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signifie, ou paraît signifier quelque chose. C'est un brouillard, dans lequel il entré quelque rayon de lumière. Mais cette lumière est trop faible pour que nous puissions distinguer les objets. Maynard disait à un écrivain de son temps, qui tombait dans le phébus et le galimatias,

Mon ami, chasse bien loin
Cette noire rhétorique :
Tes écrits auraient besoin
D'un devin qui les explique.
Si ton esprit veut cacher
Les belles choses qu'il pense,
Dis-moi qui peut t'empêcher
De te servir du silence?

Le conseil était très-raisonnable. Il vaut mieux se taire, que de parler pour n'être pas entendu.

J'écris principalement pour les jeunes gens; et c'est en dire assez pour qu'on sente la nécessité où je suis de leur faire connaître les fautes de style échappées à nos meilleurs écrivains. Mais comme je suis bien loin de croire que mes observations puissent être une règle pour eux, je me suis imposé la loi de m'appuyer toujours de l'autorité des critiques sages et éclairés, dont le goût sûr et les connaissances profondes sont généralement reconnus. Je vais donc citer encore Racine, toujours admiré, mais toujours bien apprécié, quant au style

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par l'abbé d'Olivet. Voici la remarque de cet habile grammairien sur ces vers que le poète met dans la bouche de Mithridate: Apprenez..... qu'il n'est point de Rois,

Qui sur le trône assis, n'enviassent peut-être Au-dessus de leur gloire un naufrage élevé, Que Rome et quarante ansont à peine achevé. Je suis arrêté, dit-il, par le grand nom de Racine, qui ne permet point d'appeler ceci du galimatias. On aura beau me dire avec Racine le fils, que hasarder ces alliances de mots n'appartient qu'à celui qui a le crédit de les faire approuver, je conviendrai qu'en effet, lorsqu'un vers ronfle bien dans la bouche d'un acteur, quelquefois le parterre ne demande rien de plus. Mais il n'est pas moins vrai qu'un auteur ne doit jamais courir après un bel arrangement de mots, sans avoir égard à la clarté des idées, et à la justesse des métaphores.

L'abbé d'Olivet termine cette remarque en citant le P. du Cerceau, qui dans ses réflexions sur la poésie française, s'exprime ainsi j'avoue que je n'entends pas trop bien ce que signifie un naufrage élevé au-dessus de la gloire des autres rois, et encore moins ce que veut dire, achever un naufrage. Ces expressions figurées ont d'abord quelque chose qui éblouit, et l'on ne se donne pas

la peine de les examiner, parce qu'on les devine plutôt qu'on ne les entend. Mais quand on y regarde de près, on est tout surpris de ne trouver qu'un barbarisme brillant dans ce qu'on avait admiré.

Il arrive très-souvent que l'obscurité du style vient, non pas précisément du fond des pensées, mais du tour qu'on emploie pour les rendre. Ne nous lassons pas, lorsqu'il s'agit d'instruire, de citer les observations de nos plus grands génies et de nos meilleurs écrivains. Un tour heureux, dit Montesquieu en parlant de quelques auteurs modernes, leur paraît plat, parce qu'il n'a pas l'air d'avoir coûté une idée mise galamment mais en habit simple, ne paraît pas piquante à ces messieurs. Ils veulent lui donner des grâces de leur façon; ils la tournent, ils la serrent, et, après bien des soins, ils arrivent à être entortillés, pour avoir voulu être délicats, et à être obscurs, pour avoir eu envie d'être vifs.

II. De l'Affectation du Style.

L'Affectation du style est un éloignement du naturel. Dire en termes trop recherchés des choses simples et communes, pour les faire paraître plus grandes et plus ingénieuses qu'elles ne le sont

logisme.

en effet, c'est être affecté dans son style. Cette affectation comprend le néologisme et l'enflure.

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Le néologisme ne consiste pas seulement à introduire des mots nouveaux qui sont inutiles. Ce qui le caractérise encore, c'est le tour recherché des phrases, et surtout l'union bizarre de plusieurs mots qui ne peuvent point aller ensemble. Lamotte a dit que les grandes réputations sont presque toujours posthumes; et Fontenelle, dans l'éloge de Bernouilli, mathématicien célèbre, que son goût avait été son précepteur. Voilà deux exemples de néologisme. On dit bien qu'un ouvrage est posthume, lorsqu'il a été publié après la mort de son auteur; mais c'est contre la raison même de dire qu'une réputation. est posthume, parce qu'un auteur ne peut point acquérir une réputation après sa mort. Il est encore plus ridicule de dire qu'un savant a eu son goût pour précepteur. Un précepteur est un homme qui instruit des enfans; et assurément on ne peut pas donner au goût d'un individu la figure d'une personne, quoique en poésie on personnifie le goût en général, et qu'on le représente sous la forme d'un dieu.

Ce sont donc là des façons de parler toutes nouvelles, que les hommes de goût réprouvent, et que les bons écrivains ont le plus grand soin d'éviter. Il

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faut, à leur exemple, n'employer que celles qui sont autorisées par l'usage. Ce n'est pas qu'on ne puisse quelquefois unir deux mots connus qui n'ont jamais été liés ensemble; mais il faut que cette liaison soit juste, fondée sur la véritable siguification de ces mots, et, ce qui est bien à remarquer, nécessitée par le besoin réel d'exprimer une belle pensée, qui, sans cela, ne serait pas bien entendue.

L'enflure du style consiste ou à pré-Enflure.
senter des pensées simples et communes
sous des expressions sonores et pom-
peuses, ou à dire des choses exagérées,
et qui n'ont qu'une vaine apparence de
grandeur. Elle naît ordinairement du
trop grand désir de briller, on de l'excès
d'une imagination déréglée. Nous ne
saurions être trop en garde contre ce
défaut du style, puisque nos meilleurs
poètes mêmes, ceux dont l'esprit était
frappé sur le grand, y sont quelquefois
tombés. Voyez cette strophe de l'ode
de J.-B. Rousseau sur la naissance du
duc de Bretagne (frere aîné de Louis
XV).

Où suis-je ? Quel nouveau miracle
Tient encor mes sens enchantés?
Quel vaste, quel pompeux spectacle
Frappe mes yeux épouvantés?
Un nouveau monde vient d'éclore:
L'univers se réforme encore
Dans les abîmes du ciaos:

t, pour réparer ses ruines,

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