Page images
PDF
EPUB

rendent

avec toutes leurs circonstances
une histoire bien agréable et bien ins-
tructive, quand ces circonstances sont
essentielles, intéressantes et vraiment
utiles. On a dit que c'était pour avoir lu
les détails des batailles de Créci, de Poi-
tiers, d'Azincourt, de Gravelines, etc.
que le célèbre maréchal de Saxe se dé-
terminait à chercher, autant qu'il pou-
vait, ce qu'il appelait des affaires de
poste. Il en est de même de tous les faits
dont les détails peuvent être utiles aux lec-
teurs de toutes les classes, au simple ci
toyen, au militaire, à l'homme d'Etat
aux souverains même.

Aucun des détails propres à éclaircir un événement ou à relever une action mémorable, ne doit être passé sous silence. C'est ainsi que Tite-Live, décri vant la marche d'Annibal en Italie, en rapporte toutes les circonstances capables de donner la plus haute idée de cette entreprise si hasardeuse. Ce morceau est, au jugement du P. Rapin (1), le plus achevé de son histoire. Il se trouve dit-il, peu de chose de cette force dans l'antiquité. Jamais un plus grand dessein n'est tombé dans une âme plus extraordinaire, et jamais rien ne s'est exécuté avec plus de hardiesse ni de fermeté. Il s'agissait de sortir de

[ocr errors]

(1) Réflexions sur l'Histoire.

[ocr errors]
[ocr errors]

l'Afrique; de passer toute l'Espagne, de surmonter les Pyrénées; de traverser le Rhône, si vaste et si rapide vers son embouchure, dont les rivages étaient bordés de tant d'ennemis; de s'ouvrir un chemin à travers les Alpes où l'on n'avait jamais passé; de ne marcher que sur des précipices; de disputer chaque pas qu'il fallait faire à des peuples postés partout en embuscade, dans des défilés continuels, parmi les neiges, les glaces, les pluies, les torrens; de défier ces orages et ces tonnerres, si fréquens et si furieux alors dans les montagnes ; de faire la guerre au ciel, à la terre, à tous les élémens; de traîner après soi une armée de cent mille hommes, de nations différentes, mais tous gens mal satisfaits d'un capitaine dont ils ne pouvaient imiter le courage. L'effroi est dans le cœur des soldats; le seul Annibal est tranquille. Le péril qui l'environne de toutes parts, jette le trouble dans toute l'armée, sans qu'il en soit ému. Tout est peint dans un détail de circonstances affreuses: l'image du danger est exprimé dans chaque parole de l'historien; et jamais tableau n'a paru plus fini dans l'histoire, ni touché de plus fortes couleurs et avec de plus grands traits.

III. Des caractères des personnages.

Non content de décrire les événemens et les circonstances qui les accompagnent, l'historien doit encore remonter à leur source, pour en découvrir le fond, les causes et les principes. Ce n'est pas tant par le récit des actions des hommes, que par le détail des motifs qui les font agir, qu'il peut piquer la curiosité dù lecteur, l'intéresser et l'instruire. Il faut qu'il lui montre le cœur humain à découvert, et qu'il démêle à ses yeux les secrets ressorts qui le font mouvoir dans les différentes circonstances de la vie. C'est en cela que l'histoire nous est vraiment utile. L'historien s'attachera donc à dévoiler les desseins, les pensées de ses personnages, à nous en faire connaître les mœurs et le caractère, sans cependant s'amuser à peindre leur extérieur. Ces sortes de portraits peuvent faire briller le talent de l'écrivain: mais ils sont toujours vides d'instruction, et ne plaisent jamais au lecteur sensé.

Que m'importe, dit l'auteur (1) que j'ai déjà cité, de savoir si Annibal avait les dents belles, pourvu que son historien me fasse connaître la grandeur de

(Réflexions sur l'Histoire.

son génie ; qu'il me montre un esprit hardi, inquiet, des pensées vástes un coeur intrépide, et tout cela animé d'une ambition désordonnée, mais soutenue d'une constitution robuste comme l'a dépeint Tite-Live? C'est ainsi que Sallusté, continue-t-il, me donné une grande opinion de Catilina, par le portrait qu'il en fait à l'entrée de son histoire. Et quand je vois ce soldat déterminé mettre des armées sur pied de son cabinet; aller an sénat dans un silence qui marque de la résolution pour affronter le consul; essuyer tête levée ses invectives; jeter l'alarme dans Rome; faire trembler l'Italie; oser, enfin, ce qu'un particulier n'avait jamais osé, je ne suis pas surpris, après la description que l'historien m'en a faite. Je vois un homme de tête, qui remue tout sans se montrer, parce qu'il a bien pris son parti. Pompée est éloigné avec les meilleures troupes de la république, attaché à une guerre importante, mais opiniâtre : Rome est remplie de gens mal intentionnés les provinces voisines sont pleines de mécontens : le désordre est universel dans la république, par le débordement de tous les vices qui y règnent ; et tout est favorable au dessein de Catilina dans la conjoncture qu'il prend pour l'exé

cuter.

:

IV. Des Digressions et des Réflexions.

:

[ocr errors]

Les digressions sont des ornemen's dans l'histoire elles y répandent une agréable variété, qui charme l'esprit du lecteur, sans cesser de l'occuper utilement. Mais il faut qu'elles ne nuisent point à la régularité de l'ouvrage ; qu'elles tiennent surtout au fond du sujet par quelque chose d'intéressant, et qu'elles soient plus ou moins étendues selon leur plus ou moins de liaison avec le corps de l'histoire. C'est ainsi que Garnier, dans son Histoire de France désapprouvant un traité que signa Louis XII avec César Borgia ali nom du pape, fait une digression aussi curieuse qu'instructive sur l'origine et les progrès de la puissance des souverains pontifes et des empereurs. Lorsqu'on s'engage dans une digression, on doit se mettre en garde contre la vivacité de son imagination, et ne consulter que son jugement: c'est le moyen de ne pas s'éloigner de son but.

:

L'historien a encore un devoir bien important à remplir c'est de ne rien dire dans son ouvrage qui ne porte un caractère de raison et d'équité; qui ne montre la droiture de son coeur, et l'honnêteté de ses sentimens. C'est à lui qu'il appartient de distinguer le vrai et le

« PreviousContinue »