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quelque sujet important et d'un intérêt général dit au public « la vérité! En France, excommunié, maudit, enfermé par fa«yeur à Sainte-Pélagie, mieux lui voudrait n'être pas né.

<< Mais c'est là ce qui donne créance à ses paroles, la persécu«tion. Aucune vérité ne s'établit sans martyrs, excepté celles qu'enseigne Euclide. On ne persuade qu'en souffrant pour ses opinions; et saint Paul disait : Croyez-moi, car je suis souvent « en prison. S'il eût vécu à l'aise, et se fût enrichi du dogme qu'il prêchait, jamais il n'eût fondé la religion du Christ. Ja«< mais F.... ne fera, de ses homélies, que des emplois et un «< carrosse. Toi donc, vigneron, Paul-Louis, qui seul en ton « pays consens à être homme du peuple, ose encore être pam« phlétaire, et le déclarer hautement. Écris, fais pamphlet sur pamphlet, tant que la matière ne te manquera. Monte sur les

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toits, prêche l'Évangile aux nations, et tu en seras écouté, si « l'on te voit persécuté; car il faut cette aide, et tu ne ferais rien « sans M. de Broë. C'est à toi de parler, et à lui de montrer par « son réquisitoire la vérité de tes paroles. Vous entendant ainsi «<et secondant l'un l'autre, comme Socrate et Anytus, vous « pouvez convertir le monde. »>

Voilà l'épître que je reçois de mon tant bon ami sir John, qui, sur les pamphlets, pense et me conseille au contraire de M. Arthus Bertrand. Celui-ci ne voit rien de si abominable, l'autre rien de si beau. Quelle différence! et remarquez : le Français léger ne fait cas que de lourds volumes, le gros Anglais veut mettre tout en feuilles volantes; contraste singulier, bizarrerie de nature! Si je pouvais compter que delà l'Océan les choses sont ainsi qu'il me les représente, j'irais; mais j'entends dire que là, comme en Europe, il y a des Excellences, et bien pis, des héros. Ne partons pas, mes amis, n'y allons point encore. Peutêtre, Dieu aidant, peut-être aurons-nous ici autant de liberté, à tout prendre, qu'ailleurs, quoi qu'en dise sir John. Bonhomme en vérité! j'ai peur qu'il ne s'abuse, me croyant fait pour imiter Socrate jusqu'au bout. Non, détournez ce calice; la ciguë est amère, et le monde, de soi, se convertit assez sans que je m'en mêle, chétif. Je serais la mouche du coche, qui se passera bien de mon bourdonnement. Il va, mes chers amis, et ne cesse d'aller. Si sa marche nous paraît lente, c'est que nous vivons un

instant. Mais que de chemin il a fait depuis cinq ou six siècles! A cette heure, en plaine roulant, rien ne le peut plus arrêter.

PROCÈS, MÉMOIRES.

A MESSIEURS LES JUGES

DU TRIBUNAL CIVIL, A TOURS.

MESSIEURS,

(1822.)

Dans le procès que je soutiens contre Claude Bourgeau (malgré moi, car j'ai tout tenté pour en sortir à l'amiable), ma cause est si claire et si simple, que, sans le secours des gens de loi, je puis vous l'expliquer moi-même, quelque novice que je sois, comme bientôt vous l'allez voir, en toutes sortes d'affaires.

Je vends à Bourgeau deux coupes de ma forêt de Larçai. Cette forêt, de temps immémorial, est divisée en vingt-cinq coupes, une desquelles s'abat tous les ans ; mais en 1816 j'en avais deux à vendre, à cause que je n'avais point coupé l'année précédente. Bourgeau me les achète, et en exploitant la dernière, celle de 1816, il m'abat la moitié de la coupe suivante, que je ne lui avais point vendue, et qui ne devait l'être qu'en 1817. C'est de quoi je me plains, messieurs.

Bourgeau convient de tous ces faits, qu'il n'est pas possible de nier; et notez, je vous prie, que de sa part il ne saurait y avoir eu d'erreur, les limites de chaque coupe étant marquées sur le terrain de manière à ne s'y pouvoir méprendre. Aussi n'est-ce pas ce qu'il allègue pour se justifier. Il dit qu'ayant acheté de moi ces deux coupes pour trente arpents, il s'y en est trouvé cinq de moins, lesquels cinq arpents il a pris dans la coupe suivante, afin de compléter sa mesure.

Moi je ne tombai pas d'accord sur ce défaut de mesure,

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puis je ne me croyais pas tenu de lui faire ses trente arpents, s'il y eût manqué quelque chose. C'étaient là deux points à débattre. Mais, comme vous voyez, il tranche la question. Ayant à compter avec moi, il règle le compte lui tout seul; et, me jugeant son débiteur d'une valeur de cinq arpents, il me condamne, de son autorité privée, à lui fournir cette valeur en nature, non en argent; car il eût pu tout aussi bien me faire cette retenue sur le prix de la vente, prix qu'il avait entre les mains; mais non, mon bois lui convient mieux; il décide en conséquence, et sa sentence portée, il l'exécute lui-même. Je connais peu les lois; mais je doute qu'il y en ait qui autorisent ce procédé.

A vrai dire, il fait bien de se payer ainsi, et de me prendre du bois plutôt que de l'argent; car que m'aurait-il pu retenir sur le prix de la vente? A raison de 400 fr. l'arpent, comme il m'achetait ces deux coupes, cela lui eût fait, pour cinq arpents, 2,000 fr. seulement; au lieu qu'en prenant cinq arpents de la coupe suivante, dont on m'offrait alors 750 fr. l'arpent, il se faisait 3,750 fr., à ne calculer qu'au prix qu'on me donnait de ce bois; et sans doute il l'a mieux vendu. Vous voyez, messieurs, qu'ayant le choix, et disposant comme il faisait de mon bien à sa fantaisie, il n'y avait pas à balancer.

Cette différence de valeur, entre le bois qu'il me prenait et celui que je lui ai vendu, serait facile à vérifier s'il était question de cela, mais ce n'est pas de quoi il s'agit; le point à discuter entre nous n'est pas de savoir si je lui devais, ni ce que je lui devais, ni s'il m'a pris plus ou moins. Il me prend mon bien, voilà le fait, et puis il dit que je lui dois. Il me prend mon bien en mon absence, puis il entre en compte avec moi. Et où en serais-je, je vous prie, si chacun de ceux à qui je puis devoir s'en venaient abattre mon bois, cueillir, avant le temps, mes fruits ou ma vendange, et couper mon blé en herbe? Car ces cinq arpents n'avaient pas l'âge d'être exploités. Bourgeau coupe en 1816 ce qui ne devait l'être qu'en 1817; il m'ôte d'avance mon revenu, me prive d'avance de ma subsistance. Il me prend mon bien, non-seulement sans aucun droit, sans aucun titre (car je ne lui vendis jamais la coupe de 1817), mais remarquez ceci. messieurs, il me prend ce qu'il avait promis de ne pas prendre, promis par écrit et signé. C'est ce que vous pouvez voir, mes

sieurs, dans l'acte même fait entre nous, et dont voici les propres termes :

L'adjudication sera faite avec toute garantie de fait et de droit, mais sans perfection de mesure, en totalité ou par coupe, sans pouvoir anticiper sur la coupe de l'année prochaine, M. Courier n'entendant vendre que les deux coupes ci-dessus désignées.

Cette dernière clause vous paraîtra bizarre, et elle l'est en effet. Je ne crois pas qu'on ait jamais mis rien de pareil dans aucun acte. Qui jamais s'est avisé de dire : Je vends tel pré, à condition qu'on ne fauchera pas le pré voisin; ou bien tel champ, à condition qu'on ne moissonnera pas hors des limites de ce champ? Ayant désigné ce que je vendais, tout le reste n'était-il pas réservé de droit? et à quoi bon faire mention de ce que je ne vendais pas? Vous reconnaîtrez-là, messieurs, mon peu de science en affaire. J'avais envie de vendre mes deux coupes à Bourgeau, que je connaissais pour un des bons marchands du pays, fort exact, payant bien; mais d'autre part je le craignais, à cause de quelques procès qu'il avait eus, tout récemment, pour délits par lui commis dans les bois qu'il exploitait; et voyant près de ces deux coupes, que je mettais en vente, mes plus beaux et meilleurs taillis, j'avais peur que la tentation ne fût trop forte pour lui. Là-dessus donc j'imaginai, comme un expédient admirable, une sûre garantie; la clause que vous venez d'entendre, par laquelle Bourgeau s'engageait à ne toucher, sous aucun prétexte, à ma coupe de 1817 en abattant les deux autres.

Il le promit bien et signa; et moi, qui me fiais à cela, je m'en allai, je voyageai, me croyant à l'abri de toute usurpation de sa part, et persuadé qu'il n'oserait couper une seule hart au delà de ce qui lui revenait, tant je pensais l'avoir bien lié par cette convention écrite, qui me paraissait inviolable; mais à mon retour je trouvai qu'il n'en avait tenu compte, et qu'il avait abattu tout au travers de mes bois ce qui lui avait paru à sa bienséance, c'est-à-dire, dans ma meilleure coupe, tout le meilleur et le plus beau, à son choix, sans suivre aucune ligne, prenant ceci et laissant cela, selon qu'il lui convenait ou non. Car, en tel endroit, il s'enfonce de cinquante pas dans cette coupe, ailleurs il s'en tient aux limites. Il en use comme j'aurais pu faire, mo

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propriétaire, si j'eusse voulu me défaire du plus beau bois de ma forêt, sans égard à l'ordre des coupes, et gâter mon bien par plaisir.

lui

Je n'ai jamais plaidé, quoique possesseur de terre, et ne sais guère ce que c'est qu'on appelle procès et chicane; mais j'ai oui dire des merveilles de l'habileté des avocats à obscurcir ce qui est clair, et à donner au tort l'apparence du droit. Ici, messieurs, je vous l'avoue, je suis curieux de voir comment on s'y prendra pour montrer que Bourgeau a pu, avec justice, user et abuser de ma propriété, couper dans mes bois cinq arpents non vendus à lui, ni cédés en aucune façon, mais, au contraire, comme vous voyez, très-expressément réservés; et de la sorte enfreindre la principale clause du contrat fait entre nous. J'ai souvent cherché en moi-même ce qu'il pourrait alléguer pour se justifier là-dessus. D'erreur, il n'y en saurait avoir, comme je l'ai dit en commençant; chaque coupe formant un carré dont les quatre angles sont marqués par des fossés de brisées (c'est ainsi qu'on les appelle), dans toute l'étendue de la forêt. De dire que ses trente arpents, mesure exprimée dans l'acte, devaient être complétés, j'ai déjà répondu à cela. Voudra-t-il arguer de ce qu'on n'a point fait de brisées d'un angle à l'autre de chacune des coupes vendues, pour en achever le tracé et déterminer les côtés? Mais cela même est contre lui, car c'était à lui d'exiger que ces brisées fussent faites, d'autant plus que, s'étant engagé à ne point anticiper sur la coupe contiguë à celles qu'il exploitait, il lui importait que cette coupe fût séparée des autres dans toute sa longueur par une ligne invariable. Cette raison d'ailleurs se pourrait écouter, s'il s'agissait entre nous de quelques arbres seulement, et d'une fausse direction dans la ligne d'exploitation, qui, après tout, n'emporterait au plus que quelques pieds; mais c'est précisément aux angles de la dernière coupe, là où les limites sont marquées par ces fossés de brisées, qu'il les a passés, non de quelques pieds, mais de cinquante pas. Tout cela est facile à voir sur le terrain.

Je ne puis donc imaginer ce qu'il dira pour sa défense, et je ne conçois pas davantage comment une réserve si juste, et qui n'avait pas besoin d'être exprimée, une clause si solennelle de l'acte de vente, est tellement nulle à ses yeux, qu'il n'hésite pas

P. L. COURIER.

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