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» ceaux? Si les cris douloureux, les vives >> supplications de ce malheureux en » proie à l'ardeur des torches brûlantes » et à la rigueur des autres tourmens » n'étaient pas capables d'ébranler ton » âme, ne devais-tu pas, au moins, être >> touché des sanglots, des larmes et des » gémissemens de tous les Romains pré» sens à ce barbare spectacle? Tu as osé » faire attacher à une croix un homme qui » se disait citoyen romain ! »

L'orateur n'en reste pas là: il rapporte une dernière circonstance du supplice de Gavius, pour accabler Verrès de tout l'odieux qu'il mérite, en peignant aux yeux de ses juges son industrieuse

cruauté:

<< Tu ne peux point nier, puisque ta » n'as pas craint de le dire publiquement, » que tu n'aies fait planter l'instrument » de son supplice dans cet endroit de la » ville qui est près du détroit, afin que » celui qui se disait citoyen romain, pût » du haut de cette croix jeter ses der»niers regards sur l'Italie et sur sa pro» pre maison. Oui, Messieurs, c'est la >> première croix, la seule croix qui, » depuis la fondation de Messine, ait été » élevée en cet endroit et ce lieu a été » choisi, afin que le malheureux Gavius » comprit, en mourant, qu'un bras de » mer très-étroit formait la séparation de » l'esclavage de la liberté, et afin que

:

» l'Italie vit un de ses enfans mourir vic» time de tous les excès du pouvoir ty» rannique »,

Enfin, Cicéron termine ce récit passionné, et bien capable d'allumer toute l'indignation des juges contre Verrès, par ces paroles si fortes et si pathétiques :

«Si j'adressais ces plaintes, je ne dis » pas à des citoyens romains, je ne dis » pas à quelques-uns de nos alliés, je ne » dis pas à des nations chez lesquelles » notre nom fût parvenu, je ne dis pas » enfin à des hommes, mais à des bêtes >> sauvages, aux pierres et aux rochers » les plus durs d'un affreux désert; ces >> êtres muets, inanimés et insensibles >> seraient touchés du récit d'une action >> si indigne et si atroce. Que doit-ce » donc être, lorsque je parle à l'auguste » sénat de Rome, aux auteurs des lois, » des jugemens et de notre jurispru>>dence? etc. »

ARTICLE II.

De la Disposition.

L'invention, comme on vient de le voir, aide l'orateur à trouver les choses qu'il doit dire. La disposition lui prescrit la manière de les distribuer, de les arranger, de les lier entre elles. Le succès

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da discours, dit Cicéron (1), dépend de la forme qu'on lui donne, et de la manière dont on le traite car quant aux choses aux matières des preuves, l'intelligence en est aisée. Que reste-t-il ensuite à l'art de la composition? sinon qu'il faut, 1. commencer par un exorde qui nous concilie la bienveillance des auditeurs qui les rende attentifs, et qui les dispose à nous écouter favorablement ; 2.o exposer le fait d'une manière claire, si courte et si plausible, que l'on comprenne aisément l'état de la question; 3.0 établir solidement ses moyens, renverser ceux de l'adversaire par des raisonnemens concluans et placés avec ordre, de manière que l'on sente la liaison des conséquences avec les principes; 4.0 terminer le discours par une péroraison qui puisse allumer ou éteindre les passions, selon le besoin. Voilà donc la disposition générale du discours. Les principales parties qui le composent, sont l'exorde, la narration, la confirmation et la péroraison.

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*

1. De l'Exorde.

et

L'exorde est le commencement du discours. L'orateur y doit préparer l'esprit de ses auditeurs à recevoir favora

(1) De Orat. n.o 122.

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blement les choses qu'il va leur annoncer Il y réussira, s'il parle avec exactitude ne disant rien qui n'ait un juste rapport au but qu'il se propose, de manière que l'exorde ne puisse convenir à aucun autre discours. Il faut qu'il ne soit pas long: il dégoûterait l'auditeur, qui, dès que le sujet lui a été annoncé est impatient d'en connaître le fond. Si l'orateur parle de lui-même, il prendra un ton modeste, et paraîtra même se méfier de son talent. C'est le moyen d'intéresser les auditeurs, de s'attirer leur bienveillance, et de surpasser leur attente. Aïnși Bossuet, commençant l'éloge du grand Condé, se reconnaît au-dessous de son sujet, en disant :

« Au moment que j'ouvre la bouche » pour célébrer la gloire immortelle de » Louis de Bourbon, prince de Condé, » je me sens également confondu, et par » la grandeur du sujet, et s'il m'est per>> mis de l'avouer, par l'inutilité du tra» vail. Quelle partie du monde habitable » n'a pas ouï les victoires du prince de » Condé et les merveilles de sa vie? On » les raconte partout le Français qui les » vante, n'apprend rien à l'étranger; et, » quoique je puisse aujourd'hui vous en » rapporter, toujours prévenu par vos >> pensées, j'aurai encore à répondre au » secret reproche que vous me ferez » d'être demeuré beaucoup au-dessous.

»Nous ne pouvons rien, faibles orateurs, » pour la gloire des âmes extraordinaires. » Le sage a raison de dire que leurs seules »actions peuvent les louer toute autre louange languit auprès des grands noms, et la seule simplicité d'un récit » fidèle pourrait soutenir la gloire du prince de Condé. »

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Comparons deux exemples qui feront connaître l'art avec lequel l'orateur doit commencer son exorde pour disposer les esprits en sa faveur. Ils sont tirés des Métamorphoses d'Ovide. Après la mort d'Achille, Ajax et Ulysse se disputèrent les armes de ce héros. Ils devaient l'un et l'autre exposer leurs prétentions, en présence des princes confédérés assemblés "au milieu de l'armée. Ajax, qui ne savait que combattre, se lève le premier; et, bouillant de colère, il regarde d'un oeil farouche le rivage de Sigée et la flotte des Grecs; ensuite, tendant les mains, il s'écrie:

Grands Dieux! c'est à la vue de nos » vaisseaux que nous plaidons, et Ulysse » entre en concurrence avec moi! Ce>> pendant il prit la fuite à l'approche » d'Hector, armés de ses feux destruc» teurs que j'affrontai, que j'éloignai de »notre flotte. Il vaut donc mieux avoir » une langue séduisante qu'un bras de » héros, etc.!

כן

Cet emportement d'Ajax, ses éclats,

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