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belles pièces de Corncille, qui seul alors captivait l'admiration du public; elle fit néanmoins regarder Racine comme un jeune homme plein d'audace, pour oser entrer dans la même carrière que ce grand poète, et aspirer aux mêmes applaudissements. Le public se trompe rarement; il jugea favorablement de RACINE, dès l'apparition de sa Bérénice; notre poète donna snccessivement neuf tragédies, qui furent accueillies du public avec enthousiasme. Quinte-Curce lui fournit le sujet d'Alexandre; Tacite, celui de Britannicus; Aristophane, celui des Plaideurs. Toujours disciple soumis d'Aristote, il ne s'est pas livré, comme Corneille, au hasard d'une route nouvelle; mais il sut vaincre de grandes difficultés; il fit disparaître l'art devant la grâce et le coulant des vers. RaCINE est, sans contredit, le plus élégant des tragiques et même des poètes français; le cœur humain se montre dans ses ouvrages avec toutes ses faiblesses; le poète touche profondément, parce qu'il ne cherche pas, comme Corneille, à exalter ses personnages par ce sentiment si fier chez les anciens, et qui n'était plus du temps du poète que le point d'honneur. Il est des problêmes qu'on ne peut résoudre, quand ils ont pour sujet les variantes de l'opinion. Pourquoi l'admirable tragédie d'Athalie, dans laquelle RACINE a si heureusement surmonté l'àpreté des mœurs juives, celui de tous ses ouvrages, qui était le

plus propre à ouvrir une vaste carrière à l'art dramatique, fùt-elle le plus froidement accueillie du public? On sait que cette pièce, ainsi que celle d'Esther, fut composée pour l'institut des Demoiselles de Saint-Cyr, par l'ordre de Mme de Maintenon. L'admiration que la postérité continue à Athalie, est un témoin irrécusable de son mérite; en lui joignant Phèdre et Iphigénie, on compose un triumvirat de perfection, qui nous offre le type de beautés de tous genres. Dans Athalie, que d'élévation dans le caractère de Joas! quelle espérance! quelle foi dans le Dieu de ses pères! Abner est timide, il hésite, il est homme en un mot; le grand prêtre, soutenu par cette main invisible, sur laquelle reposent les mondes, veut l'étayer de sa confiance, et lui dit :

Je crains Dieu, cher Abner, et n'ai point d'autre crainte.

Magnifique expression, qui naît de la confiance de l'homme de bien. Quelle horreur Athalie ne nous inspire-t-elle pas,. quand elle arrive sur la scène pour raconter à Nathan le songe qui la trouble? Ce n'est qu'un songe; mais en faut-il davantage pour bouleverser le cœur du méchant? Lorsqu'elle aperçoit cet enfant, le sujet de toutes ses alarmes, comme nous frémissons pour lui! Est-il possible de réunir plus de simplicité, de force et de grâce que les réponses de Joas en présentent, dans la scène 7me du second acte,

où l'enfant royal, conservé par les soins d'un pieux lévite, se trouve face à face avec l'assassin de toute sa famille? Une femme impie fait à l'enfant une question toute simple, et la réponse est un anathème pour elle.

ATHALIE.

Quel est tous les jours votre emploi ?

JOAS.

J'adore le Seigneur; on m'explique sa loi:
Dans son livre divin je m'apprends à la lire,
Et déjà de ma main je commence à l'écrire.

Que vous dit cette loi?

ATHALIE.

JOAS.

Que Dieu veut être aimé ;

Qu'il venge tôt ou tard son saint nom blasphémé;

Qu'il est le défenseur de l'orphelin timide;

Qu'il résiste au superbe et punit l'homicide.

On est saisi d'admiration à la vue de la sainte hardiesse avec laquelle l'enfant repousse les offres de la reine.

ATHALIE.

J'ai mon dieu que je sers; vous servirez le vôtre :

Ce sont deux puissans dieux.

JOAS.

Il faut craindre le mien :

Lui seul est Dieu, madame, et le vôtre n'est rien.

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ATHALIE..

Les plaisirs près de moi vous chercheront en foule.

JOAS.

Le bonheur des méchans comme un torrent s'écoule.

RACINE s'était greffé, si j'ose me servir de cette expression, sur les Grecs, en étudiant la marche de leur théâtre ; il tenta d'introduire les chœurs, et sa tentative réussit. Dans Athalie, ils suspendent un moment le dialogue, et jettent ainsi de la variété. Il y a presque de l'inspiration dans le chœur des Lévites et des Hébreux, dont voici deux ou trois strophes :

Tout l'univers est plein de sa magnificence;

Qu'on l'adore ce Dieu, qu'on l'invoque à jamais :
Son empire a des temps précédé la naissance;

Chantons, publions ses bienfaits.

En vain l'injuste violence

Au peuple qui le loue imposeroit silence:

Son nom ne périra jamais.

Le jour annonce au jour sa gloire et sa puissance;
Tout l'univers est plein de sa magnificence:
Chantons, publions ses bienfaits.

Il donne aux fleurs leur aimable peinture;
Il fait croître et mûrir les fruits;

Il leur dispense avec mesure

Et la chaleur des jours et la fraicheur des nuits :.
Le champ qui les reçut les rend avec usure.

Il commande au soleil d'animer la nature,

Et la lumière est un don de ses mains;

Mais sa loi sainte, sa loi pure,

Est le plus riche don qu'il ait fait aux humains.

Le reste de ce magnifique chœur, est à la hauteur de ce que nous venons de citer. Il serait difficile de trouver un morceau plus moral, plus religieux même que celui où le grand prêtre revêt Joas de la pourpre, et où il lui représente avec tant de force les devoirs d'un souverain. La tragédie d'Andromaque est celle de toutes les pièces de RACINE, qui lui appartient le plus en propre, quoiqu'il eut un plan à suivre dans Euripide, duquel il s'est écarté. Cependant, quel mouvement de style, quel art, et surtout quelle peinture dans ces trois amours d'Hermione, de Pyrrhus et d'Oreste, qui se choquent et se confondent! Quels contrastes naissent de ces différentes passions! Toutes les agitations de l'ame, les mouvements de la haine, les retours de tendresse, la joie, la feinte indifférence, y forment le tableau le plus vrai, le plus brillant de ces désordres intérieurs, qui sont du domaine exclusif de la tragédie. Et c'est sous ce point de vue, surtout, que RACINE l'emporte de beaucoup sur les anciens tragiques. Il déploya dans Iphigénie, Mithridate et Esther le talent le plus poétique et le plus admirable, joint à la sensibilité la plus vraie.

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