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Je vois, des demeures divines,
Descendre un peuple de héros.

On a trouvé que des yeux épouvantés par un pompeux spectacle, tandis que tous les autres sens sont enchantés, l'univers qui se reforme après qu'un nouveau monde vient d'éclore, et un peuple de héros qui descend des demeures divines pour réparer les ruines de ce nouvel univers, étaient une véritable enflure dans la pensée et dans l'élocution.

Le même défaut a été remarqué dans ces vers de la tragédie de Phèdre, où Racine fait dire à Théramène, qui raconte la mort d'Hypolite, qu'une montagne humide s'élève à gros bouillons sur le dos de la plaine liquide.

Le début de la tragédie de Pompée du grand Corneille, offre de très-beaux vers; mais ces débordemens de parricides; ces champs empestés; ces montagnes de morts privés d'honneurs suprémes, et que la nature force à se venger; ces troncs pourris qui font la guerre au reste des vivans, ont été regardés comme une véritable enflure.

Il est aisé de juger que ce défaut du style est bien voisin du phébus. Il rend de plus un ouvrage froid, parce que les termes ampoulés, emphatiques et sonores, mais vides de sens, ne disent rien ni au cœur ni à l'esprit. Pour éviter l'enflure et l'excès qui lui est opposé

notre

il faut faire un juste emploi des images et des ornemens. Si nous les répandons avec profusion et sans choix, style sera boursoufflé. Si nous les négligeons trop, notre style sera faible et sec. On va voir quels sont ces ornemens, et l'usage qu'on doit en faire.

LIES

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Es mots ont dans le discours un sens propre ou un sens figuré. Ils sont dans le sens propre lorsque, ne perdant point leur signification primitive, ils signifient la chose pour laquelle ils ont été établis. Ils sont employés dans le sens figuré, quand on les fait passer de leur signification propre ou naturelle à une signification étrangère. Le mot chaleur a été institué pour signifier une propriété du feu; le mot rayon, pour signifier un trait de lumière. Ainsi, quand on -dit, la chaleur du feu, les rayons du soleil, ces mots sont pris dans le sens propre. Mais, quand on dit, la chaleur du combat, un rayon d'espérance, ils sont pris dans le séns figuré.

Il n'est aucune langue qui ne doive presque toutes ses richesses à ces sortes d'expressions figurées. Elles prêtent à l'éloquence ses plus grands mouvemens >

:

à la poésie son plus grand coloris elles sont comme l'âme et la vie de l'une et de l'autre. Ainsi les figures sont de certains tours de pensées et de paroles, qui font une beauté, un ornement dans le discours. Cette définition convient aux figures de mots et aux figures de pensées. Les premiers dépendent tellement des mots qui les expriment, que le moindre changement dans ces mots détruit la figure. Les figures de pensées,

au

contraire, dépendent uniquement de la manière particulière de penser et de sentir en sorte que la figure demeure toujours la même, quoiqu'on change les expressions.

Abner, le brave Abner, viendra-t-il nous défendre?

Voilà une figure de mots. Supprimez la répétition du mot Abner, la figure est anéantie.

Répondez, cieux et mer; et vous, terre, parlez. Voilà une figure de pensées. Changez les expressions, retranchez, ajoutez, la figure ne subsistera pas moins.

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Des Figures de Mots, et de celles qui ne sont pas Tropes.

Il y a deux sortes de figures de mots. Dans celles de la première espèce, les

mots conservent leur signification propre ces figures ne consistent donc que dans un certain emploi de ces mots. Les autres sont celles par lesquelles on donne à un mot une signification qui n'est point sa signification primitive et naturelle, comme quand on dit trente voiles, pour trente vaisseaux, mille chevaux, pour mille cavaliers. On nomme celles-ci tropes, du mot grec trope, dont la racine est pew, qui signifie je tournè. Les premières ne le sont point.

Je conviens, dit du Marsais, dans son excellent traité des Tropes, qu'on peut bien parler sans jamais avoir appris les noms particuliers de ces figures. Combien de personnes se servent d'expressions métaphoriques, sans savoir précisément ce que c'est que métaphore !...... Mais ces connaissances sont utiles et nécessaires à ceux qui ont besoin de l'art de parler et d'écrire. Elles mettent de l'ordre dans les idées qu'on se forme des mots; elles servent à démêler le vrai sens des paroles, à rendre raison du discours, et donnent de la précision et de la justesse....... On voit tous les jours des personnes qui chantent agréablement, sans connaître les notes, les clés ni les règles de la musique; elles ont chanté pendant bien des années des sol et des fa, sans le savoir faut-il pour cela qu'elles rejettent les secours qu'elles peuvent

:

tirer de la musique, pour perfectionner
leur talent?

Les figures de mots qui ne portent
pas le nom de tropes, sont la répétition,
la conversion, la complexion, la grada-
tion, la réversion, l'adjonction, la dis-
jonction, et la périphrase.
Répétition. La Répétition, figure propre

à ex

primer le caractère d'une passion fou-
gueuse, d'un sentiment vif et profond,
consiste à répéter plusieurs fois avec
grâce les mêmes expressions. Voyez le
bel effet que produit cette figure dans
cet endroit de la tragédie de Zaïre par
Voltaire. C'est Lusignan qui parle à
Zaïre:

Ma fille, tendre objet de mes dernières peines,
Songe au moins, songe au sang qui coule dans tes veines.
C'est le sang de vingt rois tous chrétiens comme moi;
C'est le sang des héros défenseurs de ma loi ;

C'est le sang des martyrs... ô fille encor trop chère,
Connais-tu ton destin? Sais-tu quelle est ta mère ?
Sais-tu bien qu'à l'instant que son flanc mit au jour
Ce triste et dernier fruit d'un malheureux amour
Je la vis massacrer par la main forcenée,
Par la main des brigands à qui tu t'es donnée ?
Tes frères, ces martyrs égorgés à mes yeux,

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T'ouvrent leurs bras sanglans tendus du haut des cieux.
Ton Dieu que tu trahis,ton Dieu que tu blasphêmes,
Pour toi, pour l'univers est mort en ces lieux mêmes,
En ces lieux où mon bras le servit tant de fois,
En ces lieux où son sang te parle par ma voix.
Vois ces murs, vois ce temple envahi par tes maitres:
Tout annonce le Dieu qu'ont vengé tes ancêtres.
Tourne tes yeux; sa tombe est près de ce palais :
C'est ici la montagne où, lavant nos forfaits,
Il voulut expirer sous les coups de l'impie:
C'est là que de sa tombe il rappela sa vie.

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