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Annoncez l'édition des Cent Nouvelles nouvelles, à laquelle je travaille avec M. Merlin, jeune libraire instruit, qui m'est d'un grand secours, soit pour la collation des premiers imprimés et des vieux manuscrits, soit dans les recherches qu'exigent ma préface et mes notes: mes notes font un volume. J'essaye sur ce texte de comparer nos mœurs à celles de nos pères; matière délicate, sujet intéressant, où il est malaisé de contenter tout le monde.

Qui vous empêcherait de dire un mot en passant de ma traduction de Longus, corrigée, terminée enfin selon mon petit pouvoir? Elle se vend chez Merlin; et celle-là, monsieur, on ne l'a point critiquée; mais on a fait bien pis, on l'a persécutée. La première édition fut saisie à Florence; je fis la seconde en prison à Sainte-Pélagie; la troisième va paraître.

A propos de prison et de Sainte-Pélagie, vous pourriez dire encore que je n'ai aucune part à certaines brochures qui mènent là tout droit, imprimées sous mon nom en pays étranger. On y parle d'un prince, dont certes je n'oserais faire un éloge public, bien que sa vie, ses mœurs, ses sentiments connus, méritent à mon gré toute sorte de louanges; mais c'est le grand chemin de Sainte-Pélagie, et j'en sais des nouvelles. Dans ces écrits, on blâme des choses sur lesquelles je dis peu ma pensée, parce qu'il y a du danger; et quand je veux la dire, j'emploie d'autres termes. Je puis blâmer quelquefois, mais non pas en ennemi, ce que fait le gouvernement, dont, en un certain sens, je suis toujours content; car c'est Dieu qui gouverne, ce ne sont pas les hommes. Ainsi le monde est bien, et tout va pour le mieux quand je ne suis pas en prison.

Agréez, etc.

CONSTITUTIONNEL.

Paris, 14 octobre 1823.

A monsieur le Rédacteur du Constitutionnel.

MONSIEUR,

Conseillez-moi, je vous prie, dans un cas extraordinaire. Je serai bref, la vie est courte.

J'étais ici; on me cite là-bas, à Tours, lieu de mon domicile,

devant un juge d'instruction. Je vais là-bas ; on me dit que le dossier, les pièces (vous entendez cela, j'imagine), sont retournés à Paris. Je reviens, et fais demander au parquet, par mon avocat, à qui des juges d'instruction mon affaire se trouve renvoyée; on refuse de lui répondre. Ainsi me voilà sans savoir par qui je dois être jugé, ou interrogé seulement; car je ne pense pas que la chose puisse aller plus loin. Il s'agit, m'a-t-on dit, de mauvaises brochures auxquelles je n'ai, monsieur, non plus de part que vous, quoiqu'on y ait mis mon nom. Quel avis me donnerez-vous dedans cette occurrence, comme dit le grand Corneille? D'attendre; car que faire? Mais il est bon que ceux qui me doivent juger sachent que je les cherche; ils l'apprendront si cette feuille tombe entre leurs mains. J'ai l'honneur, etc.

CONSTITUTIONNEL.

18 octobre 1823.

Nos abonnés de Tours sont priés de faire lire l'article suivant à madame Courier, femme de PAUL-LOUIS, vigneron.

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Envoie-moi, ma chère amie, six chemises et six paires de bas. << Point de lettre dans le paquet, afin qu'il me puisse parvenir. Je << sais que tu ne reçois pas les miennes, et que tu t'inquiètes fort. << Sois tranquille, il y a dans ce monde plus de justice que tu ne <«< crois. Je ne suis ni mort, ni malade, ni en prison pour le mo

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M. Courier, avant-hier, allant dîner chez ses amis, fut arrêté en pleine rue par plusieurs agents de police, et conduit en fiacre à l'hôtel de la Préfecture. Là, d'abord on l'interrogea sur ses nom, prénoms, qualités, sa demeure, les mois de son séjour à Paris. Il satisfit à tout, et fut mis en dépôt (c'est le mot ) à la salle Saint-Martin. M. Courier, l'homme du monde le moins propre à être en prison, goûte peu la salle Saint-Martin, qu'il n'a pas trouvée cependant un lieu si terrible qu'on le dit. Seul

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dans une chambre passable, il a dormi dans un bou lit: même le porte-clefs semblait assez bonhomme, causeur et communicatif. Le lendemain, qui était hier, M. Courier fut entendu, sur des écrits qu'on lui impute, par un des juges d'instruction. Visite faite de ses papiers, dans l'appartement qu'il occupe, rien ne s'y est trouvé suspect. Il se loue fort, en général, du procédé de ces messieurs. On ne saurait être écroué avec plus de civilité, interrogé plus sagement, ni élargi plus promptement qu'il n'a été.

JOURNAL DU COMMERCE.

3 novembre 1823.

Au rédacteur de la Quotidienne.

Vous parlez de moi, monsieur, dans une de vos feuilles, et paraissez peu informé de ce qui me touche. Vous dites que PaulLouis, vigneron, moi-même, votre serviteur, ensuite de petits démélés avec la justice, fut quelque temps en prison à SaintePélagie; et puis ajoutez Nous le savons bien. Non, vous le savez mal, monsieur; et cela n'est pas surprenant qu'ayant à parler de tant de choses, de tant de gens, vous vous mépreniez, et trompiez quelquefois le public. Sur votre parole, il va croire que j'ait fait des tours de Scapin, dont on m'a justement puni. C'est ce que vous pensez ou donnez à penser par de telles expressions. La vérité m'oblige de vous apprendre, monsieur, que le cas était bien plus grave pour lequel je fus condamné, l'affaire autrement scandaleuse. Il ne s'agissait pas de quelques peccadilles, mais d'un outrage fait à la morale publique. Oui, monsieur, je l'avoue et le déclare ici, afin que mon exemple instruise. Je fus en prison deux mois à Sainte-Pélagie, par l'indulgence des magistrats, pour avoir outragé la morale publique, crime de Socrate, comme vous savez. Sur la morale particulière, un peu différente de l'autre, je n'ai eu de démêlés avec qui que ce soit, et même n'entends point dire qu'on me reproche rien.

A ce propos, Monsieur, un doute m'est venu souvent à l'esprit; question purement littéraire, que vous me pourrez éclaircir. M. de Lamartine, dont vous louez les ouvrages, me semble avoir pris dans nos lois une bonne partie de son style, ou bien

nos lois ont été faites en style de M. de Lamartine, celles au moins qui ne sont pas vieilles. Outrager la morale publique, est une phrase tout à fait dans le goût des Méditations, et hors de ce commun langage que le monde parle et entend; elle s'applique à bien des choses. Si le ministre des finances fait quelque faute dans ses calculs, un de nos députés lui dira qu'il outrage l'arithmétique publique. Nos Codes sont des odes. Enfin, sur une loi si sagement écrite, le tribunal, requis du procureur du roi, mes réponses ouïes, sur ce delibéré, m'envoya en prison deux mois. Ce fut bien fait, et je n'ai garde de m'en plaindre.

A quelque temps de là, pour un acte pareil, qui semblait récidive, on me remit en jugement. Le procureur du roi, défenseur vigilant de la morale publique, demandait contre moi treize mois de prison et mille écus d'amende. Le cas parut aux juges seulement répréhensible, et ils me renvoyèrent blâmé, mais moins coupable que la première fois. On ne peut devenir tout à coup homme de bien. Voilà, monsieur, la vérité que vous devez à vos lecteurs, au sujet de mes démêlés avec la justice.

Mais, sur un autre point, vous me chagrinez fort, en me prêtant des termes et des façons de dire dont je n'usai jamais. Selon vous, je me plains de certaines brochures imprimées sous mon nom, dans l'étranger, dites-vous; et vous notez ces mots. Monsieur, excusez-moi, je n'ai pas dit ainsi ; vous êtes de la cour, et parlez comme vous voulez, avec pleine licence et liberté entière. Nous, gens de village, sommes tenus de parler français, pour n'être point repris; et nous disons qu'une brochure s'imprime en pays étranger. Du moins, c'est ainsi qu'on s'exprime généralement à Larçay, Cormery, Ambillon, Montbazon, et autres lieux que je fréquente.

Vous changez encore mes paroles, quand vous me faites dire, monsieur, qu'il y a un prince dont les sentiments me sont connus, à moi vigneron! Y pensez-vous? Corrigez cela, s'il vous plaît, et de vos quatre mots n'en effacez pas trois, comme le veut Boileau, mais un; et vous direz, en toute vérité, que les sentiments de ce prince sont connus, c'est-à-dire publics, et que personne ne les ignore. Il croit, par exemple, que les princes sont faits pour les peuples, et non les peuples pour les princes; sentiment moins bizarre que vous ne l'imaginez, vous autres courti

sans. Il n'est ni le premier, ni le seul de sa maison à penser de la sorte, si les bruits en sont vrais.

Êtes-vo -vous plus exact et mieux instruit, monsieur, quand vous nous assurez que monsieur le duc d'Orléans part pour l'Angleterre? J'ai foi à vos discours, où le mensonge n'entre point; le ciel n'est pas plus pur... Mais à ceci je vois bien peu de vraisemblance. On sait, et c'est encore une chose connue, qu'il aime pays, et n'en sort pas volontiers, ayant pour cela moins de raisons qu'en aucun temps, comme vous dites, lorsqu'il voit une guerre d'abord mal entreprise.... être heureusement terminée.

son

Rare bonheur si, en effet, elle est terminée sans qu'il nous en coûte autre chose que des millions et quelques hommes! L'état-major est sain et sauf...... Remarquez-vous, monsieur, comme il y a peu de guerres à présent, et dans ces guerres peu de combats? Jamais on n'a moins massacré. Cependant, vous ne l'avouerez, jamais on n'a tant raisonné, tant lu, tant imprimé; ce qui me ferait quasi croire que le raisonnement et la lecture ne sont pas cause de tous maux, comme des gens ont l'air de se l'imaginer. Nous en voilà au point que les révolutions se font sans tuer personne, et les guerres presque sans batailies. Si les contre-révolutions se pouvaient adoucir de même, ce serait un grand changement et amendement ; qu'en dites-vous? Le faut-il espérer, à moins que ceux qui les font ne se mettent à lire? mais ils haïssent les livres. Ils ne voulurent point de l'Évangile lorsqu'il parut, et le combattent dans la Grèce. Malgré eux, l'Évangile, mis en langue vulgaire, est entendu de tous. Par lui, peut-être, eux-mêmes enfin s'humaniseront quelque jour, et consentiront les derniers à vivre et laisser vivre; mais cependant voilà passées une dizaine d'années sans beaucoup de carnage dans le monde; ce qu'on n'avait guère vu encore, si ce n'est sous les Antonins, quand la philosophie régnait.

P. S. Pourrez-vous m'apprendre, monsieur, si monsieur l'abbé de Lamennais continue son Indifférence en matière de religion; ouvrage auquel je m'intéresse? Le temps ne saurait lui manquer, car je le crois quitte à présent de ses fonctions de journaliste. Ses actions sont vendues, tous ses comptes réglés avec ses associés. Un petit mot là-dessus dans votre prochain numéro me satisferait extrêmement

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