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pandent dans leurs manières plus de dignité que de fierté; car leur rang, qui les met en vue, fait qu'ils s'observent davantage et qu'ils gardent toujours une gravité décente. Mais aussi quand ils s'irritent et qu'ils font des maux, ce sont ordinairement des maux irrépa rables.

La prospérité participe de la richesse et de la puissance : ainsi son caractère est mêlé de ceux qui sont propres à ces deux états. Deux qualités cependant s'y font sur tout distinguer; une passion extrême pour la gloire, et ime confiance aveugle dans les succès passés. Il en est une troisième plus agréable et plus rare, c'est la reconnaissance pour la divinité. Mais rien n'est plus commun que de l'ou blier dans l'ivresse que cause une ríante fortune.

Voilà les moeurs, les caractères que l'orateur doit étudier et connaître à fond, parce qu'il ne peut vraiment intéresser, parce qu'il ne peut donner quelque vie et quelque chaleur à son discours, qu'en distinguant et en exprimant ces mœurs des différens âges et des différentes conditions. C'est là le plus sûr et le plus agréa ble moyen de plaire, parce qu'il n'est personne qui ne voie avec un plaisir trèsvif, une représentation fidèle du carac tère et du génie des hommes, ou des usages et du commerce de la vie. Cette

peinture des mœurs contribue aussi au triomphe de l'éloquence, puisque c'est par elle que l'orateur parvient plus aisément à entraîner les âmes vers ce qui est aimable et utile, et à les arr acher à ce qui est odieux et nuisible. En fin ce n'est qu'au moyen de la connaissance de ces moeurs, qu'il peut proportionner son style, ses pensées, ses réflexions, ses raisonnemens à l'intelligence aux sentimens et aux passions de ses auditeurs ; parler à la ville autrement qu'on ne parle à la campagne; à des militaires autrement qu'on ne parle à des magistrats; à des jeunes gens, autrement qu'on ne parle à des hommes d'un âge mûr; en un mot, peindre avec vérité les diverses inclinations des hommes de tous les états, en développer les causes et les effets, ainsi que les caractères des différens vices et des différentes vertus. La peinture que Massillon a tracée de l'ambition dans son discours sur les tentations des grands, prouve bien qu'il connaissait parfaitement ce qui caractérise ce vice. Le voici :

» Il rend malheureux celui qui en est » possédé. L'ambitieux ne jouit de rien ; »> ni de sa gloire, il la trouve obscure; » ni de ses places, il veut monter plus » haut; ni de sa prospérité, il sèche et » dépérit au milieu de son abondance; »> ni des hommages qu'on lui rend, ils

>> sont empoisonnés par ceux qu'il est » obligé de rendre lui-même; ni de sa » faveur, elle devient amère dès qu'il >> faut la partager avec ses concurrens ; »ni de son repos, il est malheureux à » mesure qu'il est obligé d'être plus tranquille, ... L'ambition le rend donc » malheureux; mais de plus, elle l'avilit » et le dégrade. Que de bassesses pour » parvenir ! Il faut paraître, non pas tel » qu'on est, mais tel qu'on nous souhaite. » Bassesse d'adulation; on encense et on » adore l'idole qu'on méprise bassesse » de lâcheté ; il faut savoir essuyer des » dégoûts, dévorer des rebuts, et les re»cevoir presque comme des grâces: bas»sesse de dissimulation; point de senti» mens à soi, et ne penser que d'après » les autres bassesse de déréglement; » devenir les complices et peut-être les » ministres des passions de ceux de qui » nous dépendons, et entrer en part dans » leurs désordres, pour participer plus >> sûrement à leurs grâces: enfin bassesse » même d'hypocrisie; emprunter quel» quefois les apparences de la piété, jouer » l'homme de bien pour parvenir, et faire » servirà l'ambition la religion même qui » la condamne ».

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On ne peut lire les sermons de ce grand orateur, sans s'apercevoir presque à chaque page qu'il avait fait une étude bien profonde du coeur humain.

Il serait aisé de le prouver par une foule d'exemples. Je me borne à celui-ci, tiré du panégyrique de Saint-Benott.

« Nul presque de tous ceux que le » monde séduit et entraîné, n'est content » de sa destinée; et si l'espoir d'une con» dition plus heureuse n'adoucissait les » peines de notre état présent, et ne liait » encore nos cœurs au monde, il ne fau» drait, pour nous en détromper, que >> les dégoûts et les amertumes vives que » nous y trouvons. Mais nous sommes, » chacun en secret, ingénieux à nous sé» duire sur l'amertume de notre condi» tion présente. Loin de conclure que le >> monde ne saurait faire des heureux, et » qu'il faut chercher ailleurs le bonheur » où nous aspirons, et que le monde ne » saurait nous donner, nous nous y pro» mettons toujours ce qui nous manque » et ce que nous souhaitons : nous char» mons nos ennuis présens par l'espoir » d'un avenir chimérique; et par une » illusion perpétuelle et déplorable, nous » rendons toujours inutiles les dégoûts que » Dieu répand sur nos passions injustes, » pour nous rappeler à lui par des espé»rances que l'événement dément toujours, » mais où nous prenons de notre méprise

>>

» même l'occasion de tomber dans de >> nouvelles >>.

III. Des Passions.

notre

Les passions sont, en général, des Définition mouvemens qui s'élèvent dans des passions âme, et qui sont un effet des impressions qu'elle reçoit. Si ces impressions sont lé gères, les mouvemens qui se font sentir dans notre âme sont doux; et alors on les nomme simplement sentimens. Si ces impressions sont vives, les mouvemens qui agitent notre âme sont véhémens; et alors on les nomme proprement passions.

Les objets présentés à notre âme lui paraisient-ils agréables ou utiles? notre volonté se porte vers ces objets, les pour suit, les aime, et s'y attache de là l'amour. Ces objets lui paraissent-ils désagréables ou pernicieux? notre volonté s'en éloigne, les fuit, et les déteste : de là la haine. Ces deux passions sont la base de toutes les autres : il n'en est absolument aucune qui ne se rapporte à l'une de ces deux-là, et qui n'en soit comme une émanation.

Ces mouvemens que notre âme éprouve à la vue des objets, sont indifférens par eux-mêmes, quelque doux, quelque impétuenx qu'on les suppose. Mais si vous vous réjouissez d'un bien arrivé à votre. ennemi, ce sentiment de joie est bon et louable. Si, au contraire, vous vous

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