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pense à le réciter en face de ses juges. Il avait montré trop d'émotion dans les réponses, où il se peint d'une fermeté et d'une ironie si imperturbables, pour être capable de l'assurance nécessaire au débit d'un pareil morceau. Il est probable même que cette harangue étudiée, si belle à la lecture, eût manqué son effet à l'audience; on y eût trop reconnu les effets oratoires calculés dans le cabinet. Si la parole est souveraine, c'est quand l'enfantement de la pensée est visible comme un spectacle, c'est quand un homme privilégié semble divulguer à toute une assemblée le secret de la plus haute des facultés humaines, l'inspiration.

La veille du jour où expirait sa détention de deux mois, Courier fut tiré de la prison de Sainte-Pélagie et conduit devant le tribunal pour un nouveau pamphlet, la Petition pour des villageois qu'on empêche de danser. Il en fut quitte cette fois pour une simple réprimande; mais, reconnaissant à ce second réquisitoire qu'il lui était désormais impossible de causer, comme il le disait, avec le gouvernement, par la voie de la presse légale, il eut recours à la presse clandestine. Son secret fut si bien gardé, que ses meilleurs amis ne surent pas comment il s'y prenait pour faire imprimer et répandre ses nouvelles causeries, lesquelles se succédaient avec une rapidité plus surprenante encore pour ceux qui avaient entendu parler de la sévérité et de la nécessaire lenteur que Courier apportait dans ses compositions. Ainsi parurent de 1822 à 1824, sans être avouées de leur auteur, mais le faisant trop bien reconnaître, la première et la deuxième Réponse aux anonymes; l'une des deux admirable par le récit du forfait de Maingrat et cette poétique et vivante peinture des combats du jeune prêtre confessant la jeune fille qu'il aime; enfin par ce continuel et si facile passage de la simplicité villageoise la plus naïve, au pathétique le plus déchirant et au raisonnement le plus rigoureux, le plus élevé, le plus entraînant. Tout le dix-huitième siècle a écrit contre les couvents d'hommes et de femmes, contre les vœux de religion, contre la confession des jeunes filles par les jeunes prètres. Si l'on en excepte la Profession de foi du vicaire savoyard de JeanJacques, qu'a-t-on produit dans ce siècle de guerre emportée qui fasse descendre dans les âmes la conviction de l'abus, aussi bien que cette éloquente lettre où le prêtre, excusé et plaint comme homme, intéresse presque dans son irrésistible passion, comme victime de cette robe qui n'empêche point le cœur de battre, mais qui lui prescrit le mensonge s'il est faible, qui le pousse au meurtre si la peur de voir révéler son secret l'a saisi.

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Le Livret de Paul-Louis, la Gazette du village, ces croquis délicieux, ces comiques boutades d'un ennemi du gouvernement, plus artiste et homme d'esprit que factieux; enfin la Pièce diplomatique, supposition bien hardie, sans doute, de ce qui pouvait se passer en 1823 au fond d'une âme royale quelque peu double et assez mal dévote, précédèrent de très-peu de temps le Pamphlet des pamphlets, qui fut le chant du cygne, comme on l'a bien et tristement dit quelque part. « Cet ouvrage, a dit Courier dans la notice « anonyme, est, à proprement parler, la justification de tous les « autres. L'auteur, qui toujours a su resserrer en quelques pages les « vérités qu'il a voulu dire, s'attache à démontrer que le pamphlet est, de sa nature, la plus excellente sorte de livre, la seule vrai<< Inent populaire par sa brièveté même. Les gros ouvrages peu«vent être bons pour les désœuvrés des salons; le pamphlet s'adresse aux gens laborieux de qui les mains n'ont pas le loisir de « feuilleter une centaine de pages. Cette thèse heureuse à la fois et ingénieuse est soutenue en une façon qu'on appellerait volontiers dramatique. L'opinion d'un libraire parisien est mise en face de « celle d'un baronnet anglais; l'un prétend flétrir, l'autre glorifier << l'auteur du titre de pamphlétaire ; et des débats sortent une foule « de ces bonnes vérités qui vont à leur adresse.» Voilà bien l'esquisse décolorée, ou, si l'on veut, tout simplement la donnée du Pamphlet des pamphlets. Mais ici le biographe anonyme laisse trop à dire sur ce magnifique discours, dont la lecture doit rendre à jamais déplorable la fin prématurée de Courier. Tout ce qu'il avait produit jusque-là, parfait à beaucoup d'égards, n'était point sans déplaire à quelques lecteurs par le retour fréquent des mêmes formes, par le suranné d'expressions qui montrent la recherche et n'ajoutent pas toujours au sens, par le maniéré de cette naïveté villageoise, un peu trop ingénieuse, qui va se transformant à travers les combinaisons de raisonnements les plus déliées, du paysan au savant et du soldat au philosophe. En un mot, l'art du monde le plus raffiné semblait embarrassé de lui-même. Ce pamphlétaire, qui ne se génait d'aucune vérité périlleuse à dire, hésitait sur un mot, sur une virgule, se montrait timide à toute façon de parler qui n'était pas de la langue de ses auteurs. Le Pamphlet des pamphlets montra le talent de Courier arrivé à ce période de puissance où l'écrivain n'imite plus personne et prétend servir d'exemple à son tour. On peut voir dans sa correspondance avec madame Courier la confiance lui venant avec ses succès. D'abord il s'étonne, il s'effraye presque de sa célébrité

si rapide, il la comprend à peine. N'ayant eu jusque-là de l'esprit que pour lui et pour quelques amis, il semble ne pouvoir se reconnaitre dans l'écrivain qui fait la curiosité des salons, et que les feuilles publiques appellent le Rabelais de la politique, le Montaigne du siècle, l'émule heureux de Pascal, l'imitateur heureux de tout ce qu'il y a jamais eu d'inimitable. Mais, assez vite, Paul-Louis se rassure; il s'habitue à sa réputation; il éprouve la sympathic universelle du public français pour un talent qu'il n'avait connu, lui, que par le laborieux et pénible côté de la composition. A mesure qu'il produit, on peut remarquer son allure plus dégagée, plus libre, sa manière se séparant de plus en plus de celle des écrivains auquels on a pu d'abord le comparer, jusqu'à ce qu'enfin elle soit tout à fait l'expression de l'originalité de son esprit et de la trempe un peu sauvage de son caractère. Cet assouplissement graduel est assez ́marqué depuis la lettre à Monsieur Renouard jusqu'au Simple discours ; mais, depuis le Simple discours jusqu'au Pamphlet des pamphlets, il l'est bien davantage. C'est là seulement que la lente formation de ce talent de premier ordre, qui tout à l'heure va disparaitre, est accomplie. La maturité peut-être un peu factice des premiers écrits de Courier a fait place à une maturité réelle, dans laquelle la vigueur est alliée à la grâce et l'originalité la plus âpre au naturel le plus parfait. On voit que ce lumineux et mordant génie a rencontré enfin la langue qui convient à ses amères impressions sur les hommes et les choses de son temps, et qu'il va marcher armé de toutes pièces. Dans le Pamphlet des pamphlets ce n'est plus un villageois discourant savamment sur les intérêts publics, c'est Paul-Louis se livrant avec une sorte d'enthousiasme au besoin de dire sa vocation de pamphlétaire et de la venger des mépris d'une portion de la société. Il s'est mis en cause commune avec Socrate, Pascal, Cicéron, Franklin, Démosthène, saint Paul, saint Basile; il s'est environné de ces grands hommes, comme d'une glorieuse milice d'apôtres de la liberté de penser, de publier, d'imprimer; il les montre pamphlétaires comme lui, faisant, chacun de son temps, contre une tyrannic ou contre l'autre, ce qu'il a fait du sien, lançant de petits écrits, attirant, prêchant, enseignant le peuple, malgré les plaisanteries de la cour, le blâme des honnêtes gens, la fureur des hypocrites et les réquisitoires du parquet; les uns allant en prison comme lui, les autres forcés d'avaler la ciguë ou mourant sous le fer de quelque ignoble soldat. Voilà le Pamphlet des pamphlets, morceau d'un entrainement irrésistible, et dont le style, d'un bout à l'autre en harmonie avec

le mouvement de l'inspiration la plus capricieuse et la plus hardie, est peut-être ce que l'on peut citer dans notre langue de plus achevé comme goût et de plus merveilleux comme art.

On ne s'est point arrêté aux derniers travaux de Courier comme helléniste. Le plus important, sa traduction d'Hérodote, n'a point été achevé. Ce n'est guère ici le lieu de discuter le système dans lequel cette traduction a été commencée. Courier s'en est expliqué dans une préface qui n'a point mis tout le monde de son avis, mais qui a peut-être donné l'idée la plus complète des richesses littéraires silencieusement acquises par lui pendant ses campagnes, ses voyages, ses séjours à Naples, à Rome, à Paris, et sa dernière retraite en Touraine. Ce n'est pas trop de dire qu'il avait encore toute une réputation à se faire comme critique.

Voilà l'écrivain que la France a perdu dans toute la vigueur de son talent, et la tête plus que jamais pleine de projets. L'Europe sait que Paul-Louis Courier a été, le 10 avril 1825, atteint d'un coup de fusil à quelques pas de sa maison, et qu'il est mort sur la place.

On verra qu'une année avant sa tragique fin, Courier se faisaït dire dans son Livret : Paul-Louis, les cagots te tueront. Le procès auquel a donné lieu cette déplorable mort n'a point accusé les cagots: aujourd'hui mème encore on n'accuse personne. Quelques amis de Courier savent seulement que, devenu dans ses dernières années d'une humeur assez difficile, il n'était pas sans ennemis dans son voisinage. Mais ce dont il est impossible de n'être pas vivement frappé, c'est le vague pressentiment de malheur qui règne dans la dernière partie du Pamphlet des pamphlets. Quelques lignes semblent ètre un confus adieu de Courier à la vie, à ses études favorites, à sa carrière déjà si glorieuse, un involontaire retour sur lui-même, et comme un touchant désaveu de ses préventions contre son temps. « Détournez de moi ce calice, dit-il; la ciguë est amère, et le monde << se convertit assez sans que je m'en mêle, chétif; je serai la mou«< che du coche, qui se passera bien de mon bourdonnement; il va, << mes chers amis, et ne cesse d'aller. Si sa marche nous parait lente, <«< c'est que nous vivons un instant; mais que de chemin il a fait depuis cinq ou six siècles! A cette heure, en plaine roulant, rien ne le << peut plus arrêter. »

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C'est parmi ces espérances d'un temps meilleur pour la France et pour l'humanité, que l'ardent ennemi des oppresseurs de grande et de petite taille, héros ou cagots, semblait pressentir à la fois et la fin et l'inutilité prochaine de son rôle de pamphlétaire. Il y a six ans

de cela, et certes le coche n'est point resté depuis lors immobile. Ilier il avançait, aujourd'hui il recule. C'est toujours la lutte des passions et des ineptes fantaisies de quelques débris d'ancien régime contre les résultats de la révolution. Assurés de vaincre un jour, mais pressés d'en finir, qui de nous n'a point senti cruellement dans ses derniers temps l'absence de Paul-Louis Courier? Combien de fois ne s'est-on pas surpris à penser qu'en tel acte arbitraire ou honteux, le pouvoir, qui se riait des attaques concertées de cent journaux, eût tremblé à l'idée de rencontrer la petite feuille du pamphlétaire? Non, Courier n'est point oublié et ne le sera point. La place qu'il occupa dans nos rangs demeurera vide jusqu'à la fin du combat. Mais, avant de rencontrer sa destinée, il a du moins gravé sur l'airain tous les sentiments qui lui furent communs avec nous, et qui absoudraient cette génération, si jamais elle était accusée d'avoir été muette spectatrice de toutes les hontes de la France depuis quinze ans.

1er décembre 1829.

ARMAND CARREL.

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