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A S. EXC. LE MINISTRE DE LA GUERRE.

Vérone, le 27 janvier 1808.

Monseigneur, par votre lettre du 3 novembre vous me demandez l'état de mes services. Ayant été en Calabre une fois pris, et trois fois dépouillé par les brigands, j'ai perdu tous mes papiers. Je ne me souviens d'aucune date. Les renseignements que vous me demandez ne peuvent se trouver que dans vos bureaux. Je n'ai d'ailleurs ni blessures ni actions d'éclat à citer. Mes services ne sont rien, et ne méritent aucune attention. Ce qu'il m'importe de vous rappeler, c'est que je suis ici aux arrêts par votre ordre, pour avoir dit, à Naples, au général Dedon ce que tout le monde pense de lui.

A M. LE GÉNÉRAL ***,

A NAPLES.

Vérone, le 51 janvier 1808.

Mon général, j'ai chargé M. Desgoutins de vous payer en or 945 francs. Je vous prie d'agréer en même temps mes remercîments. Le service que vous m'avez rendu, quoique venant fort à propos, m'a bien moins touché que les manières pleines de bonté dont vous l'accompagnâtes. Je sens qu'en vous rendant votre argent je ne suis pas quitte envers vous, et malheureusement je ne pourrai jamais vous être bon à rien. Mais ma reconnaissance, tout impuissante qu'elle est, ne me pèse point du tout, et je trouve du plaisir à vous être obligé toute ma vie.

A M. HAXO,

CHEF DE BATAILLON DU GÉNIE, A MILAN.

Livourne, le 27 juillet 1808.

Ayant éprouvé ta fidélité dans l'ambassade de Vérone, je te nomme, ou, pour parler diplomatiquement, nous te nommons notre résident à Milan; et d'abord nous te chargeons d'une négociation importante, difficile, avec des puissances dont les dispositions à notre égard sont suspectes. La lettre ci-jointe t'ex

pliquera de quoi il s'agit. Va voir cet Orbassan 1, dis-lui que si je ne vais au pays, je suis ruiné sans ressource; et cette fois un ambassadeur aura dit la vérité. Tu as dans ce que je t'ai marqué de Florence d'amples instructions; mais le point, après tout, c'est un oui ou un non; veut-il, ne veut-il pas que j'aie ce congé? En lui écrivant par la poste, comme je ne suis pas un grand seigneur, je n'aurais jamais de réponse. Par toi je saurai à quoi m'en tenir.

S'il t'écoute, tu pourras lui dire que, sans ma maladie de Naples (qui n'était point le mal de Naples), j'aurais fait il y a six mois cette demande. Tu lui conteras de mes affaires ce que tu sais et ce que tu ne sais pas, pour lui faire entendre que je ne puis, sans perdre tout ce que j'ai au monde, différer davantage à me rendre chez moi. Dis-lui les banqueroutes que j'éprouve, mes gens d'affaires fripons, mes débiteurs sans foi, mes créanciers sans pitié, mes fermiers en prison, mes parents morts ou malades. Hélas! en disant tout cela, tu n'auras pas le mérite de mentir pour un ami. Ajoute que la guerre peut recommencer; qu'on peut m'envoyer outre-mer, en Turquie, à tous les diables; auquel cas je n'aurai plus qu'à déserter ou à me pendre.

Mais s'il ne t'écoute pas, ou s'il est insolent au delà de ce que l'usage actue! autorise, alors envoie-le faire f.....; car tel est notre plaisir. Au reste, si tu réussis, comme tu m'auras servi à cette cour, je te servirai à Paris. Sur ce, nous prions Dieu, monsieur l'ambassadeur, qu'il vous ait en sa sainte garde.

A M. LE GÉNÉRAL D'ANTHOUARD,

A MILAN.

Livourne, le 28 juillet 1808.

Mon général, monsieur Haxo, chef de bataillon du génie, et mon intime ami, vous remettra la présente. Il vous expliquera, mieux que je ne pourrais faire dans une lettre, les embarras où je me trouve. Il faut que j'aille en France pour savoir si je suis ruiné. Les gens qui pourraient m'en dire des nouvelles ne m'écrivent plus depuis longtemps. J'ai demandé un congé, mais on me le refuse, pour me tenir ici à compter de vieux boulets

Le général d'Anthouard, aide de camp du vice-roi.

rouillés. Si Son Altesse savait tout cela, elle aurait pitié de ma peine; et, voyant d'un côté à quoi l'on m'occupe ici, de l'autre combien ma présence est nécessaire chez moi, elle m'enverrait faire... mes affaires, qui seraient terminées en six semaines. Voilà, mon général, ce que j'espère obtenir par votre entremise. On sait avec quelle bonté Son Altesse s'intéresse au sort de tous les officiers; et je me flatte que si vous voulez bien vous charger de mettre à ses pieds mes humbles supplications, je serai bientôt du nombre infini de ceux que la reconnaissance attache à ce prince. Je ne puis que par vous, mon général, me faire entendre à Son Altesse. L'amitié dont vous m'honorez fait toute mon espérance; et, réduit comme je le suis à cesser de servir ou à perdre tout ce que j'ai, j'aurais déjà quitté mon inutile emploi pour sauver mon patrimoine, si je n'espérais garder l'un et l'autre, par les mêmes bontés dont vous m'avez donné tant de marques.

A M. DE SAINTE-CROIX,

A PARIS.

Livourne, le 3 septembre 1808. Monsieur, ne sachant si je pourrai jamais mettre la dernière main à ma traduction des deux livres de Xénophon sur la cavalerie, je prends le parti, sauf votre meilleur avis, de la publier telle qu'elle est, avec le texte revu sur tous les manuscrits de France et d'Italie, et des notes que je n'ai pas eu le temps de faire plus courtes : le tout paraîtra sous vos auspices, si vous en agréez l'hommage. Votre amitié me fait trop d'honneur pour que je résiste à l'envie de m'en parer aux yeux du public, et mon nom a besoin du vôtre pour obtenir quelque attention. Je me flatte, Monsieur, que vous verrez avec bonté un essai dont le premier objet fut de vous plaire, et que je n'eusse pas même conduit au point où il est, sans les encouragements que vous m'avez donnés.

A MADAME MORIANA DIONIGI,

A ROME.

Livourne, le 12 septembre 1808.

Madame, pour m'empêcher de vous aller voir, il est venu

exprès, je crois, un général inspecteur de l'artillerie. Ces inspecteurs sont des gens que l'on envoie examiner si nous faisons notre devoir. Le leur est de nous ennuyer, et celui-ci s'en acquitte parfaitement à mon égard. Quand il ne serait pas de sa personne un insupportable mortel, ce que vous nommez en votre langue un soldataccio, sa visite, tombant au travers de mes plus agréables projets, ne pouvait que m'assommer. Les malédictions ne remédient à rien; mais, madame, ces jours destinés à vous voir, les passer avec l'animal le plus.... Madonna mia, donnez-moi patience! Nous avons attendu deux mois son arrivée, et je ne sais combien encore nous attendrons son départ, douce espérance dont il nous flatte chaque jour. Je compte pourtant en être délivré cette semaine, et déjà mes pensées reprennent leur direction naturelle vers Rome. Mais avant de faire les démarches nécessaires pour pouvoir m'y rendre, il faut savoir si vous y êtes. N'est-ce pas dans cette saison que vous allez ordinairement à Ferentino? Venir de si loin et ne vous pas trouver, ce serait pis que l'inspecteur. Je pars maintenant pour Florence; maintenant, c'est-à-dire, aussitôt que l'animal aura les talons tournés. J'en serai de retour dans quinze jours; faites, madame, que je trouve ici une lettre de vous qui m'apprenne où vous êtes, et je ferai en sorte, moi, qu'alors rien ne m'empêche de me rendre à Rome, si je suis assuré de vous y trouver.

Votre académie de Saint-Luc a donc enfin fait son devoir 1. Je l'en félicite. Elle ne fera pas souvent de pareilles acquisitions. Mademoiselle Henriette, dans son Arcadie, avait quelque chose d'un peu païen; mais vous, madame, sous la bannière de saint Luc, vous sanctifierez toute la famille par votre foi et par vos

œuvres.

En vous écrivant ceci, madame, d'une écriture qui n'a point de pareille au monde, j'ai le plaisir de penser que vous vous unirez tous pour tâcher de me lire, et qu'ainsi je vous occuperai tous au moins pendant quelques minutes. Il me semble vous voir les uns après les autres aguzzar le ciglia2 sur ce griffonnage, sans en pouvoir rien déchiffrer. Croyez-moi, laissez cela. Aussi bien qu'y trouveriez-vous? des assurances très-sincères Cette académie avait reçu madame Dionigi parmi ses membres.

2 Dante.

de mes sentiments, qui vous sont connus, et dont je me flatte que vous ne douterez jamais.

A M. D'AGINCOURT,

A ROME.

Livourne, le 13 octobre 1808.

Monsieur, je suis encore à Livourne, et les apparences sont que j'y passerai l'hiver. Je demandais, comme je crois vous l'avoir marqué, un congé pour aller en France; mais on m'éconduit tout à plat. J'en demande un pour Rome; ce sera, si je l'obtiens, un bon dédommagement de celui qu'on me refuse; car en France j'ai des parents; à Rome j'ai des amis, et je mets l'amitié bien loin devant la parenté, ou, pour mieux dire, c'est la seule parenté que je connaisse. Sur ce pied-là, vous m'êtes bien proche; aussi, sans mes affaires, je vous jure que je ne penserais guère à Paris ; et Ronie serait encore pour moi la première ville du monde.

S'il faut vous expliquer maintenant comment le refus fait à ma première demande n'exclut pas la seconde, le voici : la permission d'aller en France dépendait du ministre, que je n'ai pu fléchir precando; l'autre dépend ici de quelqu'un que je gagnerai donando. Je viendrais aussi bien à bout du satrape ou de ses suppôts, mais il faudrait être là.

Pour vous dire ce que je fais ici, je mange, je bois, je dors, je me baigne tous les jours dans la mer, je me promène quand il fait beau; car nous n'avons pas votre ciel de Rome. Je lis et relis nos anciens, et ne prends souci de rien que d'avoir de vos nouvelles. Madame Dionigi m'a mandé quelquefois que vous vous portiez bien. C'est tout ce que je vous souhaite, car c'est la moitié du bonheur; et l'autre moitié, mens sana, vous est acquise de tout temps. Dieu vous doint seulement, comme disaient nos pères, la santé du corps, et vous serez heureux autant qu'on saurait l'être. Cela ne vous peut manquer, avec votre tempérament et la vie que vous menez, et dans le lieu que vous habitez. Votre habitation, monsieur, est choisie selon toutes les règles que donne là-dessus Hippocrate, et auxquelles je n'imagine que vous n'avez guère pensé. Ce n'est pas non plus ce qui

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