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Note du rédacteur. L'auteur de cet écrit est homme de bon sens, et sur bien des choses nous paraît penser assez juste. Mais il vit loin du monde, et ignore la mesure de ce qui se peut dire. En publiant sa lettre, nous en avons retranché quelques phrases, et des mots que ceux qui connaissent son style n'auront nulle peine à suppléer.

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Pamphlet des pamphlets, par Paul-Louis Courier, vigneron; brochure où il n'est point question des élections. On a fort engagé l'auteur à publier son opinion sur ce qui se passe actuellement, et ce qu'il a vu de curieux aux assemblées électorales du département d'Indre-et-Loire. Il s'y est refusé, vu la difficulté de parler de ces choses avec modération et en termes décents. Dix ans de Sainte-Pélagie ne lui pouvaient manquer, dit-il, s'il eût touché cette matière; et c'est même pour s'en distraire qu'il a composé la brochure que nous annonçons sur une thèse générale, sans aucune allusion aux affaires présentes, de peur d'inconvénient.

Idem.-7 mars 1824.

Plusieurs libraires auraient envie d'imprimer le Pamphlet des pamphlets, par Paul-Louis Courier, vigneron; mais aucun n'ose s'en charger. Les uns refusent, d'autres promettent, ou même commencent et n'achèvent pas, tant l'entreprise leur paraît hardie, périlleuse, scabreuse. Ce n'est pas pourtant qu'ils voient rien, dans cet écrit, qui dût fâcher monsieur le procureur du roi, et leur attirer des affaires, si l'on agit légalement; mais le nom de l'auteur les effraye. Ils s'imaginent, on ne sait pourquoi, que Paul-Louis ne sera pas traité comme un autre, et que, quelque bien qu'il puisse dire, on le poursuivra au nom de la morale publique, lui, ses libraires et imprimeurs. Pour les rassurer, il a fait de grandes coupures, et retranché de cet opuscule tout ce qui regardait les jésuites, dix pages des mœurs de la cour, tout le chapitre intitulé Obligations d'un député ministériel,

avec cette épigraphe de saint Paul: La viande est pour le ventre, le ventre est pour la viande; une magnifique apostrophe aux abbés universitaires, deux paragraphes sur la Sorbonne (grand dommage, car ce morceau était travaillé avec soin), et sa péroraison entière sur l'état actuel de l'Espagne. Au moyen de ces sacrifices, qui coûtent tant à un auteur, il espère que son ouvrage, réduit à moitié environ, cessera d'être la terreur des libraires et des imprimeurs, et qu'il pourra paraître enfin, Dieu aidant, la semaine prochaine.

PÉTITION

A LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS,

POUR LES VILLAGEOIS QUE L'ON EMPÊCHE DE DANSER,

(1820.)

MESSIEURS,

L'objet de ma demande est plus important qu'il ne semble; car bien qu'il ne s'agisse, au vrai, que de danse et d'amusements, comme d'une part ces amusements sont ceux du peuple, et que rien de ce qui le touche ne vous peut être indifférent ; que d'autre part, la religion s'y trouve intéressée, ou compromise, pour mieux dire, par un zèle mal entendu, je pense, quelque peu d'accord qu'il puisse y avoir entre vous, que tous vous jugerez ma requête digne de votre attention.

Je demande qu'il soit permis, comme par le passé, aux habitants d'Azai de danser le dimanche sur la place de leur commune, et que toutes défenses faites, à cet égard, par le préfet, soient annulées.

Nous y sommes intéressés, nous gens de Véretz, qui allons aux fêtes d'Azai, comme ceux d'Azai viennent aux nôtres. La distance des deux clochers n'est que d'une demi-lieue environ :

nous n'avons point de plus proches ni de meilleurs voisins. Eux ici, nous chez eux, on se traite tour à tour, on se divertit le dimanche, on danse sur la place, après midi, les jours d'été. Après midi viennent les violons et les gendarmes en même temps; sur quoi j'ai deux remarques à faire.

Nous dansons au son du violon; mais ce n'est que depuis une certaine époque. Le violon était réservé jadis aux bals des honnêtes gens; car d'abord il fut rare en France. Le grand roi fit venir des violons d'Italie, et en eut une compagnie pour faire danser sa cour gravement, noblement, les cavaliers en perruque noire, les dames en vertugadin. Le peuple payait ces violons, mais ne s'en servait pas; dansait peu, quelquefois au son de la musette ou cornemuse, témoin ce refrain: Voici le pèlerin jouant de sa musette : danse, Guillot; saute, Perrette. Nous, les neveux de ces Guillots et de ces Perrettes, quittant les façons de nos pères, nous dansons au son du violon, comme la cour de Louis le Grand. Quand je dis comme, je m'entends; nous ne dansons pas gravement, ni ne menons, avec nos femmes, nos maîtresses et nos bâtards. C'est là la première remarque; l'autre, la voici :

Les gendarmes se sont multipliés en France, bien plus encore que les violons, quoique moins nécessaires pour la danse. Nous nous en passerions aux fêtes du village, et à dire vrai ce n'est pas nous qui les demandons mais le gouvernement est partout aujourd'hui, et cette ubiquité s'étend jusqu'à nos danses, où il ne se fait pas un pas dont le préfet ne veuille être informé, pour en rendre compte au ministre. De savoir à qui tant de soins sont plus déplaisants, plus à charge, et qui en souffre davantage, des gouvernants ou de nous gouvernés, surveillés, c'est une grande question et curieuse, mais que je laisse à part, de peur de me brouiller avec les classes, ou de dire quelque mot tendant à je ne sais quoi.

Outre ces danses ordinaires les dimanches et fêtes, il y a ce qu'on nomme l'assemblée une fois l'an, dans chaque commune, qui reçoit à son tour les autres. Grande affluence ce jour-là, grande joie pour les jeunes gens. Les violons n'y font faute, comme vous pouvez croire. Au premier coup d'archet, on se place, et chacun mène sa prétendue. Autre part on joue à des

jeux que n'afferme point le gouvernement: au palet, à la boule, aux quilles. Plusieurs, cependant, parlent d'affaires ; des marchés se concluent, mainte vache est vendue qui n'avait pu l'être à la foire. Ainsi ces assemblées ne sont pas des rendez-vous de plaisir seulement, mais touchent les intérêts du public et de chacun, et le lieu où elles se tiennent n'est pas non plus indifférent. La place d'Azai semble faite exprès pour cela; située au centre de la commune, en terrain battu, non pavé, par là propre à toutes sortes de jeux et d'exercices; entourée de boutiques, à portée des hôtelleries, des cabarets; car peu de marchés se font sans boire, peu de contredanses se terminent sans vider quelques pots de bière; nul désordre, jamais l'ombre d'une querelle. C'est l'admiration des Anglais, qui nous viennent voir quelquefois, et ne peuvent quasi comprendre que nos fêtes populaires se passent avec tant de tranquillité, sans coups de poing comme chez eux, sans meurtres comme en Italie, sans ivresmorts comme en Allemagne.

Le peuple est sage, quoi qu'en disent les Notes secrètes. Nous travaillons trop pour avoir temps de penser à mal; et s'il est vrai, ce mot ancien, que tout vice naît d'oisiveté, nous devons être exempts de vices, occupés comme nous le sommes six jours de la semaine sans relâche, et bonne part du septième, chose que blâment quelques-uns. Ils ont raison, et je voudrais que ce jour-là toute besogne cessât; il faudrait, dimanches et fêtes, par tous les villages, s'exercer au tir, au maniement des armes, penser aux puissances étrangères, qui pensent à nous tous les jours. Ainsi font les Suisses nos voisins, et ainsi devrions-nous faire, pour être gens à nous défendre en cas de noise avec les forts. Car de se fier au ciel et à notre innocence, il vaut bien mieux apprendre la charge en douze temps, et savoir au besoin ajuster un Cosaque. Je l'ai dit et le redis labourer, semer à temps, être aux champs dès le matin, ce n'est pas tout: il faut s'assurer la récolte. Aligne tes plants, mon ami, tu provigneras l'an qui vient, et quelque jour, Dieu aidant, tu feras du bon vin. Mais qui le boira? Rostopschin, si tu ne te tiens prêt à le lui disputer. Vous, messieurs, songez y pendant qu'il en est temps: avisez entre vous s'il ne conviendrait pas, vu les circonstances présentes ou imminentes, de vaquer le saint jour du dimanche

sans préjudice de la messe, à des exercices qu'approuve le Dieu des armées, tels que le pas de charge et les feux de bataillon. Ainsi pourrions-nous employer, avec très-grand profit pour l'État et pour nous, des moments perdus à la danse.

Nos dévots toutefois l'entendent autrement. Ils voudraient que, ce jour-là, on ne fit rien du tout que prier et dire ses heures. C'est la meilleure chose et la seule nécessaire, l'affaire du salut. Mais le percepteur est là; il faut payer et travailler pour ceux qui ne travaillent point. Et combien pensez-vous qu'ils soient à notre charge? enfants, vieillards, mendiants, moines, laquais, courtisans; que de gens à entretenir, et magnifiquement la plupart! Puis, la splendeur du trône, et puis la Sainte-Alliance; que de coûts, quelles dépenses! et pour y satisfaire, a-t-on trop de tout son temps? Vous le savez d'ailleurs et le voyez, messieurs; ceux qui haïssent tant le travail du dimanche veulent des traitements, envoient des garnisaires, augmentent le budget. Nous devons chaque année, selon eux, payer plus et travailler moins.

Mais quoi ? la lettre tue et l'esprit vivifie. Quand l'Église a fait ce commandement de s'abstenir à certains jours de toute œuvre servile, il y avait des serfs alors liés à la glèbe; pour eux, en leur faveur, le repos fut prescrit; alors il n'était saint que la gent corvéable ne chômât volontiers; le maître seul y perdait, obligé de les nourrir, qui, sans cela, les eût accablés de travail; le précepte fut sage et la loi salutaire dans ces temps d'oppression. Mais depuis qu'il n'y a plus ni fiefs, ni haubert; qu'affranchis, peu s'en faut, de l'antique servitude, nous travaillons pour nous quand l'impôt est payé, nous ne saurions chômer qu'à nos propres dépens; nous y contraindre, c'est... c'est pis que le budget, car le budget du moins profite aux courtisans, mais notre oisiveté ne profite à personne. Le travail qu'on nous défend, ce qu'on nous empêche de faire, le vivre et le vêtement qu'on nous ôte par là, ne produisent point de pensions, de grâces, de traitements: c'est nous nuire en pure perte.

Les Anglais, en voyant nos fêtes, montrent tous la même surprise, font tous la même réflexion; mais, parmi eux, il y en a qu'elles étonnent davantage : ce sont les plus âgés qui, venus en France autrefois, ont quelque mémoire de ce qu'é

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