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qui ne peuvent être saisis que par les gens de l'art. Une exposition méthodique et lumineuse des règles suffit. Il doit même autant qu'il est possible, les simplifier, c'est-à-dire, en réduire plusieurs à une seule générale, en indiquant toutes celles qui en découlent. Il doit surtout les développer et les appuyer par un grand nombre d'exemples choisis. C'est le plus sûr moyen d'en faire sentir la vraie justesse, l'importante nécessité, les grands avantages qu'en retire le génie, de former même le jugement et le goût de ceux à qui il donne ses leçons.

Il faut, en un mot, que, dans un ouvrage didactique, tout soit proportionné à la capacité des esprits médiocres, et traité dans une juste étendue. L'écrivain doit même revenir plusieurs fois sur une même chose, quand elle ne peut être comprise à la première fois que par les lecteurs qui ont l'esprit pénétrant. Ce n'est point à l'instruction de cette classe d'hommes qu'il s'est principalement voué. Ceux à qui la nature a donné le moins d'intelligence > doivent être les premiers objets de ses soins et de ses travaux.

ARTICLE II.

Des Ouvrages de critique.

Les ouvrages de critique, en matière de littérature, se rapportent au genre didactique, parce que l'écrivain y mêle toujours à la discussion le développement de quelques préceptes, ou plusieurs observations utiles qui en tiennent lieu. Son objet est de faire connaître les beautés et les défauts d'un ou de plusieurs ouvrages, et de rendre raison du jugement qu'il en porte. Il lui est donc essentiel de savoir discerner ces beautés et ces défauts, et de les détailler avec précision. Ainsi la critique doit être éclairée judicieuse, équitable, impartiale et

honnéte.

I. Critique éclairée.

Un grand fonds de connaissances, principalement celles du genre dont il s'agit, sont pour le critique d'une indispensable nécessité. Il faut qu'avec l'auteur de l'excellent Essai sur le beau ( le P. André, jésuite), il sache distinguer dans toutes les productions de l'esprit, le beau naturel, et le beau arbitraire. Le premier a constamment pour base l'ordre et la vérité. Les révolutions

des temps et des esprits ne peuvent en effacer l'idée ni l'impression: il ne change jamais et il est toujours en droit de plaire. Le second dépend ordinairement du génie des langues et des nations: il peut varier suivant les lieux et les siècles.

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Ces connaissances (pour le dire en passant) ne peuvent guère être le partage des jeunes gens, non plus que des personnes qui n'ont point fait d'études longues et sérieuses, Les uns et les autres ne sauraient donc être trop circonspects et trop réservés à dire, ou du moins à soutenir vivement leur opinion sur les diverses productions littéraires. Mais d'un autre côté, il serait absurde de penser que, pour pouvoir juger, par exemple, d'un ouvrage de peinture ou de poésie, il fallût être peintre ou poète. Une connaissance assez étendue de ces deux arts suffit, avec les autres conditions requises dans la critique.

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II. Critique judicieuse.

La critique judicieuse consiste dans une application juste et convenable des règles de l'art. La critique, en effet, n'exige pas toujours impérieusement une étroite et rigoureuse observation de ces règles, parce qu'il arrive quelquefois que l'auteur s'en est un peu écarté ›

pour donner à son ouvrage une beauté de plus. C'est ce que l'on doit discerner avec finesse ; et ce discernement est l'effet d'un jugement droit, d'un goût pur et sain, qui suppose toujours de grandes connaissances, mais que ces connaissances ne supposent pas toujours. Il faut donc que la critique soit fondée sur des raisons et des principes solides. Un bon mot, quelque agréable et piquant qu'il paraisse ; une plaisanterie, quelque bien tournée qu'elle soit, ne fera jamais apprécier un ouvrage à sa juste valeur. Voltaire a dit des Cantiques sacrés du marquis de Pompignan

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Sacrés ils sont; car personne n'y touche.

Les esprits légers, frivoles et superficiels, disons même les ignorans, ont applaudi à ce jeu de mots. Mais l'homme judicieux et sensé a été bien loin de le re'garder comme un arrêt décisif; et le vrai connaisseur n'admire pas moins le plus grand nombre des Odes sacrées de l'auteur de Didon.

Au reste, en disant que la critique doit être judicieuse, j'ai voulu dire aussi qu'elle doit être réfléchie; c'est-à-dire que celui qui veut juger une production littéraire, ne saurait la lire et l'examiner avec une attention trop scrupuleuse. C'est ce que ne ferait pas, par

exemple, un journaliste inconsidéré ou présomptueux, qui se bornerait à une lecture rapide et superficielle d'un ouvrage, pour prononcer définitivement et d'un ton de maître, sur des difficultés que l'auteur n'a tenté d'éclaircir qu'après de bien longues et de bien profondes réflexions. Qu'arriverait-il de là? Que le journaliste pourrait bien ajouter, à la honte d'être tombé par sa faute dans l'erreur, l'injustice d'y jeter ceux de ses lecteurs, que le défaut de lumières oblige de l'en croire sur sa parole. Il s'exposerait en même temps à perdre l'estime et la confiance de ceux qui sont capables par eux-mêmes d'apprécier sa critique, en la comparant à l'ouvrage même. Un journaliste prudent, et jaloux de sa propre gloire, imite la circonspection d'un juge, qui, avant de décider une question de droit, réfléchit long-temps et mûrement sur les raisons des avocats qui l'ont traitée.

III. Critique équitable.

La critique n'est équitable qu'autant qu'elle apporte en preuves de son jugement, et les beaux, et les médiocres, et les faibles endroits de l'ouvrage qu'elle a pesé dans sa balance. Celui qui ne mettrait sous les yeux du lecteur que les vers négligés d'une pièce de poésie,

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