Page images
PDF
EPUB

parler de Dieu, auquel je pensais plus que lui et plus souvent, mais autrement. Il voulait me convertir, me sauver, disait-il. Je l'écoutais, volontiers; car il parlait toscan, et s'exprimait des mieux dans ce divin langage. A la fin je guéris; nous devînmes amis; et comme il me prêchait toujours, je lui dis : Cher abbé, demain je me confesse, si tu veux te marier et vivre heureux. Tu ne peux l'être qu'avec une femme, et je sais celle qu'il te faut. Tu la vois chaque jour, tu l'aimes, tu péris. Il me mit la main sur la bouche, et je vis que ses yeux se remplissaient de pleurs. J'ai ouï conter de lui, depuis, des choses fort étranges, et qui me rappelèrent ce qu'on lit d'Origène.

Voilà où les réduit le malheur de leur état. Mais pourquoi, me direz-vous, quand on est susceptible de telles impressions, se faire prêtre? Hé! monsieur, se font-ils ce qu'ils sont? Dès l'enfance élevés par la milice papale, séduits, on les enrôle; ils prononcent ce vœu abominable, impie, de n'avoir jamais femme, famille, ni maison; à peine sachant ce que c'est, novices, adolescents, excusables par là ; car un vœu de la sorte, celui qui le ferait avec une pleine connaissance, il le faudrait saisir, séquestrer en prison, ou reléguer au loin dans quelque île déserte. Ce vœu fait, ils sont oints, et ne s'en peuvent dédire : que si l'engagement était à terme, certes peu le renouvelleraient. Aussitôt on leur donne filles, femmes à gouverner. On approche du feu le soufre et le bitume; car ce feu a promis, dit-on, de ne point brûler. Quarante mille jeunes gens ont le don de continence pris avec la soutane, et sont dès lors comme n'ayant plus ni sexe ni corps. Le croyez-vous? De sages, il en est, si sage se peut dire qui combat la nature. Quelques-uns en triomphent; mais combien, au prix de ceux que la grâce abandonne dans ces tentations? La grâce est pour peu d'hommes, et manque même au plus juste. Comment auraient-ils, eux, ce don de continence, jeunes, dans l'ardeur de l'âge, quand les vieux ne l'ont pas?

Ce curé de Paris, que Vautrin, tapissier, le trouvant avec sa femme, tua et jeta par la fenêtre, il y a peu d'années (l'aventure est connue dans le quartier du Temple; on n'en fit point de bruit, à cause du clergé); ce curé avait soixante ans, et celui de Pezay en a soixante-huit, qui ne l'ont pas empêché,

dernièrement encore, de prendre dans les boues une fille mendiante et tombant du haut mal. Il en fit sa maîtresse : autre affaire étouffée par le crédit des oints, car le père se plaignit voyant sa fille grosse ; mais l'Église intervint. Celui qui ne peut à cet âge s'abstenir d'un objet horrible et dégoûtant, que pensez-vous qu'il ait fait à vingt ou vingt-cinq ans, gouverneur d'innocentes et belles créatures? Si vous avez une fille, envoyez-la, monsieur, au soldat, au hussard, qui pourra l'épouser, plutôt qu'à l'homme qui a fait vœu de chasteté, plutôt qu'à ces séminaristes. Combien d'affaires à étouffer, si tout ce qui se passe en secret avait des suites évidentes, ou s'il y avait beaucoup de maires comme celui de Saint-Quentin! Que d'horreurs laissent entrevoir ces faits, qui transpirent malgré la connivence des magistrats, les mesures prises pour arrêter toute publicité, le silence imposé sur de telles matières! Et sans même parler des crimes, quelles sources d'impuretés, de désordres, de corruption que ces deux inventions du pape, le célibat des prêtres et la confession nommée auriculaire! que de mal elles font ! que de bien elles empêchent ! Il le faut voir et admirer là où la famille du prêtre est le modèle de toutes les autres, où le pasteur n'enseigne rien qu'il ne puisse montrer en lui, et, parlant aux pères, aux époux, donne l'exemple avec le précepte. Là, les femmes n'ont point l'impudence de dire à un homme leurs péchés; le clergé n'est point hors du temple, hors de l'État, hors de la loi; tous abus établis chez nous dans les temps de la plus stupide barbarie, de la plus crédule ignorance, difficiles à maintenir aujourd'hui que le monde raisonne, que chacun sait compter ses doigts.

GAZETTE DU VILLAGE.

(1823.)

Ce journal n'est ni littéraire, ni scientifique, mais rustique. A ce titre, il doit intéresser tous ceux que la terre fait vivre, ceux cui mangent du pain, soit avec un peu d'ail, soit avec d'au

tres mets moins simples. Les rédacteurs sont gens connus, demeurant la plupart entre le pont Clouet et le Chêne Fendu, laboureurs, vignerons, bûcherons, scieurs de long et botteleurs de foin, dont les opinions, les principes, n'ont jamais varié, incapables de feindre ou d'avoir d'autres vues que leur propre intérêt, qui, comme chacun sait, est celui de l'État; tranquilles sur le reste, et croyant qu'eux repus, tout le monde a dîné. Paul-Louis, quelque peu clerc, écoute leurs récits, recueille leurs propos, sentences, dits notables, qu'il couche par écrit, et en fait ces articles, sans y rien sous-entendre. Il ne faut point chercher ici tant de finesse. Nous nommons par leur nom les choses et les gens. Quand nous disons un chou, des citrouilles, un concombre, ce n'est point de la cour ni des grands que nous parlons. Si gros Pierre bat sa femme, nous n'irons pas écrire : Le bruit courait hier que M. de G... P... ; ou dans certains salons, on se dit à l'oreille... Nous contons bonnement, comme on conte chez nous, et plaignons l'embarras de nos pauvres confrères, ayant à satisfaire à la fois les lecteurs qui demandent du vrai, le gouvernement qui prétend que nulle vérité n'est bonne à dire.

[ocr errors]

Monsieur le maire a entendu la messe dans sa tribune. Après le service divin, monsieur le maire a travaillé dans son cabinet avec monsieur le brigadier de la gendarmerie; ensuite de quoi ces messieurs ont expédié leur messager, dit le Bossu, avec un paquet pour monsieur le préfet en main propre. Nous savons cela de bonne part, et le porteur doit revenir avec la réponse ou le reçu: même on l'a vu passer pres de la Ville aux Dames, où il a bu un coup. Quant au contenu de la dépêche, rien n'a transpiré. On soupçonne qu'il s'agit de quelques mauvais sujets qui veulent danser le dimanche et travailler le jour de SaintGilles.

Madame, femme de monsieur le maire, est accouchée d'un gentilhomme, au son des cloches de la paroisse.

Les rossignols chantent, et l'hirondelle arrive; voilà la nouvelle des champs. Après un rude hiver et trois mois de fâcheux temps, pendant lesquels on n'a pu faire charrois ni labours, l'année s'ouvre enfin, les travaux reprennent leur cours. Charles Avenet est en prison pour avoir parlé aux soldats.

-

Revenant hier de Sainte-Maure, il rencontra quelques soldats, et les mena au cabaret. Ils furent bientôt bons amis; Avenet a servi longtemps; il est membre, non chevalier de la Légion d'honneur. En buvant bouteille, Camarades, leur dit il, qu'il ne vous déplaise, où allez-vous le sac au dos? A l'armée, dirent ces jeunes gens. Fort bien. Et demandant une seconde bouteille : Qu'allez-vous faire? Hé! mais, la guerre apparemment. Fort bien, répond Avenet. A la troisième bouteille : Çà, dites-moi, pour qui allez-vous faire la guerre ? Ils se mirent à rire. On parla des affaires. Deux gendarmes étaient là, qui, connaissant Avenet, l'appellent et lui disent: Va-t'en, Avenet, va-t'en. Il les crut, s'en alla; les gendarmes aussi. Mais il revint bientôt, rejoignit ses convives, et reprit son propos. Alors on l'arrêta. C'étaient d'autres gendarmes. On l'a mis au cachot. Le cas est grave: il a dit ce qui se dit entre soldats, après trois bouteilles bues.

--

Les vaches ne se vendent point. Les filles étaient chères à l'assemblée de Véretz, les garçons hors de prix. On n'en saurait avoir. Tous et toutes se marient à cause de la conscription. Deux cents francs un garçon ! sans le denier à Dieu, sabots, blouse et chapeau pour la première année. Une fille, vingt-cinq écus. La petite Madelon les refuse de Jean Bedout; encore ne sait-elle boulanger ni traire.

On voit dans nos campagnes des gens qui, ne gagnant rien, dépensent gros, étrangers, inconnus. L'un, marchand d'allumettes, l'autre, venu pour vendre un cheval qui vaut vingt francs, s'établissent à l'auberge, et mangent dix francs par jour. Ils font des connaissances, jouent et payent à boire les dimanches, les jours de fête ou d'assemblée. Ils parlent des Bourbons, de la guerre d'Espagne; causent et font causer: c'est leur état. Pour cela, ils vont par les villages, non pour aucun négoce. On appelle ces gens, à la ville, des mouchards; à l'armée, des espions; à la cour, des agents secrets; aux champs, ils n'ont point de nom encore, n'étant connus que depuis peu. Ils s'étendent, se répandent à mesure que la morale publique s'organise.

M. le maire est le télégraphe de notre commune; en le voyant, on sait tous les événements. Lorsqu'il nous salue, c'est que l'armée de la Foi a reçu quelque échec; bonjour de lui veut dire une défaite là-bas. Passe-t-il droit et fier? la bataille est ga

gnée; il marche sur Madrid, enfonce son chapeau pour entrer dans la ville capitale des Espagnes. Que demain on l'en chasse, il nous embrassera, touchera dans la main, amis comme devant. D'un jour à l'autre il change, et du soir au matin est affable ou brutal. Cela ne peut durer; on attend des nouvelles, et, selon la tournure que prendront les affaires, on élargira la prison ou les prisonniers.

-Pierre Moreau et sa femme sont morts, âgés de vingt-cinq ans. Trop de travail les a tués, ainsi que beaucoup d'autres. On dit, Travailler comme un nègre, comme un forçat; il faudrait : Travailler comme un homme libre.

[ocr errors]

- Milon fut quatre ans en prison pour son opinion, au tenips de 1815; sa femme, cependant, et sa fille moururent; il en sortit ruiné; corrigé, non; son opinion est la même qu'auparavant, ou pire. Ce qu'il n'aimait pas, il l'abhorre à présent. Ils sont dans la commune dix mal pensants, que le maire fit arrêter un jour, et qui souffrirent longtemps; en mémoire de quoi tous les ans, le 2 mai, ils font ensemble un repas. On n'y boit point à la santé du maire ni du gouvernement. Le 2 mai, cette année, ils étaient chez Bourdon, à l'auberge du Cygne, et leur banquet fini, déjà se levaient de table, quand le maire passant, Milon, qui l'aperçut, le montra aux autres; chacun se mord le bout du doigt. Quelques moments après, soit hasard ou dessein, survint le garde-champêtre. Milon, sans dire gare, tombe sur lui, le chasse à coups de pied, de poing, et le poursuit dehors, l'appelant espion, mouchard. Celui-là s'en allait malmené du combat; arrive Métayer ou monsieur Métayer, car il a terre et vigne. Milon va droit à lui: Êtes-vous royaliste? Oui, répond Métayer. L'autre, d'un revers de main, le jette contre la porte, et voulait redoubler; mais l'hôte le retint. Voilà une grosse affaire. Milon se cache, et fait bien. Les battus cependant n'ont point porté de plainte; l'un garde son soufflet, l'autre ses horions. Le maire ne dit mot. Qu'en sera-t-il? on ne sait. Il faut voir ce que fera notre armée en Espagne pour les révérends pères jésuites.

- Le curé d'Azai, jeune homme qui empêche de danser et de travailler le dimanche, est bien avec l'autorité, mais mal avec ses paroissiens. Il perd deux cents francs de la commune, que le conseil assemblé lui retire cette année résolution hardie,

« PreviousContinue »