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Dubitation.

Et dans ces vers du Voyage de Munick, par Regnier des Marets..

Déjà nous avons vu le Danube inconstant,
Qui tantôt catholique et tantôt protestant,
Sert Rome et Luther de son onde,

Et qui, comptant après pour rien
Le Romain, le Luthérien,
Finit sa course vagabonde
Par n'être pas même chrétien.
Rarement à courir le monde

On devient plus homme de bien.

La Dubitation consiste dans une dé bération sur ce qu'on doit dire ou faire. Cette figure est bien propre à exprimer les mouvemens d'une âme, qui, agitée d'une passion violente, est dans une irrésolution continuelle sur le parti qu'elle doit prendre. Telle est, dans l'Enéïde, la situation de Didon abandonnée par Enée. Voici la traduction en vers de ce morceau, par Boileau, frère de l'auteur du Lutrin:

Hélas! s'écria-t-elle au fort de sa misère,
Quel projet désormais me reste-t-il à faire?

Chez les rois mes voisins mon coeur humble et confus
Ira-t-il s'exposer au hasard d'un refus:

Eux dont j'ai tant de fois, avec tant d'insolence
Méprisé la recherche et bravé la puissance?
Irai-je en suppliant, à la honte des miens,
Implorer la pitié des superbes Troyens?
Trop aveugle Didon! puis-je après cette injure
Ne pas connaître enfin cette race parjure?
Et comment mes soupirs pourraient-ils retenir
Ceux de qui mes bienfaits n'ont pu rien obtenir ?
Ou bien irai-je enfin jusqu'au bout de la terre
Avec tous mes sujets leur déclarer la guerre ?
Mais comment voudraient-ils, à travers les dangers,
Poursuivre ma vengeance en des bords étrangers;

Eur que leur intérêt et que leur propre vie
Ont à peine arrachés du sein de leur patrie!
Mourons donc, puisqu'enfin dans l'état où je suis,
La mort est l'espoir seul qui reste à mes ennuis.

L'Interrogation est une figure par laquelle on parle en forme de question. Elle est très-propre au pathétique, et donne une grande énergie au discours, comme il est aisé de le voir dans cet en droit de l'Oraison funèbre de HenrietteAnne d'Angleterre, duchesse d'Orléans, par Bossuet:

>> Avec tant de grandes et tant d'ai» mables qualités, qui eût pu lui refuser » son admiration? Mais avec son crédit » avec sa puissance, qui n'eût pas voulu » s'attacher à elle? N'allait-elle pas ga»gner tous les coeurs, c'est-à-dire, la » seule chose qu'ont à gagner ceux à qui >> la naissance et la fortune semblent

tout donner; et, si cette haute éléva>>tion est un précipice affreux pour les » Chrétiens, ne puis-je pas dire, pour » me servir des paroles fortes du plus » grave des historiens, qu'elle allait être » précipitée dans la gloire? Car quelle » créature fut jamais plus propre à être >> l'idole du monde? Mais ces idoles que » le monde adore, à combien de tenta>>tions délicates ne sont-elles pas expo»sées? La gloire, il est vrai, les défend » de quelques faiblesses: mais la gloire » les défend-elle de la gloire même ?

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»Ne s'adorent-elles pas secrètement ? » Ne veulent-elles pas être adorées? Que » n'ont-elles pas à craindre de leur » amour propre? et que peut se refuser » la faiblesse humaine, pendant qu'on » lui accorde tout? N'est-ce pas qu'on >> apprend à faire servir à l'ambition, » à la grandeur, à la politique, et la » vertu, et la religion, et le nom de >>> Dieu ? >>

On se sert encore très-avantageusement de cette figure, pour exprimer toutes les passions vives. C'est ce qu'a fait Racine dans cet endroit de sa tragédie d'Athalie, où Joad, à la vue de Mathan, parle ainsi à Josabet :

1

Où suis-je ? de Baal ne vois je pas le prêtre?
Quoi! fille de David, vous parlez à ce traître !
Vous souffrez qu'il vous parle, et vous ne craignez pas
Que, du fond de l'abîme entr'ouvert sous ses pas,
Il ne sorte à l'instant des feux qui vous embrâsent,
Ou qu'en tombant sur lui ces murs ne vous écrasent?
Que veut-il? de quel front cet ennemi de Dieu
Vient-il infecter l'air qu'on respire en ce lieu?

aprécation. L'Imprécation est nne figure par laquelle on souhaite du mal à quelqu'un. Elle est quelquefois dictée par l'horreur du crime et des scélérats. Racine en fournit un exemple de cette espèce dans la même tragédie. C'est encore Joad qui parle :

Grand Dieu! si tu prévois qu'indigne de sa race
Il doive de David abandonner la trace;

Qu'il soit comme le fruit en naissant arraché,
Ou qu'un souffle ennemi dans sa tige a séché;
Mais si ce même enfant, à tes ordres docile,
Doit être à tes desseins un instrument utile,
Fais qu'au juste héritier le sceptre soit remis:
Livre en mes faibles mains ses puissans ennemis;
Confonds dans ses conseils une reine cruelle ;
Daigne, daigne, mon Dieu, sur Mathan et sur elle
Répandre cet esprit d'imprudence et d'erreur,
De la chûte des rois funeste avant-coureur.

Cette figure est le plus souvent l'expression de la colère et du désespoir. Les deux plus beaux exemples que je connaisse en ce genre d'imprécation, se trouvent dans Corneille. Le premier est tiré de la tragédie de Rodogune princesse des Parthes, où Cléopâtre reine de Syrie, étant près d'expirer, dit à son fils Antiochus et à la princesse son épouse:

Puisse le Ciel tous deux vous prendre pour victimes,
Et laisser choir sur vous les peines de mes crimes!
Paissiez-vous ne trouver dedans votre union
Qu'horreur, que jalousie, et que confusion !
Et, pour vous souhaiter tous les malheurs ensemble,
Puisse naître de vous un fils qui me ressemble!

Celui-ci est pris de la tragédie d'Horace. C'est Camille qui parle à Horace son frère :

Rome, l'unique objet de mou ressentiment,
Rome à qui vient ton bras d'immoler mon amant,
Rome qui t'a vu naître et que ton coenr adore,.
Rome, enfin que je haís, parce qu'elle t'honore,
Puissent tous ses voisins ensemble conjurés,
Saper ses fondemens encor mal assurés.!
Et si ce n'est assez de toute l'Italie,
Que l'Orient contre elle à l'Occident s'allie:

Déprécation.

Réticence.

Que cent peuples unis des bouts de l'univers
Passent pour la detuire et les monts et les mers!
Qu'elle-même sur soi renverse ses murailles !
Et de ses propres mains déchire ses entrailles !
Que le courroux du ciel, allumé par mes vœux,
Fasse pleuvoir sur elle un déluge de feux!
Puissé-je de mes yeux y voir tomber la foudre,
Voir ses maions en cendre et ses lauriers en poudre!
Voir le dernier Romain à son dernier soupir,
"Moi seule en être cause, et mourir de plaisir.

La Déprécation est une figure par laquelle on a recours aux prières, aux larmes, pour demander quelque chose. Tel est, dans la tragédie de la Mort de César, par Voltaire, ce discours de Brutus à César :

Sais-tu que Le Sénat n'a point de vrai Romain,
Qui n'aspire en secret à te percer le sein ?
Que le salut de Rome et que le tien te touche!
Ton génie alarmé te parle par ma bouche:
Il me pousse, il me presse, il me jette à tes pieds,
César, au nom des dieux dans ton cœur oubliés,
Au nom de tes vertus, de Rome et de toi-même,
Dirai-je au nom d'un fils qui frémit et qui t'aime,
Qui te préfère au monde et Rome seule à toi,
Ne me rebute pas.

La Réticence est une figure par la quelle on interrompt son discours pour passer à un autre objet; en sorte néanmoins que ce qu'on a dit laisse suffisamment entendre ce qu'on affecte de sup. primer. Telles sont ces paroles que Virgile met dans la bouche de Neptune :

<< Race téméraire, qui vous inspire >> tant d'audace? Vents, vous osez, sans » mon aveu, troubler le ciel et la terre

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