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elle, lui donnant un poignard, le cache derrière la même porte. Puis bientôt après, comme il vit Candaule endormi, approchant sans bruit, il le tue, et ainsi eut Gygès et la femme et l'empire. C'est lui dont a parlé Archiloque de Paros dans un ïambe trimètre, ayant vécu de son temps.

XIII. Il eut la royauté, qui lui fut confirmée par l'oracle de Delphes. Car comme les Lydiens, courroucés du meurtre de Candaule, prenaient les armes, fut convenu, entre ceux qui tenaient le parti de Cyges et les autres Lydiens, que si l'oracle le déclarait roi des Lydiens, il régnerait, sinon l'empire retournerait aux Héraclides. L'oracle se déclara pour lui, il régna: seulement prédit la pythie que les Héraclides seraient vengés sur le cinquième descendant de Gygès, de laquelle prédiction ne tinrent compte ni les Lydiens, ni leurs rois, jusqu'à ce qu'elle fût accomplie.

XIV. Ainsi la tyrannie échut aux Mermnades, qui chassèrent les Héraclides. Étant tyran, Gygès envoya des offrandes à Delphes, non pas peu, mais tout ce qui se voit d'offrandes de lui en argent au temple de Delphes, et outre l'argent il offrit de l'or en quantité, dont surtout sont à remarquer six cratères d'or consacres par lui; ceuxlà, placés dans le trésor des Corinthiens, sont du poids de trente talents. S'il en faut dire la vérité, ce trésor n'est pas de la commune des Corinthiens, mais de Cypsélus, fils d'Ection. Ce Gyges, le premier des barbares que nous sachions, offrit des offrandes à Delphes après Mydas, fils de Gordias, roi de Phrygie. Car Mydas offrit le siége royal, sur lequel auparavant il rendait la justice. Ce siége curieux à voir est au même lieu que les cratères de Gygès. Tout cet or et argent, offrande de Gygès, sont appelés par les Delphiens Gygéades, du nom de qui les a offerts.

Celui-là aussi fit, étant devenu roi, une expédition contre Milet de Smyrne, prit la cité de Colophon; mais, comme ce fut là sa seule entreprise considérable, durant trente-huit ans qu'il régna, nous n'en dirons rien davantage.

XV. Je parlerai d'Ardys qui, étant fils de Gygès, après Gygès régna. Celui-là prit en guerre les Prienniens et attaqua Milet. Lui étant tyran de Sardes, les Cimmériens, chassés de leurs demeures par les Scythes nomades, vinrent en Asie, et prirent Sardes, hormis la citadelle.

XVI. Ardys ayant régné quarante-neuf ans, son successeur fut Sadyattes, fils d'Ardys, lequel régna douze ans. Après Sadyattes, Alyattes. Celui-ci fit la guerre à Cyaxare, descendant de Dejocès,

et aux Mèdes. Il chassa les Cimmériens de l'Asie, prit Smyrne, colonie des Colophoniens, et marcha contre Clazomène, d'où il revint, non pas comme il aurait voulu, mais y reçut un grand échec. D'autres œuvres dignes de mémoire furent par lui exécutées pendant son règne.

XVII. Il fit la guerre aux Milésiens, guerre commencée par son père, etc.

LES PASTORALES DE LONGUS,

OU

DAPHNIS ET CHLOÉ.

PRÉFACE 1.

La version faite par Amyot des Pastorales de Longus, bien que remplie d'agrément, comme tout le monde sait, est incomplète et inexacte; non qu'il ait eu dessein de s'écarter en rien du texte de l'auteur, mais c'est que d'abord il n'eut point l'ouvrage grec entier, dont il n'y avait en ce temps-là que des copies fort mutilées. Car tous les anciens manuscrits de Longus ont des lacunes et des fautes considérables, et ce n'est que depuis peu qu'en en comparant plusieurs, on est parvenu à suppléer l'un par l'autre, et à donner de cet auteur un texte lisible. Puis, Amyot, lorsqu'il entreprit cette traduction, qui fut de ses premiers ouvrages, n'était pas aussi habile qu'il le devint dans la suite, et cela se voit en beaucoup d'endroits où il ne rend point le sens de l'auteur, partout assez clair et facile, faute de l'avoir entendu. Il y a aussi des passages qu'il a entendus et n'a point voulu traduire. Enfin, il a fait ce travail avec une grande négligence, et tombe à tous coups dans des fautes que le moindre degré d'attention lui eût épargnées. De sorte qu'à vrai dire, s'en faut beaucoup qu'Amyot ait donné en français le roman de Longus; car ce qu'il en a omis exprès, ou pour ne l'avoir Voir, page 269 la lettre à M. Renouard, et toute la polémique au sujet de la découverte du fragment; voir aussi la Correspondance à cette époque.

il

point trouvé dans son manuscrit, avec ce qu'il a mal rendu par erreur ou autrement, fait en somme plus de la moitié du texte de l'auteur, dont sa version ne représente que certaines parties, des phrases, des morceaux bien traduits parmi beaucoup de cortre-sens, et quelques passages rendus avec tant de grâce et de précision, qu'il ne se peut rien de mieux. Aussi s'est-on appliqué à conserver avec soin dans cette nouvelle traduction jusqu'aux moindres traits d'Amyot conformes à l'original, en suppléant le reste d'après le texte tel que nous l'avons aujourd'hui, et il semble que c'était là tout ce qui se pouvait faire. Car de vouloir dire en d'autres termes ce qu'il avait si heureusement exprimé dans sa traduction, cela n'eût pas été raisonnable, non plus que d'y respecter ces longues traînées de langage, comme dit Montaigne, dans lesquelles, croyant développer la pensée de son auteur, car il n'eut jamais d'autre but, il dit quelquefois tout le contraire, ou même ne dit rien du tout. Si quelques personnes toutefois n'approuvent pas qu'on ose toucher à cette version, depuis si longtemps admirée comme un modèle de grâce et de naïveté, on les prie de considérer que, telle qu'Amyot l'a donnée, personne ne la lit maintenant. Le Longus d'Amyot, imprimé une seule fois il y a plus de deux siècles, n'a reparu depuis qu'avec une foule de corrections et des pages entières de suppléments, ouvrage des nouveaux éditeurs, qui, pour en remplir les lacunes, et remédier aux contre-sens les plus palpables d'Amyot, se sont aidés comme ils ont pu d'une faible version latine, et ainsi ont fait quelque chose qui n'est ni Longus ni Amyot. C'est là ce qu'on lit aujourd'hui. Le projet n'est donc pas nouveau de retoucher la version d'Amyot; et si on le passe à ceux-là qui n'ont pu avoir nulle idée de l'original, en fera-t-on un crime à quelqu'un qui, voyant les fautes d'Amyot changées plutôt que corrigées par ses éditeurs, aura entrepris de rétablir dans cette traduction, avec le vrai sens de l'auteur, les belles et naïves expressions de son interprète ? Un ouvrage, une composition, une œuvre créée, ne se peut finir ni retoucher que par celui qui l'a conçue; mais il n'en va pas ainsi d'une traduction, quelque belle qu'elle soit; et cette Vénus qu'Apelle laissa imparfaite, on aurait pu la terminer, si c'eût été une copie, et la corriger même d'après l'original.

Nous ne savons rien de l'auteur de ce petit roman: son nom même n'est pas bien connu. On le trouve diversement écrit en tête des vieux exemplaires, et il n'en est fait nulle mention dans. les notices que Suidas et Photius nous ont laissées de beaucoup d'anciens écrivains : silence d'autant plus surprenant, qu'ils n'ont pas négligé de nommer de froids imitateurs de Longus, tels qu'Achille Tatius et Xénophon d'Éphèse. Ceux-ci, contrefaisant son style, copiant toutes ses phrases et ses façons de dire, témoignent assez en quelle estime il était de leur temps. On n'imite guère que ce qui est généralement approuvé. Nicétas Eugénianus, dont l'ouvrage se trouve dans quelques bibliothèques, n'a presque fait que mettre en vers la prose de Longus. Mais le plus malheureux de tous ceux qui ont tenté de s'approprier son langage et ses expressions, c'est Eumathius, l'auteur du roman des Amours d'Ismène et d'Isménias. Quant à Héliodore, ce qu'il a de commun avec notre auteur se réduit à quelques traits qu'ils ont pu puiser aux mêmes sources, et ne suffit pas pour prouver que l'un d'eux ait imité l'autre. Quoi qu'il en soit, on voit que le style de Longus a servi de modèle à la plupart de ceux qui ont écrit en grec de ces sortes de fables que nous appelons romans. Il avait lui-même imité d'autres écrivains plus anciens. On ne peut douter qu'il n'ait pris des poëtes érotiques, qui étaient en nombre infini, et de la nouvelle comédie, ainsi qu'on l'appelait, la disposition de son sujet, et beaucoup de détails dont même quelque-uns se reconnaissent encore dans les fragments de Ménandre et des autres comiques. Il a su choisir avec goût, et unir habilement tous ces matériaux, pour en composer un récit où la grâce de l'expression et la naïveté des peintures se font admirer dans l'extrême simplicité du sujet. Aussi aurat-on peine à croire qu'un tel ouvrage ait pu paraître au milieu de la barbarie du siècle de Théodose, ou même plus tard, comme quelques savants l'ont conjecturé.

LIVRE PREMIER.

En l'île de Lesbos, chassant dans un bois consacré aux Nymphes, je vis la plus belle chose que j'aie vue en ma vie, une image peinte, une histoire d'amour. Le parc, de soi-même,

était beau; fleurs n'y manquaient, arbres épais, fraîche fontaine qui nourrissait et les arbres et les fleurs; mais la peinture, plus plaisante encore que tout le reste, était d'un sujet amoureux et de merveilleux artifice; tellement que plusieurs, même étrangers, qui en avaient ouï parler, venaient là dévots aux Nymphes, et curieux de voir cette peinture. Femmes s'y voyaient accouchant, autres enveloppant de langes des enfants, des petits poupards exposés à la merci de fortune, bêtes qui les nourrissaient, pâtres qui les enlevaient, jeunes gens unis par amour, des pirates en mer, des ennemis à terre qui couraient le pays, avec bien d'autres choses, et toutes amoureuses, lesquelles je regardai en si grand plaisir, et les trouvai si belles, qu'il me prit envie de les coucher par écrit. Si cherchai quelqu'un qui me les donnât à entendre par le menu ; et ayant le tout entendu, en composai ces quatre livres, que je dédie comme une offrande à Amour, aux Nymphes et à Pan, espérant que le conte en sera agréable à plusieurs manières de gens, pour ce qu'il peut servir à guérir le malade, consoler le dolent, remettre en mémoire de ses amours celui qui autrefois aura été amoureux, et instruire celui qui ne l'aura encore point été. Car jamais ne fut rien ni ne sera qui se puisse tenir d'aimer, tant qu'il y aura beauté au monde, et que les yeux regarderont. Nous-même, veuille le Dieu que sage puissions ici parler des autres!

Mitylène est ville de Lesbos, belle et grande, coupée de canaux par l'eau de la mer qui flue dedans et tout alentour, ornée de ponts de pierre blanche et polie; à voir, vous diriez non une ville, mais comme un amas de petites îles. Environ huit ou neuf lieues loin de cette ville de Mitylène, un riche homme avait une terre plus bel héritage n'était en toute la contrée, bois remplis de gibier, coteaux revêtus de vignes, champs à porter froment, pâturages pour le bétail, et le tout au long de la marine, où le flot lavait une plage étendue de sable fin.

En cette terre, un chevrier nommé Lamon, gardant son troupeau, trouva un petit enfant qu'une de ses chèvres allaitait, et voici la manière comment. Il y avait un hallier fort épais de ronces et d'épines, tout couvert par-dessus de lierre, et au-dessous la terre feutrée d'herbe menue et délicate, sur laquelle était le petit enfant gisant. Là s'en courait cette chèvre, de sorte

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