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ses prédécesseurs, il n'a fait que perfectionner cet instrument de gouvernement, en régulariser et en généraliser l'usage (1).

De tous temps, en effet, les souverains se préoccupèrent de surveiller leurs agents dans les provinces, de contrôler leur administration, de recueillir les plaintes et les réclamations de leurs sujets, de tenir la main à l'exécution de leurs édits telle fut l'origine de l'institution des missi dominici, dont nous avons déjà parlé, antérieurs à Charlemagne et qui survécurent à son règne; des maistres enquesteurs que saint Louis envoyait dans ses provinces en tournées ou chevauchées pour lui faire leurs rapports sur la gestion des baillis et de ses prévôts, des commissaires départis que nous trouvons à la fin du règne de François Ier et sous Henri II, choisis parmi les maîtres de requêtes de l'Hôtel; tous sont des agents supérieurs royaux, investis de commissions temporaires, munis d'instructions spéciales, pénétrés de l'esprit qui domine dans le Conseil et qui servent de lien entre ce Conseil qui décide et l'Administration qui obéit.

Les intendants participent des uns et des autres sans toutefois leur ressembler tout à fait. Les chevauchées des maîtres de requêtes, dont l'inquisition gênait tellement la noblesse et le clergé que ces deux ordres demandèrent et obtinrent leur suppression momentanée aux Etats de Blois, existaient encore sous Richelieu, puisque le Code Michau les maintient à côté des Commissions des intendants; il est vrai que cette institution, faisant double emploi, finit par disparaître; du reste ces maîtres de requêtes

(1) Voir Caillet, De l'Administration en France sous le ministère du cardinal de Richelieu, p. 38-54. Paris 1857. Gabriel Hanotaux, Les premiers Intendants de justice (Revue historique, numéros de mai 1882 à janvier 1883), et Origines de l'institution des Intendants des provinces, 1884. Paris, Champion, libraire.

Rodolphe Dareste, Etudes sur les origines du Contentieux administratif en France, p. 3-47. Paris 1855. - Chéruel, Histoire de l'Administration monarchique en France, tome I, pages 291-293.

voyaient, écoutaient, rapportaient, mais ne pouvaient accomplir des actes d'autorité.

Les commissaires départis ne sont pas non plus des intendants; on ordonnait, en effet, des commissaires suivant les circonstances, pour les objets les plus divers. Les intendants sont des commissaires, mais dont les attributions sont fixées dans la lettre de leur commission; intendants de Justice, Police, Finances et du Militaire (1).

Ils ne possédèrent pas tout d'abord ce titre complet; il y eut des intendants de justice et des intendants militaires avant que les mêmes personnages réunissent sur leur tête une double et triple commission.

Richelieu, par l'édit de mai 1635, régularisa donc et généralisa l'usage de ces intendants en divisant les provinces du royaume en trente-une généralités, qui formèrent autant d'intendances, et en instituant d'une manière fixe et permanente, dans chacune d'elles, un intendant.

Cette division, essentiellement administrative, n'eut aucun rapport avec celle qui existait déjà en gouvernements et parlements.

En outre de ces trente-une intendances, il y en eut encore six dans les colonies françaises.

Ce fut là la véritable organisation du Pouvoir centralisé, dont l'action administrative acquit par l'unité et l'esprit de suite une force inconnue jusqu'alors.

Représentants d'un pouvoir absolu, instruments dociles d'une volonté unique, souveraine, ces délégués du Roi furent investis par son gouvernement de l'autorité la plus complète et d'une indépendance entière, afin que rien ne les entravát dans la stricte exécution des ordres émanés de sa volonté personnelle ou de celle de ses ministres.

On comprend, dès lors, que, serviteurs exclusifs de la Cour, investis d'une autorité immense par la délégation

(1) Voir Hanotaux, Revue historique, numéros de mai, juin, 1882, et Origines de l'institution des Intendants des provinces, 1884. Paris, Champion, libraire.

qui leur était faite du pouvoir royal, en possession d'attributions sans limites, ils durent assurer de la manière la plus complète la prépondérance royale.

Leurs attributions embrassaient en effet toutes les parties du gouvernement et de l'administration de leur province.

Ils y décidaient seuls de la répartition des impôts.

En outre du département des impôts qui entraient nets dans les coffres du Roi, l'intendant avait encore le pouvoir d'imposer les taxations des consuls et collecteurs, des receveurs particuliers des Elections et receveur général de la province, à raison de quatre deniers pour chacun des premiers et d'un denier pour le receveur général; plus une somme de cinq mille livres pour la confection des rôles.

A l'intendant appartenaient aussi l'initiative et le droit d'imposer un excédent destiné à fournir des secours aux paroisses et aux particuliers qui avaient éprouvé des pertes par incendies, grêle, orages, inondations, épizooties, et à suppléer aux erreurs, double emploi, etc.

L'intendant prélevait encore sur cet excédent les sommes nécessaires aux frais de ses bureaux, au paiement de ses employés, les gratifications qu'il accordait à ses subdélégués et autres personnes employées sous ses ordres, les indemnités dues aux gardes-étalons, aux commissaires des rôles, les encouragements accordés à l'industrie et enfin les sommes nécessaires à des créations ou essais d'établissements qu'il jugeait avantageux pour la pro

vince.

C'était un supplément de plus de 200,000 livres à ajouter aux impositions générales de la province qui s'élevaient, en 1725, sous l'intendance de M. Bidé de la Grandville, à 4,877,973 livres, et qui, par leur accroissement progressif d'année en année avaient atteint, en 1760, la seconde année de l'administration de M. de Ballainvilliers, le chiffre de 6,005,816 livres, bien

qu'elles n'eussent été au commencement du XVIIe siècle que de 800,000 livres (1).

Eux seuls décidaient de la quantité et du moment des corvées, de la création des établissements de commerce, de la distribution des troupes dans les différentes parties de la province, du prix et de la répartition des fourrages accordés aux gens de guerre.

C'était par leurs ordres que se faisaient les achats de denrées pour remplir les magasins du Roi.

Ils présidaient à la levée des milices et décidaient de toutes les difficultés qui survenaient à l'occasion de cette levée.

Ils réglaient seuls tout ce qui concernait l'entretien des routes et édifices publics, les dépenses et la comptabilité des villes et communes.

C'était par eux que le Ministère était instruit de l'état des provinces, de leur production, de leurs débouchés, de leurs charges, de leurs pertes, de leurs revenus, etc. Eux seuls avaient mission de signaler les améliorations et réformes.

Dans les pays d'élections (une élection était autrefois une circonscription soumise à la juridiction financière de magistrats appelés élus; la création des élus remontait aux Etats généraux de 1356, pendant la captivité du roi Jean, et qui ont été rendus célèbres par les troubles qu'excita alors dans Paris le prévôt Etienne Marcel) où n'existaient pas d'Etats particuliers, ils étaient les seuls administrateurs du pays au nom du Roi lui-même, les seuls organes des voeux, les seuls défenseurs des droits, les seuls interprètes des besoins des populations.

Comme on le voit par ce qui précède, les intendants exerçaient un pouvoir absolu, bien qu'il y eût en même

:

(1) Voir L'Etat de l'Auvergne en 1765, par M. de Ballainvilliers, intendant, publié par M. Bouillet, tome VII des Tablettes historiques de l'Auvergne, pages 34, 44, 65, 69, 72 et 73.

temps dans leur province ou généralité un gouverneur militaire.

Cette charge, ainsi que nous l'avons déjà vu plus haut, s'était tellement amoindrie qu'elle ne consistait guère plus que dans le commandement de la milice provinciale et était devenue presque nulle par l'autorité que le Roi donnait aux intendants, bien que les gouverneurs pussent quelquefois, dans des circonstances pressantes, ordonner des deniers publics.

Les intendants n'appartenaient pas comme les gouverneurs à des familles puissantes, ils pouvaient être révoqués à volonté et étaient par conséquent les instruments dociles du ministre dans les provinces. De là, la haine des grands et des parlements qui, à l'époque de la Fronde, réclamèrent vivement et obtinrent la suppression des intendants (Déclaration du 13 juillet 1648). Mais la Cour qui n'avait cédé qu'à la dernière extrémité se sentait, par cette suppression, blessée à la prunelle de l'œil, comme le dit le cardinal de Retz. Elle maintint des intendants en Languedoc, Bourgogne, Provence, Lyonnais, Picardie et Champagne.

Ils furent ensuite rétablis par Mazarin en 1654 et des intendances furent alors instituées successivement dans toutes les généralités.

A l'origine, les intendants furent chargés d'une mission temporaire qui n'était pas encore circonscrite aux limites de la généralité mais qui s'étendait à la province et s'étendit même plus tard aux provinces voisines. La commission qui leur était délivrée ne visait que les affaires politiques ou civiles, à l'exclusion des opérations militaires réservées aux gouverneurs, à l'exclusion aussi des affaires criminelles réservées aux Grands Jours quand elles n'étaient pas jugées par les tribunaux ordinaires; ces intendants différaient de nos inspecteurs généraux actuels en ce que leur surveillance ne se bornait pas à tel

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