Peut-être pour ta gloire aura-t-il son usage. Si quelqu'esprit malin les veut traiter de fables, Quí mit à tout blâmer son étude et sa gloire Tout ce morceau est pensé et rendu avec la plus grande délicatesse. En voici un autre qui ne lui est certainement point inférieur. Le poëte, dans une épître sur la vie champêtre, feint qu'à son retour de la campagne, un de ses amis lui parle des victoires du roi: Dieu sait comme les vers chez vous s'en vont couler, Et dans ce temps guerrier et fécond en Achilles, Cette louange est si bien assaisonnée qu'il semble que ce n'en est pas une. Quelle finesse, quelle délicatesse dans cet air d'humeur qu'affecte le poëte dans ce refus simulé de faire l'éloge du roi, lors même qu'il le loue si bien ! C'est le comble de l'art. Ne craignons point ici de multiplier les exemples. Voyez ces beaux vers de Racine dans son idylle sur la paix. La dernière pensée est pleine de délica tesse. Qu'il règne, ce héros, qu'il triomphe toujours; Qu'avec lui soit toujours la paix où la victoire ; Que le cours de ses ans dure autant que le cours De la Seine et de la Loire. Qu'il règne, ce héros, qu'il triomphe toujours; Qu'il vive autant que sa gloire. Ce quatrain de mademoiselle Scuderi, sur le goût du grand Condé pour la culture des fleurs, est aussi très-délicat : En voyant ces ceillets qu'un illustre guerrier Arrose de la main qui gagna des batailles, Souviens-toi qu'Apollon bâtissait des murailles, Et ne t'étonne point que Mars soit jardinier. Outre la délicatesse qui se trouve dans les pensées, il y en a une autre qui est dans les sentimens, et à laquelle le coeur a plus de part que l'esprit. Voici un sentiment très-délicat, que Racine, dans sa tragédie de Bérénice, donne à Titus, empereur de Rome, parlant de cette reine de Palestine, qu'il devait épouser : Depuis cinq ans entiers, chaque jour je la vois, Et crois toujours la voir pour la première fois. Dans la tragédie d'Horace par Corneille, Sabine, native d'Albe, et femme d'un citoyen de Rome, voit la guerre allumée entre ces deux villes. Ces sentimens, que lui prête le poëte, n'ont pas moins de délicatesse que de vérité : Albe, où j'ai commencé de respirer le jour, Lorsqu'entre nous et toi je vois la guerre ouverte, La pensée est naïve, quand l'objet qu'elle représente s'offre à l'esprit sans que celui-ci paraisse l'avoir cherchée. Elle consiste, dit le P. Bouhours (1), dans je ne sais quel air simple et ingénu, mais spirituel et raisonnable, tel qu'est celui d'un villageois de bon sens, ou d'un enfant qui a de l'esprit. En voici un exemple dans ce quatrain de Gombaud : Colas est mort de maladie: Tu veux que j'en pleure le sort. Telle est encore la pensée de cette épitaphe, faite par Scarron : Ci-gît qui fut de belle taille, Sa race avait quelque antiquaille, Il parlait fort bien de la guerre, (1) Man. de bien penser. II.e dial. * non. Il y a cependant une certaine finesse dans la pensée de cette épitaphe, et surtout daus celle du quatrain: mais c'est une finesse qui n'exclut point la naïveté. Voici une petite pièce de vers qui finit par un trait vraiment naïf : Un vieil ivrogne, ayant trop bu d'un coup, Il ne faut pas confondre la pensée naïve avec la pensée naturelle. Celle-ci représente toujours un objet qui s'est trouvé dans le fond du sujet qu'on traite. Elle est née, pour ainsi dire, du sujet même, parce qu'elle s'y rapporte entièrement et directement. Il semble au lecteur qu'il l'avait dans la tête avant de la lire, et que par conséquent elle n'a exigé aucun effort de la part de l'écrivain. Mais, quoiqu'elle fût dans le sujet, il n'a pas été bien facile à celui-ci de l'y voir et de l'en tirer. Toute pensée naïve est naturelle mais toute pensée naturelle n'est pas naïve, parce que le naturel peut avoir quelque chose de grand, de sublime; au lieu que le naïf a toujours quelque chose de petit ou de moins élevé. Verrès, citoyen romain, exerçant en Sicile la préture, charge qui consistait à rendre la justice, voulait s'approprier les colosses de Cérès et de Triptolème. Mais il ne put les faire emporter à cause de leur énorme pesanteur. Cicéron, dans une de ses oraisons contre ce concussionnaire, dit de ces statues : leur beauté les mit en danger d'être prises; leur grandeur les sauva. Voilà une pensée naturelle, tirée du fond de la chose, qui n'a absolument rien d'étranger au sujet, et qui paraît n'avoir rien coûté à l'orateur. Celle-ci de Mainard, sur la mort. d'un enfant, ne l'est pas moins. On doit regretter sa mort, Voyez encore celle-ci du même auteur, sur un père affligé de la mort de sa fille. Le père s'adresse au ciel : Hate ma fin que ta rigueur diffère; Les pensés qui portent en elles-mêmes de l'agrément, n'ont pas besoin d'être ornées par l'expression. Elles doivent être rendues telles qu'elles se présentent à l'esprit de l'écrivain. Les mots sonores et brillans affaibliraient souvent une pen |