l'autre fût parti. Le lendemain mon affaire fut présentée à l'empereur, qui s'avisa de demander ce que c'était que ce chef d'escadron, et pourquoi il avait quitté. Le général répondit comme il fallait, sans blesser la vanité. Bref, la conclusion fut que je reprendrais sur-le-champ

du service. Il n'y manque plus que je ne sais quel décret que doivent faire ceux qui les font, et puis la signature, et me voilà en pied. Vous dirai-je maintenant, madame, ma pensée tout naturellement ? J'aimais M. de Lariboissière par une ancienne inclination, qui commença dès que je le connus (outre l'estime que personne ne peut lui refuser ). Maintenant la reconnaissance s'y joint; et si cet attachement d'un officier à son chef fait quelque chose au service, il n'y aura point dans l'armée d'officier qui serve mieux que moi.

[Courier, qui s'était flatté de rester pendant toute la campagne attaché au général de Lariboissière, fut fort désappointé en recevant l'ordre de passer au quatrième corps d'armée. Il le joignit cependant dans l'île de Lobau, et fut employé aux batteries qui tirèrent, le 4 juillet, pour protéger le passage du Danube; il donne lui-même, dans une lettre du 5 septembre 1810, qu'on trouvera ci-après, le détail de ce qui lui arriva à cette occasion.

Après la victoire de Wagram, il regarda la guerre comme terminée; et, ne se croyant pas de nouveau engagé au service militaire par ce qui s'était passé depuis que sa démission avait été acceptée, il quitta l'armée, et arriva à Strasbourg le 15 juillet. ]

A M. D'AGINCOURT,

A ROME.

Zurich, le 25 juillet 1809.

Monsieur, je donnerais tout au monde pour avoir à cette heure une ligne de vous qui m'assurât seulement que vous vous portez bien. Voilà en vérité mille ans que je n'ai eu de vos nouvelles. Vous allez dire que c'est ma faute. Non. Quand je vous aurais écrit, jamais vos réponses ne m'eussent atteint, dans les courses infinies que j'ai faites après être parti de Livourne. C'est de là que je vous adressai, ce me semble, ma dernière lettre. Le seul récit de mes voyages depuis ce temps-là vous fatiguerait. Figurez-vous que si j'ai eu un moment de repos, si je me suis arrêté quelque part, ç'a toujours été sans l'avoir prévu. Ne pouvant jamais dire un jour où je serais le lendemain, quelle adresse vous aurais-je donnée ? Maintenant je suis libre, ou je crois l'être, c'est tout un; et je vais...... devinez où? à Rome. Cela

n'est-il pas tout simple? Débarrassé de mille sottises qui me tiraillaient en tous sens, je reprends aussitôt ma tendance na turelle vers le lieu où vous résidez. Voilà une phrase de physicien, que quelque jolie femme prendrait pour de la cajolerie; mais vous, monsieur, vous savez bien que c'est la pure vérité. Il est heureux pour moi sans doute que vous habitiez justement le pays que je préfère à tout autre; mais fussiez-vous en Sibérie, dès que je me sens libre, j'irais droit à vous.

J'ai dû vous marquer, si tant est que je vous aie écrit de Milan, comme, arrivé là, je quittai sagement mon vilain métier. Mais à Paris, un hasard, la rencontre d'un homme que je croyais mon ami,

Et, je pense,

Quelque diable aussi me poussant,

je partis pour l'armée d'Allemagne, dans le dessein extravagant de reprendre du service. La fortune m'a mieux traité que je ne méritais, et, tout près d'être lié au banc, m'a retiré de cette galère. Je vous conterai cela quelque jour. Ce n'est pas matière pour une lettre. Dès que les chaleurs cesseront, je descendrai de ces montagnes, pour aller passer l'hiver avec vous. Cependant écrivez-moi, si peu que vous voudrez; mais écrivezmoi. Deux mots de votre main me seront un témoignage de l'état de vos yeux, et suffiront pour m'apprendre comment vous vous portez.

A M. ET MADAME THOMASSIN,

A STRASBOURG.

Lucerne, le 25 août 1809.

Monsieur et madame, les marques d'amitié que j'ai reçues de vous à mon passage par votre bonne ville me persuadent que vous serez bien aises d'avoir de mes nouvelles, et de savoir un peu ce que je deviens. En vous quittant, j'allai à Bâle; je n'y vis que la maison fort intéressante de M. Haas, auquel j'étais adressé par M. Levrault; l'occasion qui se présenta de me rendre à Zurich d'une manière très-convenable à ma fortune, c'est-àdire presque gratis, me décida pour ce voyage. Ce fut là que je com

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mençai à me trouver en Suisse, pays vraiment admirable dans cette saison. La beauté tant vantée des sites fit sur moi l'effet ordinaire, me surprit et m'enchanta. Il y avait là un prince russe avec sa femme et ses enfants, tous fort bonnes gens, quoique princes; parlant français mieux que les nôtres, ce que vous croirez aisément. Leur connaissance, que je fis, me fut utile et agréable. Nous vîmes le lac en bateau, les environs en voiture (où les voitures pouvaient aller ), le reste à pied; tout me convenait, à cause de la compagnie; on riait à n'en pouvoir plus, on causait gaiement. J'osai bien leur parler de leur vilain pays, dont je recueillis là en passant quelques notions assez curieuses. Je fus ainsi deux jours avec eux sans m'ennuyer; après quoi toute cette famille, prince, princesse, petits princes, valets, et servantes fort jolies, tout cela partit en trois carrosses pour les eaux de Baden, et partira peut-être quelque jour en un seul tombereau pour la Sibérie. Ce fut la réflexion que je fis sans la leur communiquer.

Sur le lac, Dieu m'est témoin que je pensai à mes amis des bords du Rhin, vous compris et en tête, si vous le trouvez bon; et voici comment j'y pensai tout naturellement : je regardais les eaux de ce lac, transparentes comme le cristal, celles de la Limate en sortent, et vont se jeter dans le Rhin. Vous voyez, monsieur et madame, comme mes pensées, en suivant l'onde fugitive, arrivaient doucement à vous. Les vôtres n'auraient-elles pas pu remonter quelquefois le cours de l'eau? Cela n'est pas si naturel; aussi n'osai-je m'en flatter.

Après le départ de mes Russes, je ne fus pas longtemps sans trouver une autre occasion aussi peu coûteuse que la première pour venir à Lucerne, en reprenant ma direction vers l'Italie. Arrivé dans cette ville, je voulus, avant d'aller plus loin, reconnaître le pays, où je vis beaucoup d'ombrages, point de vignes, des sapins, et, du côté du midi, un rempart de montagnes toujours couvertes de neiges. J'en conclus que c'était là un lieu trèspropre à passer le mois d'août, et l'asile que je cherchais contre la rage de la canicule, comme parle Horace. Le hasard me fit connaître un jeune baron qui venait d'hériter d'une jolie maison de campagne sur le bord du lac, à demi-lieue de la ville; nous allâmes ensemble la voir, et, sur l'assurance qu'il me donna

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